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Hamdi Ben Aïssa : pensées sur la spiritualité et l’activisme 1/2

Directeur du Collectif Sanad Floraison et le fondateur de l’Institut Rhoda pour l’apprentissage de la spiritualité islamique, Hamdi Ben Aïssa défend dans un texte publié par Mizane.info une conception centrale de la place de la spiritualité dans la vie du musulman et des personnes engagées socialement.

Il est étrange de constater que plusieurs musulmans considèrent la spiritualité, « tasawwuf », comme une interprétation extrême de l’islam, parmi tant d’autres saveurs telles que l’islam modéré, l’islam progressiste, l’islam littéraliste, et autres. La spiritualité n’est pas un genre d’islam, elle est l’expérience même de l’islam au sens propre du terme. Sans spiritualité ou, autrement dit, si l’esprit ne vit pas l’expérience spirituelle, la religion n’aura alors aucun sens. La religion est tout à propos de l’âme, de l’esprit, de se connecter au Seigneur, au Créateur. En ce sens, la religion doit nécessairement être spirituelle, car la connexion ne se fait pas physiquement, mais bien à travers l’esprit, qui lui n’a aucune réalité physique. Les règles et les rituels seuls ne suffisent pas pour que cette connexion ait lieu. Les règles et les rituels, bien qu’ils se manifestent de manière physique en apparence, ne peuvent être réellement vécus que spirituellement, avec un souffle intérieur. Il est triste de voir que plusieurs musulmans considèrent aujourd’hui, incorrectement, que la spiritualité est un extra, une option, un certain point sur un spectre de possibilités ou alors un extrême, au lieu de la considérer comme absolument essentielle.

L’esprit comme principe vital de l’Homme

Cet arrachement du cœur de l’islam du corps de l’islam me rappelle un cours d’architecture et d’art islamique où l’enseignant, un Arabe non-musulman laïque, insistait sur le fait que l’Imam al-Ghazali [1058-1111] avait inventé la spiritualité islamique « tasawwuf » de toutes pièces et qu’il l’avait ajoutée à l’islam, disant qu’elle n’y existait pas auparavant. Il disait qu’elle ne faisait pas vraiment partie de l’islam, mais qu’elle représentait plutôt un mouvement sectaire. L’islam pour lui, avant l’Imam al-Ghazali, n’avait rien de spirituel. La religion n’était que règles et expéditions militaires ayant pour but de ramasser du butin. L’enseignant disait aussi que c’est seulement après avoir été en contact avec des philosophes ésotériques que l’Imam al-Ghazali aurait développé le tasawwuf. Vous pouvez imaginer le choc que j’ai ressenti et l’incrédulité avec laquelle je le regardais, face à cette vision si dévalorisante et pervertie de la religion, une vision qui a failli à voir que la spiritualité a TOUJOURS été le point central de l’islam, que la spiritualité est en fait ce qui définit les enseignements du plus grand Maître spirituel de tous les temps, notre Prophète Mohammad ﷺ.

L’esprit n’est pas un aspect de l’être vivant, ou une partie de son corps. L’esprit est ce qui donne vie à cet être vivant. Sans esprit, le corps meurt

Comme il est triste de voir tant de musulmans aujourd’hui adopter ce point de vue! Ils choisissent de voir que la spiritualité n’est qu’une façon parmi tant d’autres de vivre la religion. Ils affirment ainsi que la spiritualité n’est pas nécessaire pour toute expression de l’islam. Cette façon de voir les choses est totalement fausse, et elle ne fait que tuer la foi, et l’enterrer. Un de mes enseignants a dit un jour: « La Oumma (la communauté des croyants) aujourd’hui est tel un homme mort, une personne qui n’a plus la force de vivre. C’est pour cela que nous devons parler de la spiritualité et de la place centrale qu’elle doit occuper dans nos vies, car elle est nécessaire à la vie de notre Oumma. » L’esprit anime le corps de l’être vivant. L’esprit n’est pas un aspect de l’être vivant, ou une partie de son corps. L’esprit est ce qui donne vie à cet être vivant. Sans esprit, le corps meurt. L’esprit est donc ce qui garde l’être vivant en équilibre. Elle est la préservation contre toute forme d’extrémisme (de non-balancement). Sans elle, l’être vivant n’échappera pas au déséquilibre.

