Abd al-Wadoud Gouraud est enseignant-chercheur à l’Institut des Hautes Études Islamiques, et directeur de l’Institut An-Nour à la grande mosquée de Cergy. Il retrace pour Mizane les étapes principales de la naissance de l’islam et de la vie du Prophète Muhammad (PBDSL).
La naissance de l’Islam est intimement liée à la vie du Prophète Muhammad. C’est à La Mecque, au cœur de la péninsule arabique, que naît Muhammad, vers 570 après J.-C. Son nom signifie « digne de louanges ». Son père Abdallah meurt avant sa naissance, sa mère Amina lorsqu’il a six ans. Orphelin, pauvre, Muhammad est d’abord recueilli par son grand-père Abd al-Mouttalib, puis par son oncle Abou Talib, homme sage et respecté à La Mecque. La ville est alors un important centre économique, mais aussi et surtout un haut lieu de pèlerinage, qui renferme le temple de la Kaaba, édifiée jadis par Abraham et son fils Ismaël, à la gloire du Dieu unique.
Les hounafas, de « purs adorateurs »
Les Arabes sont leurs descendants. Réputés pour leur courage et leur sens de l’honneur, ils sont fiers de leurs origines et de leur langue, à la fois belle et puissante. Mais, à l’époque de Muhammad, la péninsule arabique connaît une période de décadence et d’anarchie, appelée al-Jahiliyya, le « temps de l’ignorance ». La plupart des tribus arabes sont polythéistes. Près de trois cent soixante statues et idoles côtoient la Kaaba. On trouve néanmoins des chrétiens, des juifs, et quelques fidèles de la religion d’Abraham, appelés hounafa, les « purs adorateurs ». Les faibles et les déshérités sont souvent rejetés et méprisés. La femme n’a aucun statut. Les filles sont malvenues, à tel point que, chez certaines tribus, elles sont enterrées vivantes par leurs parents. Les liens tribaux sont très forts, et les vendettas et conflits sont courants.
La vie du Messager de Dieu
Muhammad appartient au clan des Banou Hachim, au sein de la tribu emblématique des Qoraïch, la plus puissante de La Mecque et la gardienne du temple. Enfant, Muhammad garde les moutons, et suit les caravanes de son oncle à travers le désert. Le jeune Muhammad apprend à gagner sa vie comme commerçant. C’est un homme de parole et de cœur, sincère et droit. Bien qu’il ne sache ni lire ni écrire, nombreux sont les Mecquois qui lui confient en dépôt leurs biens. On le surnomme al-Sadiq al-Amine, « l’homme véridique et digne de foi ». A vingt-cinq ans, Muhammad épouse Khadija, de quinze ans son aînée. Ce sera un excellent ménage. Elle sera sa confidente et, jusqu’à sa mort, son unique épouse. Elle lui donnera deux garçons et quatre filles, parmi lesquelles Fatima qui épousera Ali, dont naîtront deux fils, Hassan et Hossein. Et une fille Zeyneb.
Muhammad n’a aucune affinité avec le matérialisme et le polythéisme de son peuple. D’un tempérament méditatif, il éprouve le besoin de se retirer à l’écart du brouhaha de la ville pour se recueillir, restant pendant des heures à contempler les vastes étendues désertiques et l’horizon, en quête d’absolu
De la retraite spirituelle à la Révélation du Coran
Muhammad n’a aucune affinité avec le matérialisme et le polythéisme de son peuple. D’un tempérament méditatif, il éprouve le besoin de se retirer à l’écart du brouhaha de la ville pour se recueillir, restant pendant des heures à contempler les vastes étendues désertiques et l’horizon, en quête d’absolu. Au cours de sa quarantième année, Muhammad effectue pendant le mois de Ramadan, à la manière des hounafa, une retraite spirituelle dans la grotte de Hira, non loin de La Mecque. C’est alors qu’une nuit, l’ange Gabriel, Jibril, lui apparaît, et lui révèle : « Lis au Nom de ton Seigneur qui a créé ! Il a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le Plus Généreux, qui a enseigné au moyen du calame, Il a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas. »[1] La Parole divine descend dans le cœur de Muhammad. Effrayé, il se précipite chez lui, et se confie à Khadija. Elle apaise ses craintes, et lui exprime sa confiance totale. Khadija sera la première croyante.
