L’ancien ministre de l’Intérieur et actuel président de la Fondation pour l’islam de France a répondu à une interview de l’hebdomadaire d’extrême-droite Valeurs actuelles. Il y a exposé ses vues sur les musulmans en France et les enjeux autour de la laïcité. Une vision qui peine à dépasser les travers d’un héritage colonial ferryste et sa vocation « civilisatrice ». Zoom.
« La République peut relever le défi de l’islam de France » ; « Il y a 4 à 5 millions de musulmans en France (…) Il s’agit d’en faire des citoyens comme les autres » ; « Nous développons (…) les conditions pour que puisse émerger un islam (…) (qui) s’inscrira naturellement dans les institutions républicaines » … Questionné par le magazine d’extrême droite toujours très friand de Unes tapageuses et bankables sur l’islam, Valeurs actuelles, Jean-Pierre Chevènement a eu l’occasion de se positionner sur la question de la laïcité et de la sempiternelle présence des musulmans en France. Et si des efforts ont été fait en terme de communication (nous y reviendrons), on constate malheureusement que l’actuel président de la Fondation pour l’islam de France n’a toujours pas renoncé à une rhétorique civilisatrice fondée sur le postulat qu’il existe un devoir d’éduquer des populations ignorantes. Une éducation qui permettra de faire un émerger un islam civilisé, ou dans la bouche de l’ancien ministre de l’Intérieur, « cultivé ». « Daesh ne cachait pas sa volonté de créer en France les conditions d’une guerre civile. Nous répondons culturellement, pour tenter de faire émerger un islam cultivé (…) Ceux qui font l’amalgame entre les terroristes et les musulmans tombent, sans s’en rendre compte, souvent dans le piège de Daesh. À plus long terme, l’émergence d’un islam de France cultivé constitue la vraie réponse. »
Un islam cultivé contre un islam barbare
Un islam cultivé contre un islam barbare. Serait-ce là la vieille antienne civilisatrice des héritiers de la Grèce antique contre les hordes barbares de l’Asie, ou plus près de nous, de l’Afrique du Nord ? Ou la désignation exclusive des afficionados de Daesh ? Ce n’est pas aussi simple car cela laisserait entendre que la réalité cultuelle, culturelle et sociale de l’islam en France serait scindée entre un bloc d’affidés à Daesh et les autres, un manichéisme parfaitement illusoire et dans les faits, inexistant. La dangerosité et les efforts qui doivent être mobilisés sur la question des attentats en France n’est pas articulable avec la question musulmane, elle ne l’est pas et ne peut l’être. Les jeunes impliqués dans les attaques du bataclan, du Stade de France ou de l’épicerie casher n’ont pas été formés dans des mosquées et n’ont pas agi sur les ordres d’imams ou d’associations musulmanes ayant pignon sur rue.
Le président Macron a raison de raréfier sa parole sur un sujet (la laïcité) qui a divisé les Français, mais qui ne les divisera plus, pour peu qu’on veuille bien leur expliquer le sens de la laïcité, indissociable de l’héritage des Lumières
Leurs motivations, leurs profils et leurs parcours sont autrement plus complexes que ne voudraient l’avouer certains politologues qui autrement se retrouveraient au chômage et qui ne parviennent pas à saisir l’articulation et l’interaction permanente qui se joue entre des motivations psychopathologiques évidentes (pulsions de morts, soif d’autodestruction, parcours familiaux chaotiques), amplifiées par des trajectoires de violence, d’incarcération et d’exclusions sociales auxquels la vulgate daeshienne a constitué une voie royale d’expression, le catalyseur idéal, la tentative d’une conjuration désespérée, d’une sortie de scène « héroïque », voire plus prosaïquement, un prétexte pur et simple au meurtre. Non, pour M. Chevènement, l’ambition est plus grande : éduquer les musulmans à la laïcité pour qu’ils puissent s’intégrer.
Encore et toujours l’intégration. « Et bien sûr l’intégration de nos concitoyens de confession ou de tradition musulmanes », « Il faut en faire des citoyens comme les autres », ce qui implique qu’ils ne le sont pas, qu’ils sont différents par leurs origines, leur religion et leur habitus. Cette mission humaniste et civilisatrice justifierait donc les entorses à la neutralité religieuse de l’Etat.
L’impératif républicaniste de discrétion des religions
Même si l’actuel président de la Fondation de l’islam de France prend soin de souligner qu’il ne fait aucune ingérence dans les affaires « sacrées » de la religion, une incursion dans le sérail par la grande porte des affaires profanes est tout de même possible. « Pour ce qui est de la formation des imams, enjeu majeur dans l’émergence d’un islam cultivé qui est une autre façon de désigner notre objectif, les pouvoirs publics ne peuvent intervenir que dans le domaine profane : les imams devraient parler français, connaître les institutions de la République et comprendre la signification de la laïcité », explique-t-il. Quant à la laïcité, elle est et demeure le garde-fou public d’une présence intrusive et non désirée des religions, définitivement excommuniées de la Cité, et qui doivent discrètement longer les murs, car paraît-il, la foi divise quand la raison réunit. A fortiori, peut-être, de l’islam qui serait tout à la fois l’objet du « défi », l’acteur qui nous défient et dont il faudrait par conséquent se défier ! « Les citoyens peuvent trouver dans leur foi les motivations ultimes de leurs actions. Mais dans l’espace commun, ils ne mettent pas en avant leur croyance religieuse. Ils s’efforcent de créer, avec les autres citoyens, les conditions qui rendent l’échange possible. La laïcité a une dimension culturelle, car elle encourage les religions à se manifester avec une certaine discrétion dans l’espace du débat public. » Là-encore, la simplicité de la vision laïque de monsieur Chevènement est vite rattrapée par la réalité : « Le président Macron a raison de raréfier sa parole sur un sujet (la laïcité) qui a divisé les Français, mais qui ne les divisera plus, pour peu qu’on veuille bien leur expliquer le sens de la laïcité, indissociable de l’héritage des Lumières. » Donc, au final, la laïcité divise autant les Français que la religion, et osons le dire, que l’usage de la raison.
Des efforts tout de même
Si l’ancien ministre, dont la seule présence à la tête de la Fondation de l’islam de France en dit long sur la place et la perception musulmane de l’Etat français, peine à se sortir d’un vieux logiciel hérité du républicanisme arrogant, ex-colonisateur, d’une conception de l’école comme lieu d’embrigadement laïc et républicain de la jeunesse, et d’une ambition civilisatrice, il a néanmoins fait des efforts dans sa perception égalitaire des Français « récents », au moins dans la communication, bien qu’au final on demeure il est vrai loin du compte au regard des enjeux sociaux. Verbatim. « Ces jeunes sont d’abord des citoyens français ; l’avenir (des jeunes) est en France et avec la France et nulle part ailleurs ; L’algèbre, les algorithmes, des découvertes fondamentales en matière d’astronomie, de médecine, de pharmacie… sont des importations arabes dans notre culture ; nous voulons fortifier l’amitié civique entre nos citoyens, quelle que soit leur confession, et freiner les surenchères mortifères que cherchent à susciter, entre différentes catégories de Français, nos ennemis. ».
A lire sur le même sujet :
–« Français et musulmans », Jamel Khermimoun
–« La laïcité, mode d’emploi », Dounia Bouzar
–« L´islam, la république et le monde », Alain Gresh
–« La mystique de la laïcité », Youssef Hindi