« Plus ses racines sont profondes, plus l’arbre est en équilibre »

Elève du cheikh Habib Omar dont il a suivi l’enseignement à Hadramaout au Yémen, le shaykh Hamdi Ben Aïssa est directeur du Collectif Sanad Floraison et le fondateur de l’Institut Rhoda pour l’apprentissage de la spiritualité islamique.

Vous avez sûrement entendu parler de l’expression de l’équilibre entre din et dunya, entre la vie religieuse et la vie mondaine. On ne devrait jamais imaginer l’équilibre spirituel comme l’équilibre de deux masses sur une balance à plateaux, une masse représentant la relation avec Dieu et l’autre masse représentant les poursuites mondaines et éphémères. On ne devrait jamais percevoir cela comme un équilibre à rechercher, quelle qu’en soit la manière. Il s’agit là d’une compréhension superficielle et déviante, pourtant affirmée par plusieurs comme étant la manière avec laquelle on devient une personne équilibrée. Ils insistent sur le fait que l’islam, étant la religion du milieu, de la modération, invite à adopter cette perception qu’ils ont de l’équilibre, et plusieurs deviennent par ce fait même déséquilibrés ! Le véritable équilibre qu’il faut concevoir est celui d’un arbre, dans la manière avec laquelle son tronc, ses racines et ses branches sont parfaitement ancrés, créant ainsi un équilibre parfait afin de le stabiliser et le garder en homéostasie. Le secret de l’équilibre de l’arbre se trouve dans ses racines, et pour l’être humain, ses racines sont la connexion spirituelle avec sa Source, son Seigneur et Créateur. Plus ses racines sont profondes, plus l’arbre est en équilibre. L’équilibre n’est donc pas un équilibre horizontal, comme celui de deux masses sur une balance à plateaux, mais plutôt un équilibre organique, d’enracinement. Plus nos racines seront profondes, plus nous serons en équilibre. Le flux de vie de l’arbre commence par ses racines et se propage à travers le tronc, puis les branches, et il en est ainsi pour le croyant. Nous devons donc chercher à obtenir l’équilibre de l’arbre, en nous enracinant profondément dans la Source de la vie, en laissant cette connexion s’épandre dans notre esprit et le colorer.

Condamner les déviances spiritualistes, non la spiritualité

La spiritualité peut-elle être manipulée et mener à un extrême ? Oui. Il y a des groupes qui ne se concentrent que sur la spiritualité, qui négligent l’expression physique de cette spiritualité, qui est essentielle à notre vie en ce bas monde tant que nous vivons dans notre corps physique, comme les rituels et les rites, la loi et l’action sociale. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous pouvons rejeter toute spiritualité et dénigrer quiconque en parlerait en le traitant d’extrémiste. Prenons l’exemple de l’exercice physique et du sport.

La spiritualité n’est pas une idéologie ni les enseignements d’un groupe en particulier. La spiritualité est pour tous ceux qui ont un esprit

Nous savons tous que prendre part à des activités physiques mène à une vie pleine de santé. Pourtant, il y a des gens qui pratiquent l’activité physique et le sport de manière extrême au point d’en devenir obsédés. Cela ne change toutefois pas notre perception, et nous ne dirons pas que l’activité physique est une activité extrémiste. Tout comme nous ne condamnons pas l’activité physique à cause de certaines personnes qui la pratiquent de manière extrême, nous ne devrions pas condamner la spiritualité « tasawwuf » à cause de certains membres de certains groupes, qui nous présentent la spiritualité comme étant une pratique extrémiste. Les enseignements spirituels sont de la nourriture pour tous, ce qui incluent les activistes. La spiritualité est la base de la foi, et non un choix parmi d’autres ou encore un groupe duquel on ferait partie. La spiritualité n’est pas une idéologie ni les enseignements d’un groupe en particulier. La spiritualité est pour tous ceux qui ont un esprit.

Hamdi Ben Aissa

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