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Du théocentrisme à l’anthropocentrisme : le paradigme des Lumières 3/4

Lumières

Troisième partie du texte de Yamin Makri sur la notion comparative de lumière dans la tradition islamique et européenne. L’auteur y présente le passage paradigmatique, dans l’histoire de la Modernité du théocentrisme à l’anthropocentrisme qui a lui-même cédé la place au profit capitaliste.

Inversion Sujet-Objet : Contradiction fondamentale ou hypocrisie des Lumières

Les Lumières ont produit ce qu’on pourrait appeler la modernité et l’idéologie marchande. Kant est un des pères des Lumières et de la modernité. Quand il prône l’autonomie de l’individu ce n’est pas contre Dieu. C’est pour le bien de l’Homme qui souffre de la domination des clercs.

Le déisme ambiant de son époque conçoit un dieu créateur mais en retrait et qui observe de loin l’humanité dans ses déboires. C’est ce qui lui permet à la fois de croire en Dieu mais de considérer que c’est l’Homme qui doit rester au centre de nos préoccupations.

Pour lui, l’Homme créature ne peut pas être rabaissé à son corps ou à un simple objet :

« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, dans Œuvres philosophiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1985, t. II, p. 295.

D’un autre coté, Adam Smith, proche des philosophies matérialistes et individualistes de Hobbes développe l’idée concrète d’un bonheur sur Terre qui n’est que le fruit d’intérêts individuelles :

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de Leur souci de Leur Intérêt propre ». Adam Smith, Recherches sur la richesse des nations, Paris, Garnier-Flammarion, 1991, I, 2.

La modernité a arraché l’Homme de la domination de la lumière dogmatique pour le faire entrer dans celles des lumières de la Raison triomphante. Mais la société du profit, du travail et de la consommation a re-fait tomber l’Homme dans la domination des lumières de l’ordre marchand.

Ces deux citations résument de manière claire les idées contradictoires, en apparence, qui traversent les Lumières. L’un qui promeut l’Homme-sujet en le mettant au centre à la place de Dieu.

Et l’autre qui considère les relations humaines muent que par l’intérêt. Et ce n’est que la somme des intérêts individuels qui créera la richesse et le bonheur collectifs.

L’homme au centre pour n’être qu’une cible

Ce système se nourrit de l’absence de Dieu qui n’est plus au centre de tout. C’est l’Homme isolé de Dieu, séparé de sa communauté de foi qui est dorénavant mis au centre.

Mais l’Homme n’est pas au centre pour être honoré, il est au centre pour servir de cible. Il est au centre car la logique marchande ne peut pas faire valoriser son capital sans travailleur, sans consommateur.

Ce n’est donc pas l’Homme qui est au centre, comme le prétendent les humanistes. Ce n’est que sa fonction de travailleur-consommateur. En dehors de cela, il n’est rien. Et en fait, ce qui est réellement au centre, ce n’est plus que l’argent, le profit.

La modernité, issue des Lumières, à mis en place cette idée loufoque qu’un cœur ne peut être libéré qu’en se séparant de Dieu et de ses semblables (sa communauté).

L’Homme « moderne » doit devenir un « individu », c’est-à-dire celui qui doit se « séparer » de toutes ses identités pour se « libérer » de toutes ces normes sociales, de tous ces dogmes cléricaux qui a pollué sa raison.

Le problème c’est que l’Homme « séparé » de tout, n’est plus un Homme. Il peut rester un bon producteur et un utile consommateur, mais plus un Homme. Ainsi, en voulant fuir le dogmatisme clérical, l’Homme moderne, au cœur désemparé, s’est livré à l’adoration fétichiste de la marchandise.

Triste modernité qui a fuit une aliénation pour une autre…

La Lumière de l’ordre marchand

La modernité a arraché l’Homme de la domination de la lumière dogmatique pour le faire entrer dans celles des lumières de la Raison triomphante. Mais la société du profit, du travail et de la consommation a re-fait tomber l’Homme dans la domination des lumières de l’ordre marchand.

La raison irrationnelle des Lumières de l’ordre marchand veut tout mettre en lumière. Mais cette lumière n’est pas seulement un symbole appartenant au monde de la pensée, elle a aussi une signification socio-économique réelle :

Dans un certain sens, la modernisation a véritablement fait «de la nuit, le jour». On sait depuis longtemps que la confusion entre jour et nuit due à la « lumière électrique » perturbe le rythme biologique des humains et provoque des troubles psychiques et physiques.

Depuis que l’informatique a globalisé les flux financiers, la journée monétaire d’un hémisphère se prolonge directement dans celle de l’autre. Les marchés financiers ne dorment jamais. A l’heure de la globalisation de la concurrence, même le sommeil devient l’ennemi de l’ordre marchand.

En Angleterre, pionnière de l’industrialisation, l’éclairage au gaz a été introduit au début du XIXème siècle pour se propager par la suite dans toute l’Europe. D’ici la fin de ce même siècle, il avait déjà été remplacé par l’électricité.

L’activité sans répit de la production marchande ne peut en principe tolérer aucun temps obscur. L’ordre marchand exige l’extension de son activité jusqu’aux dernières limites physiques et biologiques.

Ainsi production, circulation et distribution des marchandises doivent fonctionner 24h/24, parce que « time is money ».

Les gens se sont longtemps défendus désespérément contre le travail de nuit lié à l’industrialisation. Il était considéré comme immoral de travailler avant l’aube ou après le coucher du soleil au moyen-âge.

Le travail de nuit était un cas rare. Aujourd’hui, à l’aide d’un fonctionnement par deux ou trois équipes, les machines doivent si possible tourner sans arrêt.

De même le temps d’ouverture des magasins et supermarchés doit se rapprocher le plus possible des 24 heures.

Dans nombre de pays, comme par exemple les États-Unis, il n’y a plus aucune réglementation pour régir la fermeture des magasins et sur beaucoup de boutiques trône le panneau « ouvert 24h/24 ».

Depuis que l’informatique a globalisé les flux financiers, la journée monétaire d’un hémisphère se prolonge directement dans celle de l’autre. Les marchés financiers ne dorment jamais.

A l’heure de la globalisation de la concurrence, même le sommeil devient l’ennemi de l’ordre marchand.

Abstraction, inversion et séparation

Système clérical : une domination concrète

Dieu (puis le Clergé) au centre :

Séparation et/ou confusion entre l’ordre révélé et celui du monde

L’Homme-objet soumis à l’ordre religieux (domination concrète).

Le dogmatisme clérical (les fins utilisées comme moyens d’une domination)

Système moderne : une idéologie abstraite

L’Homme-sujet au centre (réalité abstraite) :

Réaction aux guerres et à la domination idéologique et matérielle de l’Église

(Le Clergé et) Dieu à la périphérie (déisme) ou nié (matérialisme)

La révolution moderne (les moyens mis au service de la finalité humaine)

Système marchand : une autre domination concrète

Le profit au centre (réalité concrète) :

La somme de nos intérêts matériels et individuels créera le bonheur ici-bas.

L’Homme-objet soumis à l’ordre marchand (domination concrète).

La révolution industrielle (Il n’y a plus de finalité).

Système de la modernité marchande : au-delà d’une compréhension séparée

L’ego, le paraître et la domination sont au centre :

L’Humanisme comme principes abstraits (laïcité, démocratie…)

Le culte du profit comme réalité concrète (inégalités, lobbies, etc…)

Post-modernité : relativisme, culte du plaisir, nihilisme, narcissisme.

Yamin Makri

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