Sofiane Meziani (à droite) en plein débat avec Tariq Ramadan au salon du Livre.
Ecrivain, conférencier, Sofiane Meziani est professeur d’éthique au lycée Averroès à Lille et l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels « Le défi du sens » (édition Albouraq) et le « Petit manifeste contre la démocratie » (édition Les points sur les i). Explorateur de la philosophie et de la littérature européenne, l’homme est un contempteur avéré de la modernité dont il a diagnostiqué, au gré de ses ouvrages, l’échec et les effets multiples de sa perniciosité. Mizane Info retrace quelques-unes des étapes de sa réflexion et de son cheminement intellectuel. Eclairage.
« L’être humain n’a sans doute jamais été aussi asservi qu’à l’heure de la modernité. Aucune dictature n’a été aussi oppressante et pernicieuse que celle du profit. Prisonnier de son autonomie, l’homme moderne est en quête de limites, de repères, pour redonner un souffle à son existence… ». Ces lignes extraites de « Le défi du sens, pour une nouvelle poétique de l’Homme » aux éditions Albouraq traduisent parfaitement le positionnement intellectuel de Sofiane Meziani, un jeune conférencier et écrivain musulman des plus intéressants. Par son profil d’abord. L’homme déteste le vacarme carnavalesque des réseaux sociaux « asociaux ». C’est en vain que vous trouverez un compte facebook à son nom, hormis des homonymes, et si Sofiane à un compte Twitter, son dernier tweet remonte au 27 juin… 2012 ! Libéré des polémiques et des éructations quotidiennes et irréelles des réseaux sociaux, Sofiane s’est lancé depuis plusieurs années dans une vaste entreprise d’exploration, de (re)découverte et de présentation du patrimoine littéraire et philosophique européen inauguré par l’ouvrage co-écrit avec Abderrahim Bouzelmate, « De l’Homme à Dieu, Voyage au coeur de la philosophie et de la littérature » (édition Albouraq).
Tourner définitivement la page de la modernité
Un cheminement qui l’a mené jusqu’aux terres féconde du guénonisme traditionnaliste dont il se fait l’un des chantres les plus efficace. De ce voyage français en terres d’orient, de cette escapade musulmane en contrée européenne, Sofiane acquiert une conviction solide : la modernité a mené l’Homme vers l’abîme. Perte du sens, chute vers les ténèbres de la perdition consumériste, arrogance autodestructrice, les méfaits dénombrés sont multiples et l’auteur s’efforce de les énumérer, dressant sans concession le portrait de celui qu’il nomme « l’Homme creux ». « La modernité c’est l’époque de « la famine temporelle » ; les individus ont en effet l’impression que le temps s’est réduit, qu’il est devenu une denrée rare. Chose pour le moins paradoxale à l’heure ou l’accélération de la technique devrait logiquement permettre une augmentation du temps libre qui, en conséquence, ralentirait le rythme de vie ». « La quantité prime sur la qualité et de cette façon l’individu se retrouve à faire une quantité de choses lais de façon très superficielle (…) L’homme creux (…) n’est rien d’autre qu’un homme éclaté de l’intérieur, un homme en proie à la dépression (…) ne parvenant plus à se focaliser sur un objet. »
Les limites de la démocratie représentative
Une époque terrible et un constat des plus consternant qui se décline en plusieurs opus : le triomphe de la raison instrumentale, le triomphe de l’utilitarisme, le triomphe du simulacre et celui de la cupidité.
L’homme qui est à l’origine de tant de crises et de désastres, en croyant se suffire à lui-même, a programmé sa propre destruction
Cette tragédie en quatre actes célébrée en grandes pompes par une vox populi déboussolée, a pris politiquement une forme fétichiste dans la démocratie ce que Sofiane Meziani dénonce dans son « Petit manifeste contre la démocratie » (édition Les points sur les i). « Notre démarche consiste à défaire la prétention de l’homme qui est à l’origine de tant de crises et de désastres, et qui, en croyant se suffire à lui-même, a programmé sa propre destruction. Il s’agit, en d’autres termes, de faire prendre conscience à l’individu moderne de ses propres limites, notamment en matière de gouvernance, à travers une critique sans concession de la démocratie, et ainsi le conduire à explorer de nouveaux horizons pour sortir du chaos du monde moderne. » Cette critique sommaire et synthétique le mène à soulever pêle-mêle le problème de la représentation politique, le triomphe de l’individualisme et la dictature de l’opinion publique.
