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Hanen Rezgui-Pizette : « Le halal est un marché sans loi, ni maître »

Hanen Rezgui-Pizette est la présidente de l’Association de défense des consommateurs musulmans (ASIDCOM). Auteure d’un livre sur l’histoire du halal, elle aborde dans cet article que publie Mizane.info les principaux éléments de la problématique du halal en France partagée entre la soif de gains des grands industriels et l’anarchie consécutive à l’absence d’une certification nationale du halal. 

Le livre, « La République et le halal », expose pour la première fois l’histoire de l’organisation de l’abattage religieux musulman, depuis la deuxième guerre mondiale à nos jours. Le constat de la mise en évidence de traces de porc dans des produits de grandes marques estampillés halal (Herta 2011, deux autres dans une enquête de 2016…) ; l’aveu du groupe Doux que ses volailles, produites en France et exportées à la Mecque, sont mortes suite à l’étourdissement, et donc haram ; la manipulation de la fatwa de l’Académie International du Fiqh Islamique (rattachée à la Ligue Islamique Mondiale) par l’AFCAI (certificateur des produits Doux) sur son site internet ; et la grande mosquée de Paris qui accuse son organisme de certification halal (SFCVH, 2015) de fraudes et de manquements : tout cela dénombre à peine le début d’une longue liste des symptômes patents de l’ampleur de la tromperie sur la qualité halal sur le marché français. Le plus accablant est de savoir que ces tromperies, qui ne datent pas d’hier, sont largement encadrées par les pouvoirs publics qui se gardent de réprimer les fraudeurs, en particulier concernant la traçabilité des produits, et multiplient les outils réglementaires et autres moyens pour restreindre l’abattage halal.

Un marché juteux pour des professionnels sans foi, ni loi

Hanen Rezgui-Pizette à une conférence internationale sur le halal organisée à Istanbul en juin 2015. Crédits : Newshalal.com

Le halal en France est en effet un marché sans ni loi ni maitre pour garantir des pratiques loyales. Ses produits sont majoritairement non certifiés et donc illégitimement distribués par des intermédiaires pour la plupart des affairistes musulmans, non compétents en matière de boucherie. La grande distribution peinent à s’installer sur ce marché et a pour seul et unique moyen des organismes de certification, épinglés régulièrement pour des pratiques non conformes aux normes religieuses. Certains doivent même leurs privilèges sur le marché à des agréments réglementaires, pour habiliter les sacrificateurs musulmans et/ou au soutien inconditionnel de la diplomatie française. Dans ces conditions de concurrences déloyales, sous tutelle des pouvoirs publics, des travaux de normalisation séculière du halal ont été conduites, sans la participation des musulmans, qui ont émis une opposition ferme avant même la création de la commission de l’AFNOR, le 4 novembre 2016.

Au départ, les acteurs musulmans étaient sollicités, en 2014, pour défendre les intérêts de la France, dans le cadre d’un projet européen (« halal foods») qui a été désapprouvé, en cours de route, par l’ensemble des acteurs musulmans en Europe et en France, notamment du fait de l’incompatibilité du fonctionnement du CEN avec les questions religieuses, et a fini par être dissout en février 2016.

Dans le cadre de ce premier projet, les acteurs musulmans ont accompagné la commission de l’AFNOR et ont notifié l’essence religieuse du Halal et ses conditions. Mais à notre surprise, dès l’annonce de l’intention du CEN de dissoudre son projet, en décembre 2015, l’AFNOR s’est efforcée de maintenir les travaux en France, malgré l’opposition des acteurs musulmans, dont les représentants du culte et les associations des consommateurs musulmans. Pour ce fait, l’AFNOR a multiplié les aménagements, sans se soucier de rechercher le consentement des acteurs musulmans. D’abord, dès l’annonce de la consultation du CEN pour dissoudre son projet, la commission a décidé en janvier 2016 d’exclure ASIDCOM pour le motif d’avoir communiqué et informé les consommateurs musulmans sur la position du culte musulman, de s’être opposée et d’avoir critiqué les multiples immixtions dans le culte musulman par la commission et ses membres. En même temps la commission a écarté, de sa liste de membres, les autres acteurs signataires du communiqué du 20 avril 2015, à l’exception de l’organisme Halal Services, le CFCM et les trois grandes mosquées. Puis, selon une procédure partiale et opaque, l’AFNOR a créé une nouvelle table de travail à laquelle elle inscrit de son propre chef les institutions représentatives du culte, malgré qu’elles ont aussi signé le communiqué susmentionné et exprimé leur opposition à ses travaux incompatibles avec la question religieuse du halal. D’ailleurs, nous avons pu constater comment l’AFNOR a inscrit l’aumônerie musulmane des armées à ses diverses commissions, durant tout le processus, pendant qu’elle utilisait une adresse erronée de l’une de ses secrétaires pour le contacter. Par la suite, l’organisme de certification Halal Services a été écarté, sans préavis, de la liste des membres lors de la création de la deuxième commission, le 4 novembre 2016.

Des réclamations adressées par ASIDCOM (novembre 2016) et la société Sirat (octobre 2016), sont restées sans suite malgré les nombreux arguments mettant, à juste titre, en cause la validité de la décision de convertir la commission miroir en une commission nationale, en mars 2016, et les procédures d’exclusions directes ou indirectes de certains membres musulmans. Aujourd’hui, l’AFNOR essaie de se justifier en assurant que son « Guide de bonnes pratiques de fabrication de denrées alimentaires transformées halal basée sur les principes HACCP – PR XP V06-001», ne porte pas sur les pratiques d’abattage, ne définit pas le halal et n’aborde pas les aspects religieux. Pourquoi alors tient-elle tant à garder les représentants du culte sur sa liste des membres ?