La foi et les préceptes de la vie future
Les révélations vont se renouveler, et se préciser. L’ange dicte la Parole de Dieu, et lui, Muhammad, est chargé de la transmettre aux hommes. C’est ainsi que naît, de révélations en révélations, le Livre sacré de l’islam, le Coran. Les versets coraniques parlent de l’unicité de Dieu, de Ses qualités et de Ses signes dans la création, appelant les hommes à L’adorer et à Le connaître, comme but de l’existence sur terre. Ils décrivent la voie droite et ses règles, distinguent entre le bien et le mal, les anges et les démons, la foi et l’impiété. Ils rapportent les récits des prophètes, Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, et bien d’autres, évoquent les peuples anciens, le Jugement dernier, la vie après la mort, le Paradis et l’Enfer.
Autour du Livre et de Muhammad, Prophète et Messager de Dieu, se forme un petit groupe de disciples ou compagnons qui se nomment muslimun, les musulmans, « ceux qui s’en remettent en paix à Dieu », renouant avec la tradition d’Abraham
Après Khadija, c’est Ali, le cousin de Muhammad, alors âgé d’une dizaine d’années, qui reconnaît sa mission prophétique, puis Abou Bakr, son ami fidèle, suivi peu à peu par d’autres hommes et femmes, comme Zayd, Loubana, Bilal, Asma, Othman, Omar, Ibn Massoud, etc. Autour du Livre et de Muhammad, Prophète et Messager de Dieu, se forme un petit groupe de disciples ou compagnons qui se nomment muslimun, les musulmans, « ceux qui s’en remettent en paix à Dieu », renouant avec la tradition d’Abraham. Comme les juifs et les chrétiens, ils accomplissent leurs prières rituelles en se tournant vers Jérusalem.
Premières sourates, premières épreuves
Les notables de La Mecque ne voient pas d’un bon œil cette nouvelle religion concurrente : attirant principalement les pauvres, les esclaves, les laissés-pour-compte, elle risque de nuire à l’ordre établi, et surtout à leurs intérêts. On persécute d’abord les musulmans les plus faibles. Certains s’enfuient en Éthiopie chrétienne où ils sont protégés. Khadija meurt en 620, Abou Talib peu après. C’est au cours de cette triste année que le Prophète va vivre une expérience extraordinaire : une nuit, il est transporté miraculeusement de La Mecque à Jérusalem, puis élevé aux cieux jusqu’aux confins de la création, jusqu’à la rencontre avec Dieu. Après son retour à La Mecque, la vie du Prophète est de plus en plus menacée. En 622, il quitte secrètement La Mecque avec Abou Bakr, et rejoint à Yathrib, une oasis à 350 kilomètres au nord-ouest, une centaine de musulmans qui s’y sont déjà peu à peu installés. C’est l’Hégire, hijra, l’émigration, marquant le début de l’ère musulmane.
Muhammad, Prophète et administrateur de Médine
À Yathrib, devenue Médine, la ville du Prophète, Muhammad est désormais le guide spirituel et chef temporel d’une communauté, qu’il faut éclairer, organiser, et protéger. Administrateur, législateur, commandant, il met en place le « Pacte de Médine », une forme de contrat social définissant les droits et devoirs des citoyens, rassemblant les communautés juive et musulmane et l’ensemble des tribus, autour de valeurs fondamentales : respect du pluralisme, solidarité, sécurité, équité, souci du bien commun. Peu à peu, la communauté musulmane s’agrandit et se diversifie. Une révélation change la direction de la prière rituelle, désormais orientée vers la Kaaba, à La Mecque. Tandis que l’islam s’établit, les musulmans doivent se défendre contre les attaques des armées païennes mecquoises. En l’an 2 de l’Hégire ou 624, ils remportent une grande victoire lors de la bataille de Badr, mais essuient une défaite sévère, à Uhud, en 625. Trois ans plus tard, les musulmans arrêtent une nouvelle attaque mecquoise par un fossé que le Prophète fait creuser autour de Médine. Des tribus arabes font allégeance au Prophète. Il conclut des alliances avec ses voisins.
La fin du règne des idôles
Le traité de Houdaybiyya, en 628, marque une trêve provisoire entre les musulmans et les polythéistes, qui aboutit au retour victorieux du Prophète à La Mecque. En 630, l’armée musulmane conquiert sans combat la ville sainte. On dit que le Prophète fit détruire toutes les idoles et les images qui occupaient la Kaaba, mais qu’il laissa en place une icône de la Vierge à l’enfant qui s’y trouvait. Finalement, la paix s’établit dans toute l’Arabie. En l’an dix de l’Hégire ou 632, le Prophète accomplit le grand pèlerinage à La Mecque – en fait, celui de l’Adieu – durant lequel il adresse ses ultimes recommandations devant des milliers de musulmans rassemblés. Les derniers versets sont révélés. Muhammad s’éteint, quelque temps plus tard, à Médine, dans les bras de son épouse Aïcha. Mais sa lumière, elle, demeure.
[1] Coran, 96 : 1-5.