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Asma Lamrabet : l’islam et l’avenir de la femme

En quelques années, Asma Lamrabet est devenue une figure incontournable de la pensée réformiste en Islam. Médecin de formation, elle concilie dans ses livres science et religion. Elle œuvre pour la revalorisation de la femme dans les sociétés arabes. Son avant-dernier ouvrage : « Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ? » aux Editions Albouraq, paru en mars 2012 avait reçu le prix de la Femme Arabe 2013 dans la catégorie sciences sociales. Dans une tribune que publie en exclusivité Mizane Info, Asma Lamrabet souligne l’apport central de la contribution féminine dans l’islam et l’importance historique de son rôle. 

La question des femmes est centrale au sein des débats contemporains sur l’Islam. Malgré une misogynie universelle inhérente à toutes les traditions religieuses, c’est l’islam qui reste actuellement le plus interpellé sur cette question, voire stigmatisé pour ses pratiques inégalitaires envers les femmes. Conjonctures géopolitiques internationales aidant, l’islam est devenu la religion de l’oppression des femmes par excellence. Au-delà de la focalisation obsessionnelle actuelle sur l’islam, il faudrait reconnaître que cette religion a subi les mêmes préjudices que les autres traditions monothéistes, à savoir, celles d’une interprétation patriarcale qui, tout au long de l’histoire de cette civilisation, a dénié aux femmes les droits et les privilèges instaurés par la Révélation spirituelle de l’islam.

Le statut précaire de la femme avant l’islam

Or, il est indéniable que la Révélation et le comportement du prophète de l’islam – très en faveur de la libération des femmes –  sont venus bousculer de très nombreuses règles sociales antéislamiques, au sein desquelles les femmes étaient considérées en général comme des êtres méprisables, sous tutelle juridique perpétuelle, faisant partie du « butin de guerre », et très souvent enterrées vivantes par peur d’un « déshonneur » tribal. Elles n’avaient aucun droit à l’héritage, le divorce était un droit exclusif des hommes, la polygamie était considérée comme un droit inconditionnel des hommes et aucune participation sociale ou politique des femmes n’était tolérée. La Révélation coranique va alors tenter d’abolir certaines coutumes, de lutter contre les discriminations les plus flagrantes ou parfois tenter de réduire leurs effets par l’instauration d’une pédagogie de libération progressive durant les vingt-trois années de la Révélation. C’est ainsi que le Coran va par exemple attester de façon catégorique l’égalité spirituelle entre femmes et hommes créés d’une même essence (nafs wâhida)[1], soutenue par la tradition prophétique qui affirme que « les femmes sont les égales (chakaik) des hommes ». On retrouve également au sein du message coranique, des modèles de femmes érigées en symboles de la liberté, de l’autonomie, de la juste gouvernance, des femmes symboles de l’amour, de l’abnégation et de la sainteté[2].

L’importance et la valorisation des femmes par le message spirituel de l’islam étaient telles que très peu de temps après la mort du prophète ce sont les femmes qui vont être les gardiennes de la tradition religieuse. En effet, Aïcha sera la première femme Mufti de Médine et l’une des principales autorités religieuses de l’époque et c’est le Codex de trois femmes, Aïcha, Hafsa et Oum Salama[4], qui a été utilisé  au moment de la compilation et de la mise en écrit du premier manuscrit coranique

Les femmes, gardiennes de la Tradition

Cette symbolique féminine comme celle d’autres femmes citées dans le Coran est d’ailleurs rarement mise en évidence dans l’enseignement religieux ou dans le discours islamique contemporain où la norme est de valoriser uniquement les figures masculines de l’épopée islamique. Dans plusieurs versets, le Coran va aussi inciter les femmes à la participation sociale et politique, notamment au cours des cérémonies d’allégeance politique ou « Bay’a » au cours desquelles les délégations d’hommes et de femmes concluaient un pacte politique avec le prophète de l’islam qui était le représentant de la communauté musulmane. La Bay’a était comprise à cette époque comme une initiative qui consistait à soutenir la représentation politique du dirigeant. C’est là un acte éminemment politique auquel ont participé les femmes il y a quinze siècles au nom de l’islam[3]. L’importance et la valorisation des femmes par le message spirituel de l’islam étaient telles que très peu de temps après la mort du prophète ce sont les femmes qui vont être les gardiennes de la tradition religieuse. En effet, Aïcha sera la première femme Mufti de Médine et l’une des principales autorités religieuses de l’époque et c’est le Codex de trois femmes, Aïcha, Hafsa et Oum Salama[4], qui a été utilisé  au moment de la compilation et de la mise en écrit du premier manuscrit coranique.

Redonner toute sa place aux figures féminines de l’islam

Cependant, avec le temps, la grande majorité des théologiens musulmans vont marginaliser voire dévaloriser la contribution féminine à l’histoire de la civilisation de l’islam[5]. En effet, l’intensité des conflits politiques après la mort du prophète de l’islam, les multiples conquêtes islamiques et le début de la codification des sciences religieuses vers le 9e siècle, vont finir par enterrer le souffle libérateur et égalitaire de la révolution spirituelle originelle. Pour revenir aujourd’hui à cet esprit libérateur de la première heure, il faudrait tout en déconstruisant l’interprétation discriminatoire érigée en texte sacré, revenir à la dimension éthique (akhlak) et humaniste (concept d’al ihsan) du message spirituel de l’islam. Autrement dit, redonner la priorité aux valeurs éthiques du message spirituel en s’appuyant sur la raison (a’ql), la science (‘ilm) et l’exigence de  justice (‘adl) qui sont au cœur de la foi coranique et qui interpellent indistinctement les femmes et les hommes. C’est à travers ces valeurs, véritables fondamentaux de l’islam, qu’il faudrait relire le Coran aujourd’hui et replacer la thématique des femmes au cœur de cette exigence spirituelle de la libération, de l’égalité et de la dignité des êtres humains.

[1] Coran 4 ;1

[2] C’est l’exemple de Hajar, la seconde épouse du prophète Abraham, symbole de l’endurance et du sacrifice et dont les musulmans commémore la mémoire depuis quinze siècles dans les rituels du pèlerinage. Balqiss, est une autre femme, que le Coran décrit comme étant une souveraine intelligente et juste, douée d’une grande habilité politique et à la tête d’un grand empire. D’autres femmes sont citées comme symbole de la résistance à la tyrannie à l’instar de la mère de Moïse ou de Assiah, épouse du Pharaon. Tandis que Marie, mère de Jésus sera érigée en modèle de la perfection spirituelle.

[3] Verset sur la Bayaa : Coran 60 ;12.

[4] Epouses du prophète et qui furent surnommées « Mères des croyants » par le Coran lui-même.

[5] Une étude récente a répertorié la présence de plus de 8000 femmes érudites, exégètes, traditionnistes, muftis  qui ont enseigné à de très nombreux savants musulmans  notoires, dont les fondateurs des écoles juridiques et ce à partir du 7e  siècle ;Voir l’étude sur ce sujet en cours, faites par le Professeur Mohammed AkramNadwi à Oxford ; Encyclopédie de 50 volumes, dont un ouvrage introductif est apparu en 2007 : « al Muhadhitates : the Womenschlolars in Islam » Interface Publication, Juillet 2007.

A lire sur le même sujet : 

« Les droits de la femme en Islam », Murtadda Mutahhari

« Féminismes islamiques », Zahra Ali

« Histoires des femmes dans le Saint Coran », Tahar Gaïd

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