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Tareq Oubrou : la notion de « famille musulmane » a-t-elle un sens ? 1/2

Tareq Oubrou

Tareq Oubrou est l’imam de la Grande mosquée de Bordeaux. Il est l’auteur depuis 2002 de nombreux ouvrages sur l’islam, dont le dernier en date : « Ce que vous ne savez pas sur l’Islam » est paru aux éditions Fayard le 17 février 2016. Dans la première partie d’un texte consacré à l’éducation et à la question de la famille dans la tradition musulmane, Tareq Oubrou revient sur la distinction indispensable entre la compréhension et l’application des principes islamiques avec le contexte socio-historique français.

On entend souvent des discours sûrs et tranchés sur la « famille musulmane » où la mission ainsi que les devoirs et les rôles des uns et des autres y sont clairement et définitivement arrêtés. Mais qu’en est-il vraiment ?

La famille musulmane, un mythe ?

Tareq Oubrou

La famille dont parlent le Coran et la Sunna était à l’image de l’époque. On y trouve des familles polygames avec la possibilité pour l’homme, en plus de quatre femmes, d’avoir des concubines esclaves sans limite ; des familles souvent composées, décomposées et recomposées comme l’atteste la biographie des Compagnons du Prophète ; les femmes libres – et nobles – n’avaient pas d’obligation morale d’allaiter leurs enfants, on payait pour cela des nourrices ; un même père peut avoir des enfants issus de femmes libres et d’autres de femmes esclaves avec des statuts différents ; un homme de plus de soixante ans pouvait se marier avec une fille de neuf  ans, voire plus jeune, etc. C’était un monde qui nous est étranger et qu’aujourd’hui certains veulent reproduire. Au lieu d’appliquer les principes universels du Coran, ils veulent plier la réalité contemporaine pour qu’elle soit conforme aux circonstances historiques (asbâb an-nuzûl) du moment coranique. C’est tout simplement un retour paradoxal aux normes anthropologiques préislamiques et non à l’esprit universel du Coran, qui doit être compris et pratiquer ici et maintenant, dans une forme contemporaine.

Le mariage, un contrat moral et juridique

Le Coran et la Sunna renvoient souvent en la matière à la notion de ma‘ruf (coutumes et normes sociales). C’est pour cette raison que le droit canonique classique (fiqh) classe toutes ces questions liées à la famille dans le répertoire du relationnelle (mu‘âmalâte) qui est évolutif par essence, contrairement à celui du culte (‘ibâdâte) qui reste, lui, invariable (cinq prières canoniques, jeûne du mois de ramadan, pèlerinage, etc). Aujourd’hui, beaucoup de musulmans pratiquent la « fatiha » pour légitimer une relation sexuelle sans en assumer les conséquences juridiques. Cela permet, notamment pour les hommes, de se marier et de divorcer de manière arbitraire et de changer ainsi de partenaires comme on change de vestes.

Une forme de vagabondage sexuel mais avec un « vernis halal ». Ce mariage se fait en présence d’un « imam » de circonstance pour ne pas dire clandestin.  Ce mariage fait par un imam et dans une mosquée est totalement étranger à la nature de l’islam. Aucun canoniste musulman n’en parle dans le contrat de mariage (‘aqd az-zawâj). C’est tout simplement un pur empreint, notamment des religions catholique et orthodoxe, où le mariage est une affaire de sacrement qui passe par un moment rituel dans l’église devant Dieu, représenté par le prêtre, pour recevoir une bénédiction.

Plusieurs options de mariage 

Le droit canonique classique (fiqh) propose une variété de modalités juridiques. Certains sont très restrictifs, donnant un grand pouvoir aux hommes ; d’autres très ouverts, donnant une grande latitude aux femmes. Ces dernières options se réfèrent à un Hadith (Bukhari n°2721 et Muslim 1418) qui stipule que le mariage est un contrat et que si les femmes y rajoutent des closes, celles-ci doivent être scrupuleusement respectées par les hommes. Par exemple : la monogamie, le pouvoir donné à la femme de divorcer par elle-même quand elle le décide (tamlîk), etc.

Le mariage est une réalisation de l’être dans une altérité du genre en vue de transmettre et préserver notre humanité. Nos enfants sont notre prolongement biologique, mais pas spirituel. Nous avons l’obligation de leur transmettre des valeurs spirituelles et morales solides qui leur donnent la possibilité de se construire et d’évoluer dans le monde à partir de leur personnalité et leur singularité propre, car chaque enfant est différent

Dans le contexte qui nous concerne, en France, et pour garantir l’intérêt (maslaha) des deux parties ainsi que celui de leurs enfants, le mariage des musulmans français doit avoir une couverture juridique française quelle que soit l’option éthique musulmane choisie par le couple.

Le mariage, un pacte solennel

Le Coran (4 : 21) parle d’un pacte solennel (mîthâq ghalîdh), scellé entre l’homme et la femme. Le sentiment d’amour y est nécessaire, mais il ne permet pas toujours au couple de résister aux tempêtes de la vie contemporaine, de plus en plus instable, avec des connexions et des frottements multiples avec un réel qui se confond avec un virtuel déroutant. Le Coran (30 :21) parle plutôt de tendresse (mawada) et de Miséricorde (rahma). C’est peut-être parce que ces deux notions sont plus authentiques qu’un simple sentiment charnel ou une simple attirance physique, sauf dans le cas où ce sentiment d’amour intègre la tendresse et la miséricorde. À ce niveau sémantique il ne faudrait pas confondre amour et sexualité. Néanmoins cette dernière demeure importante, car un minium d’affinité sexuelle peu contribuer à assurer une stabilité dans le couple. Mais elle n’est pas suffisante. D’autres facteurs sont indispensables pour réussir et entretenir le couple : avoir un projet de vie commun construit autour d’un minimum de culture et de tradition partagées (ce que les malikites appellent al-kifâya) mais surtout un accord commun sur une lecture globale de la religion. Ces facteurs, entre autres, sont aussi des préliminaires essentiels pour l’éducation des enfants.

La famille, un lieu de transmission

Le mariage est une réalisation de l’être dans une altérité du genre en vue de transmettre et préserver notre humanité. Nos enfants sont notre prolongement biologique, mais pas spirituel. Mais nous ne leur léguons pas que des gènes. Nous avons l’obligation de leur transmettre des valeurs spirituelles et morales solides qui leur donnent la possibilité de se construire et d’évoluer dans le monde à partir de leur personnalité et leur singularité propre, car chaque enfant est différent. Par conséquent il faudrait éviter l’erreur qui consiste à préparer des moules pour nos enfants en leur imposant des trajectoires bien tracées. Cette vision est très violente pour les enfants, mais aussi pour les parents. Car là où il y a des attentes, il y a souvent des déceptions.

Tareq Oubrou

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