L’individualisme contradictoire avec l’intérêt général
Pour Sofiane Meziani, la représentation politique, qui est à la base une délégation du pouvoir par le peuple à des représentants sous forme de mandat pour accomplir sa volonté selon la définition rousseauiste, a été travestie en théâtralisation et mise en scène artificielle sous la houlette des communicants. Il rappelle les réserves émises par Rousseau sur le désengagement que constitue la représentation politique, le citoyen n’étant « plus un membre actif de la société mais un agent oisif de ses propres intérêts ». Déresponsabilisé, hormis le temps de l’élection, le citoyen devient donc spectateur et non plus acteur de son destin politique. La démocratie s’appuie également sur la culture de l’individualisme ce qui là-encore est contradictoire avec l’intérêt général. « Ce sentiment individualiste inhérent à la démocratie empêchera, par ailleurs, le citoyen de prendre part activement à la vie en société car son intérêt privé passe avant l’intérêt général (…) Ce délitement du lien social fait naturellement le lit d’un nouveau despotisme politique (…) force douce et impersonnelle qui installe délicatement la masse dans une servitude de plus en plus volontaire en étouffant en elle toute forme de résistance et de conscience critique par un surplus de commodité matérielle (…) afin de neutraliser en lui toute forme de révolte ou d‘opposition. Véritable stratégie de distraction massive. »
Revenir à l’essentiel du message divin
L’opinion publique est quant à elle vecteur de pensée unique et d’uniformisation des esprits. L’égalitarisme selon Sofiane Meziani représente un nivellement des Hommes vers le bas et l’opinion publique un processus de crétinisation de masse faisant du peuple un troupeau manipulable à souhait selon les intérêts des classes dominantes. Face à ce sombre tableau, quelles perspectives peuvent s’offrir à l’humanité ? Elles sont pour l’auteur de deux ordres différents mais convergents. La première « option » est une perspective qui s’inscrit sur le plan individuel. Il s’agit d’opérer une révolution spirituelle dans sa perception du monde. Face au désert spirituel de la société post-moderne, développer le goût de l’exil extérieur vers la nature, intérieur vers Dieu.
Penser la société, ce n’est pas penser l’institution, c’est penser l’éducation
Contre le vacarme ambiant d’une société carnavalesque, développer le goût du silence, de la solitude et de la méditation. « Ce fut au cœur du silence de ses méditations (celles du Prophète, ndlr) que lui parvint la Paix du Divin, la Révélation. Point de discernement dans le bruit et la gesticulation ». A la menace d’une époque marquée par l’artifice, la superficialité et la convenance, demeurer soi-même, sincère et entier. « Au regard du message islamique, la sincérité, au fond, est une source de liberté et de bien-être car elle décontracte le croyant en l’émancipant du regard de l’autre ».
Un projet politique aux contours difficiles
Sur le plan politique, les propositions de Sofiane Meziani sont moins convaincantes et soulèvent davantage d’interrogations. En droite ligne des idées guénoniennes, il suggère un retour en deux temps vers ce qu’il nomme la cosmologie traditionnelle, paraphrasant les thèses de « Autorité spirituelle et pouvoir temporel ». « Il nous semble donc que la démocratie doit être, très clairement, rejetée en bloc en lui substituant un cadre plus propice à l’ordre et l’harmonie. Ce cadre est celui de la cosmologie traditionnelle, celle qui fait vibrer le lien entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel ». Pour faire émerger ce nouvel horizon, deux moyens sont privilégiés : l’éducation et la constitution d’une institution religieuse œcuménique réunissant des leaders religieux des différentes traditions, institution à laquelle le pouvoir politique serait soumis ! « Penser la société, ce n’est pas penser l’institution, c’est penser l’éducation. Parce qu’il y a un lien étroit entre politique et éducation (…) L’institution n’est qu’un moyen qui s’ajustera à la société telle que façonnée par les individus qui la constituent, selon l’éducation qu’ils auront reçue (…) Une fois que l’atmosphère spirituelle le permettra, notamment grâce à une éducation centrée sur l’intellectualité pure de l’individu, la seconde étape consistera à définir une instance composée d’autorités spirituelles de toutes les confessions – chrétienne, juive, musulmane, hindouiste, bouddhiste – (…) sur lesquelles le pouvoir temporel devra se baser pour l’organisation de la société ». Une vision difficilement applicable et à propos de laquelle l’auteur reconnait volontiers que ses contours doivent être encore peaufinés et son cadre technique défini.