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Le plaidoyer de Mohamed Bajrafil pour la jeunesse musulmane française

Dans son second livre, « Réveillons-nous ! Lettre à un jeune Français musulman », l’imam et linguiste Mohamed Bajrafil s’adresse à la jeunesse française musulmane dans un plaidoyer pédagogique en faveur de la tolérance, de l’altruisme et d’une exigence forte en faveur de la connaissance, remède à tous les fanatismes. Focus.

Mohamed Bajrafil
Mohamed Bajrafil.

Engagé depuis plusieurs années dans la définition et le modelage théorique et pratique d’un islam de France pour le XXIe siècle, Mohamed Bajrafil, imam né aux Comores et établi à Ivry-sur-Seine, docteur en linguistique et auteur d’un premier opus sur le sujet, poursuit son travail pédagogique avec un second livre. Intitulé « Réveillons-nous ! Lettre à un jeune Français musulman » (Plein jour), l’ouvrage apostrophe courtoisement un jeune Français de confession musulmane sur des questions essentielles : qu’est-ce que la foi ? qu’est-ce que la pratique de l’islam ? quels sont les objectifs de la création de l’homme ?, etc. Véritable plaidoyer en faveur de la tolérance, cet ouvrage explore les ressources théologiques, éthiques et juridiques du patrimoine islamique pour en bâtir les fondements et pour témoigner de sa légitimité. Servi par une vaste connaissance des œuvres du classicisme musulman, l’auteur se livre à une réfutation complète des thèses soutenues par ceux qu’il qualifie de tenants de la « bigoterie », expression qu’il associe aux qualificatifs d’ignorance, de haine et de violence. La bigoterie désignant implicitement les adeptes du néo-wahhabisme, et plus généralement les partisans d’un puritanisme et d’une pudibonderie exacerbée.

Du « pharaonisme » aux cinq objectifs de la création de l’Homme

Mohamed Bajrafil

Pour s’y employer, Mohamed Bajrafil tisse le néologisme de « pharaonisme », « l’idéologie qui se prenant pour une religion ou pour Dieu, ne peut s’exprimer que par la force, pour défendre son pouvoir, son existence même ». Rédigé sur un ton tout à la fois humaniste, intimiste et polémique, le livre se veut un appel vers une théologie de la libération de l’homme, dans un va et vient exigent entre tradition scolastique islamique et modernité de nos sociétés. « Cette lettre vise à te réconcilier à la fois avec ton temps et ta religion. Le choix qui consiste à te couper du monde, de ton pays et de ton époque n’en est pas un. C’est celui d’un individu dont le seul but serait de servir son ego, ses passions, et condamné à dépérir comme une plante qui ne se nourrirait que d’elle-même », écrit-il en forme de conseil. Opposant ouvert à l’imitation aveugle (taqlid) en matière de religion, cet héritage du paganisme dit de la période de l’ignorance (al dja’iliyya), Mohamed Bajrafil appelle, au détour d’une autocritique communautaire salutaire, à revisiter les notions de mécréance, de salut, de foi, de « protection de la religion » (hifz ad-din) en rétablissant leur signification et leurs valeurs plénières.

Mohamed Bajrafil : « Je ne crois pas qu’il y ait un racisme d’Etat en France, je pense que les tendances à la fermeture, au rejet de l’autre sont minoritaires dans la société »

A chaque nouvelle étape de la « déconstruction » de la fondation bigote, l’auteur rebâtit une autre demeure de l’islam, conçu comme plus ouverte et en phase avec les enseignements fondamentaux du Coran. C’est précisément le sens de sa présentation d’une forme de téléologie ontologique de l’homme ou aux cinq « objectifs de la création de l’homme » qu’il dénombre : être éprouvé, faire régner la justice, connaître son prochain, croire en Dieu et l’adorer. Cinq objectifs qu’il distingue des cinq finalités de la shar’ia (la protection de la vie, de la religion, de l’intellect, de la filiation et de la propriété, ndlr) par cette justification : « Les trois premiers objectifs, à savoir la vie comme examen, l’équité et la connaissance de l’autre, forment ainsi un tout qui se distingue de la foi et de l’adoration en ce que la vie de l’homme est tout simplement impossible sans eux. Autant, en effet, je peux vivre avec ou sans la foi, avec ou sans une quelconque forme d’adoration, autant je ne peux éviter que sur le chemin de la vie il y ait des difficultés qui m’éprouvent (…) la foi et les pratiques cultuelles varient d’un temps à un autre, voire d’une personne à une autre, et c’est pourquoi j’ai classé les cinq objectifs en allant des questions de relation à la vie et aux autres vers les questions de relation à Dieu : les premières déterminent la forme que prennent les secondes ».

Critique de la notion de racisme d’Etat

On rétorquera à l’auteur que l’homme ne sort jamais véritablement du régime de la croyance, fût-elle athée ou immanente ; que l’essence de la foi (at-tawhid), contrairement à la variabilité des pratiques religieuses, elle, ne varie pas, cette invariance dogmatique et coranique faisant la cohérence de tous les messages prophétiques : il demeure que cette entreprise de relecture actualisée et de redéfinition des concepts cardinaux de la religion, véritable bouffée d’oxygène, est plus qu’utile au lecteur. Au demeurant, ce dernier appréciera le paradoxe qui consiste à réfuter une doctrine (wahhabisme) qui, en son temps se voulait un dépassement, fut-il sectaire, des écoles et des courants historiques de l’islam, donc de la tradition, à la réfuter par un retour à la richesse du patrimoine de la même tradition au service d’une compréhension et d’une application en phase avec l’époque moderne. Un chapitre est aussi, il faut le mentionner, consacré à la France. Mohamed Bajrafil y prend ses distances avec tous les militants qui tombent volontiers dans l’extrapolation abusive de formules telles que « racisme d’Etat » ou racisme français, sans nier son existence, et qui versent dans un idéalisme anglo-saxon, loin d’être une panacée. « Je ne crois pas qu’il y ait un racisme d’Etat en France, je pense que les tendances à la fermeture, au rejet de l’autre sont minoritaires dans la société ». L’imam et linguiste conclut ce livre par un appel en faveur d’un engagement social inspiré des valeurs universelles de l’islam, une religion qui est, se plaît-il à rappeler, comme « un corps » : « Tout ce qui lui est étranger finit tôt ou tard par en être rejeté ».

Fouad Bahri

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