A quelles conditions un calendrier musulman universel est-il possible ? Pour quelles raisons l’adoption définitive du calcul astronomique s’impose sur le recours à la vision ? Dans un article que Mizane.info publie en quatre parties, Ahmadou Makhtar Kanté expose ses arguments, sa méthode, et le mode d’application d’un tel calendrier. Ahmadou Makhtar Kanté est imam, conférencier et écrivain.
C’est après des années de réflexion sur la question de la possibilité d’un calendrier musulman commun à toute la Oumma que nous avons écrit l’ouvrage au titre évocateur : « Astronomie et Charia : la Oumma peut-elle guérir de ses malaises de Lune ? »[1] Il se trouve que la question reste entière étant donné qu’à ce sujet, les divergences persistent dépendant des critères politiques[2] et religieux[3] que les uns et les autres mettent en avant. C’est ainsi que le début et la fin des mois de Ramadan comme le jour d’Arafat et de l’Aïd el Kabîr sont des points chauds qui cristallisent les prises de positions, polémiques et autres désaccords, voire d’excommunication (takfîr) pour les esprits les plus intolérants. Dans cette contribution, notre but est de montrer que la détermination des mois lunaires par l’observation visuelle est anachronique, moins fiable et précise que le calcul astronomique. D’autre part, l’élaboration d’un calendrier musulman sur la base du calcul astronomique permet de dépasser les limites de l’observation visuelle et regorge d’avantages en faveur de l’harmonie au sein de la Oumma et de la planification de la vie civile et religieuse des musulmans dans le monde entier.
Dans cette optique, notre question principale est la suivante : « Comment concevoir et réaliser un calendrier musulman perpétuel sur des bases acceptables aussi bien du point de vue de la Charia que de l’astronomie moderne et des sciences connexes ? » Etant entendu que la réponse attendue doit porter fondamentalement sur la détermination des débuts et fins de chacun des 12 mois lunaires, ce qui permet d’en déduire les dates des événements particuliers du calendrier musulman. Perdre de vue cet aspect du problème conduit à d’incessantes, inutiles, et insolvables polémiques. En effet, les musulmans ont besoin de savoir avec le plus de précision possible le temps légal pour la zakat en argent, l’observation du délai de viduité, le mois de Ramadan, les mois du Hajj et de Oumra, le jour d’Arafat, les trois jours de la fête du sacrifice, le jour d’Achoura, etc.
Aussi, il ne s’agit pas de « balancer » des dates genre « cette année le jour de…tombe le… », sans aucune base si ce n’est le « copier-coller » de sources dont la fiabilité n’a pas été établie et qui plus est, de la part de gens qui ne sont connus ni pour leurs compétences en astronomie ni pour les disciplines de la Charia. Un tel état d’esprit et de telles pratiques sont malheureusement de mode et alimentent une cacophonie loin des enseignements authentiques de l’islam tout en ternissant son vrai visage.
Ce genre de fantaisies a pignon sur rue étant donné que nombre de musulmans se comportent comme des naïfs prêts à tout accepter et relayer en flagrante contradiction avec les enseignements de base de l’islam qui invitent à s’adresser aux savants du domaine en question, à vérifier et arbitrer entre différents arguments. C’est pour guérir de ses malaises de Lune que nous proposons dans les lignes qui suivent les justificatifs et l’importance d’un calendrier musulman perpétuel basé sur le calcul astronomique, la méthodologie pour y arriver et l’application qui en découle.
Notre cadre théorique repose sur les questions suivantes : 1) Quelles sont les références scripturaires[4] musulmanes au sujet du mois lunaire et quels enseignements en tirer ? 2) Quelles sont les limites théoriques et pratiques de l’observation visuelle pour la détermination des mois lunaires ? 3) Le calcul astronomique est-il acceptable du point de vue de la Charia ? 4) Comment élaborer un calendrier musulman perpétuel ? 5) Quelles applications en donner ?