En fait, les pouvoirs publics qui ont toujours refusé de contrôler la traçabilité des viandes vendues sous étiquette halal, considèrent, aujourd’hui, que le marché halal français est stabilisé et que les enjeux de la certification halal concernent plutôt l’export. Ils omettent ainsi qu’au moins 80% des viandes commercialisées sur le marché halal en France ne sont pas certifiées et souvent issues d’abattage non halal. Dans un récent rapport du Sénat, datant de juin 2016, la sénatrice Nathalie Goulet, explique la confusion autour de la diffusion de l’abattage rituel en France dans ces termes : « Cette confusion résulte à la fois de l’absence d’un appareil statistique fiable sur l’abattage rituel, qui permettrait de disposer d’éléments chiffrés abattoir par abattoir, et de la confusion des estimations entre le périmètre de la viande issue de l’abattage rituel et celui de l’ensemble des produits labellisés halal par les industriels.» C’est surtout à ces derniers que profitent l’absence d’un système de contrôle fiable et reconnu de la qualité religieuse halal des produits. Le développement des grandes surfaces, initiées dans les années 60, a été le moteur de l’industrialisation du marché de la viande. Ce fut un changement radical dans les règles d’abattage avec la disparition brutale des boucheries traditionnelles au profit des super et hypermarchés. Dans ce contexte, le marché halal est alors créé grâce à une réglementation de l’abattage religieux, sans précédent, en France.

Le halal sert de marché de dégagement qui permet d’absorber le surplus des viandes françaises, ne répondant pas aux normes des super et hypermarchés, et qui étaient jadis distribuées par les boucheries traditionnelles

L’absence de normes régulant le marché du halal

Le halal sert de marché de dégagement qui permet d’absorber le surplus des viandes françaises, ne répondant pas aux normes des super et hypermarchés, et qui étaient jadis distribuées par les boucheries traditionnelles. Ainsi, l’émergence des boucheries halal est marquée par une période d’habilitation administrative des sacrificateurs religieux musulmans (1970-1994), par les préfets, contrairement aux sacrificateurs juifs qui sont habilités par les autorités religieuses juives. L’association de défense des consommateurs musulmans, ASIDCOM déplore cette situation depuis sa création en 2006.

https://www.youtube.com/watch?v=42pD4cO4fZI

La violation du principe de laïcité dans l’abattage rituel

Les deux procédures qu’elle a déjà engagé devant le Conseil d’Etat, ont permis de franchir l’obstacle du vide juridique concernant la qualité halal des produits. La première procédure, enregistrée en juillet 2015, conteste des règlements dans le code rural qui visent à définir l’abattage religieux à partir des pratiques industriels plutôt qu’à partir de prescriptions religieuses. Ces règlements indiquent aussi que des méthodes d’étourdissement qui seraient compatibles avec l’abattage religieux peuvent être fixées par arrêté par le ministre de l’Agriculture, en contradiction avec le principe de la séparation de l’Etat et l’Eglise.

Les autorités publiques privilégiant l’étourdissement y compris pour l’abattage halal, remettent en cause la dérogation à l’obligation d’étourdissement dont bénéficient le culte musulman

Le Conseil d’Etat bien qu’il ait rejeté la requête d’ASIDCOM a précisé l’interprétation des articles du code rural concernés en indiquant ; qu’ils n’ont ni pour objet ni pour effet de régir les conditions dans lesquelles il doit être procédé à l’abattage d’un animal dans le respect de prescriptions religieuses ; et n’ont ni pour objet ni pour effet de renvoyer à un arrêté ministériel le soin de fixer des procédés d’étourdissement compatibles avec l’abattage rituel. La deuxième procédure, enregistrée en juillet 2016, conteste l’excès de pouvoir du Premier Ministre qui prive les consommateurs musulmans du droit d’avoir des institutions représentatives et démocratiquement élues dans le champ de la consommation des produits halal.

D’autres procédures sont à envisager dont certaines qui pourraient viser la norme de l’AFNOR. Cependant, comme l’indique les principes d’une association de consommateurs agréée, seuls les dons et les cotisations des consommateurs permettent de financer ses actions en justice.

Les consommateurs ont vraiment de quoi s’inquiéter à cause des difficultés auxquelles se trouvent confrontés les sacrificateurs musulmans quant au mode d’abattage des animaux. Les autorités publiques, au travers de publication de guides de bonnes pratiques, de circulaires et notes d’information, privilégiant l’étourdissement y compris pour l’abattage halal, remettent indirectement en cause la dérogation à l’obligation d’étourdissement dont bénéficient le culte musulman. Dans ce contexte, où des pressions sont exercées sur les acteurs économiques et les sacrificateurs musulmans, il n’existe pas encore un véritable suivi par des autorités religieuses musulmanes, permettant de clarifier la situation. Rappelons enfin que la dérogation accordée à l’abattage rituel a pour objet de répondre à des besoins religieux. Il est donc du bon sens que son application soit encadrée par les autorités religieuses. De même, aucun ne peut se prévaloir de fabriquer des produits halal carnés ou non en dehors de l’encadrement par les autorités religieuses représentatives du culte musulman. Aujourd’hui, en adoptant et approuvant le référentiel religieux de la charte halal du CFCM, les musulmans sont attentifs à sa bonne mise en application par une organisation musulmane nationale capable d’accréditer les organismes de certification halal et les installations d’abattage religieux.

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