Références scripturaires et enseignements y afférents
On sait que rien ne pourra être accepté par les musulmans qui ne puisse se fonder sur leurs références scripturaires que sont le Coran et la Sunna[5]. Il faudra aussi ajouter le travail des principologues « usûliyyûn » notamment sur les questions qui n’ont pas été tranchées par les anciennes générations ou qui sont nouvelles. Dans cette optique, une recension des références pertinentes pour notre sujet conduit aux résultats suivant :
1-Le Soleil et la Lune sont soumis par le Créateur et Maître des mondes à un calcul minutieux[6];
2-Pour le calendrier musulman, le Coran indique que l’année compte 12 mois lunaires ;
3-La Lune est soumise à des phases qui permettent à ceux qui connaissent ce domaine de calculer le temps que dure chaque mois lunaire[7];
4-Les hadiths indiquent que le mois musulman ne peut compter moins de 29 et plus de 30 jours[8]
5-Certains oulémas anciens comme contemporains voient dans l’expression du prophète (saws) relative à l’estimation (taqdîr) du mois lunaire une possibilité de recours au calcul astronomique[9];
6-Le Coran n’a pas prescrit un moyen déterminé pour connaitre les débuts et fins des mois lunaires[10];
7-L’existence d’un hadith qui mentionne le calcul (hisâb), astronomique s’entend, pose les bases d’une discussion sérieuse sur la possibilité du recours au calcul astronomique pour la détermination des débuts et fins de chacun des 12 mois lunaires et pas seulement de certains[11].
Ahmadou Makhtar Kanté
Notes
[1] Edité à Dakar par l’auteur lui-même, Ahmadou Makhar Kanté, 2016 – 1439H
[2] La souveraineté des Etats a été plus forte jusqu’à présent que toutes les tentatives de trouver une solution consensuelle à ce problème, pourtant Dieu sait qu’il y a eu beaucoup de résolutions dans ce sens lors de réunions entre les représentants des gouvernements des pays musulmans et entre astronomes et oulémas.
[3] Les positions adossées aux écoles de pensée théologico-juridiques, les divergences des oulémas contemporains sur l’utilisation des instruments optiques, du calcul astronomique, etc.
[4] Versets du Coran et hadiths authentifiés par les spécialistes en la matière.
[5] Dires, actes et approbations du prophète Muhammad (saws)
[6] « Fendeur de l’aube, Il a fait de la nuit une quiétude, soumis le soleil et la lune à un calcul minutieux. Tel est le réglage établi par le Tout-Puissant, le Tout-Sage » (Coran 6 : 96) ; « Le Soleil et la Lune sont soumis à un calcul minutieux » (Coran 55 : 5)
[7] « C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une brillance, et pour celle-ci a déterminé des positions afin que vous sachiez compter le nombre des années et le calcul du temps. Dieu n’a créé cela qu’en toute vérité. Il expose en détail les signes pour les gens qui savent » (Coran 10 : 5) ; « Ils t’interrogent sur les phases (de la Lune) – Dis : « Ce sont des repères temporels pour les gens et aussi pour le Hadj (pèlerinage à la Mecque) » (Coran 2 : 189)
[8] « Jeûnez si vous le voyez et cessez de jeûner si vous le voyez. Si les nuages vous gênent, estimez-le à trente (30) jours ». Il existe des variantes de ce hadith où l’expression « faqdurû lahû » (estimez-le) n’est pas associée à un nombre. Il y a aussi l’expression « complétez le nombre » ; « Nous sommes une Oumma illettrée, nous n’écrivons pas et ne calculons pas, le mois est ainsi et ainsi, c’est-à-dire, tantôt 29 et tantôt 30 » (Boukhari et Mouslim)
[9] « Jeûnez si vous le voyez et cessez de jeûner si vous le voyez. Si les nuages vous gênent, estimez-le à trente (30) jours ». Il existe des variantes de ce hadith où l’expression « faqdurû lahû » (estimez-le) n’est pas associée à un nombre. Il y a aussi l’expression « complétez le nombre »
[10] « …Quiconque, alors, est présent en ce mois, qu’il le jeûne » (Coran 2 : 185)
[11] « Nous sommes une Oumma illettrée, nous n’écrivons pas et ne calculons pas, le mois est ainsi et ainsi, c’est-à-dire, tantôt 29 et tantôt 30 » (Boukhari et Mouslim)
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