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2020 : l’incontournable islam 1/2

Quelle sera la place de l’islam comme système de croyances et de valeurs dans les ravages d’une mondialisation que plus rien ne semble pouvoir arrêter ? Pour Ousmane Timera, cette place sera de premier choix mais dépendra essentiellement de la nature de l’engagement des musulmans eux-mêmes dans le domaine de la pensée et de la pratique. Une contribution que publie Mizane.info.

2020. De sombres nuages s’amoncellent avec un cortège de grondements. Ils n’annoncent rien de bon, je le crains, pour les africains, les musulmans et l’humanité. Tant la logique de domination et d’exploitation continue de commander les grandes orientations de la civilisation humaine.

Les crises et les politiques qui les provoquent, menées par la concurrence économique et géopolitique des grandes puissances, envers et contre les populations citées, ont de quoi nous rendre inquiet.

Si nous ne combattons pas nous disparaîtrons. Car c’est notre existence et sa promesse qui empêchent leur totale domination. Mais ne voient que ceux qui croient.

Il nous faut nous armer. Non pas de balles mais de pensée et de profondeur. La guerre, car s’en est une, se gagne avant tout dans les idées qui orientent l’action.

La pensée profonde, autonome et créative, voilà ce qui manque à nos révoltes pour qu’elles deviennent une révolution créatrice. Il y manque la foi qui fécondera nos « non » pour leur donner un « nom ».

C’est l’héritage d’Adam à qui furent enseignés tous les noms. Nos rejets nationaux doivent se transformer en projet cosmique « par le nom de ton Enseigneur qui a créé ». Plus qu’une alternative, il faut une refondation.

Il s’agit de dépasser le modèle de civilisation actuel et sa mondialisation fondés sur un paradigme de réduction, de division, d’opposition et d’uniformisation scientiste, technologique, technocratique, économique et culturel de la réalité naturelle et sociale.

Un paradigme qui s’incarne politiquement en entres-soi dorés et oligarchiques qui fabriquent des ghettos d’exclus, en « clash des civilisations », en « identités meurtrières », en « concurrence libre et non foncée », en discrimination envers les non blanc, les pauvres et les « minorités et minoritaires », en culture de la violence et enfin en exploitation et destruction de la vie spirituelle et naturelle des peuples.

Il ne s’agit plus de résister mais d’initier et de gagner. Il en va de notre sort à tous. C’est le vrai djihad que nos stupidités manipulées veulent enterrer dans la destruction terroriste et les résistances immédiates de bas étages, pour le bonheur de la domination qu’ils disent combattre mais qu’ils servent. Pire que l’ennemi, c’est l’ami stupide.

L’erreur de Hegel

Initiée par les printemps arabes, qui marquent à notre avis le début véritable du 21e siècle, la lutte actuelle et concomitante des peuples, dans le Monde Arabe, en Afrique, en Amérique du sud, en Europe et en Asie, a besoin de s’insérer dans une vision spirituelle et cosmique qui lui dessine les voies (shari’a) d’un autre model de civilisation, fondé sur la transcendance divine, la dignité humaine, la reliance et amitié cosmique et une politique de civilisation conciliatrice des dimensions célestes spirituelles et terrestres matérielles de l’être humain. En somme une « poélitique ».

Or l’Islam et le monde musulman, en leur évolution, détiennent les clés de l’avenir du monde. Ce n’est pas là une déclaration fanatique ou romantique.

La centralité géographique, géopolitique, géostratégique et géo-économique des pays musulmans, de Dakar et à Djakarta ; son omniprésence dans les débats et obsessions de l’occident en crise identitaire et économique, sérieusement concurrencé par les pays asiatiques, qui eux aussi en partie (la Chine, l’Inde, la Birmanie etc.) s’engouffrent dans un délire identitaire et islamophobe ; la dynamique démographique des populations musulmanes et africaines ; et enfin la vitalité symbolique intrinsèque de l’Islam.

Ce sont tous ces éléments qui lient l’avenir de cette religion à celui du monde et qui déjouent le pronostic du philosophe Hegel sur elle, lorsqu’il en avait fait à son époque (XVIIIe-XIXe siècle), une religion du passé qui n’avait plus de rôle majeur à jouer dans les affaires du monde.

Ceci indique le caractère incontournable de l’Islam et des musulmans pour l’avenir du monde et du devenir de son ordre actuel. Soit ils s’intègrent à lui ; soit ils le transforment radicalement. Mais l’entre deux n’est plus de mise.

Ceci, par rapport à l’omniprésence de la question de l’Islam dans les préoccupations et agendas internationaux et nationaux des grandes puissances.

Mais il nous faut pousser plus loin l’analyse, si nous voulons comprendre en profondeur la centralité de l’Islam et les enjeux de la réforme (et non sa réforme) qu’il porte par rapport aux besoins actuels de l’humanité et les défis, en conséquence, que doit relever la pensée philosophique et religieuse universelle d’une part et musulmane d’autre part, qui elle, par contre, doit absolument se réformer pour se mettre à la hauteur, non de l’occident, mais du Coran et de la phase cosmique et mature de l’évolution actuelle de l’humanité.

A lire également : Fouad Bahri : «L’islam est porteur d’un renouveau de la pensée dont les intellectuels musulmans ne soupçonnent pas l’ampleur»

Deux points sont à mettre en évidence pour rendre compte de cette centralité civilisationnelle de la question islamique : les fondements théologico-philosophiques de la mondialisation actuelle d’une part et d’autre part la nature des revendications exprimées par les peuples et ce que celle-ci indique sur le plan philosophique.

C’est adossé à ces deux points, qui seront traités dans les parties suivantes du présent texte, qu’ensuite nous mettrons en exergue la vision de l’Islam telle qu’elle s’exprime dans la révélation, pour constater par la suite la correspondance parfaite qui existe entre la situation actuelle du monde et le projet de l’Islam, telle que porté par la vision du Coran.

Il s’agira après cela, de saisir la nature des forces négatives, internes et externes à la communauté musulmane, qui agissent pour empêcher l’émergence et la réalisation de cette promesse.  Les dessous philosophiques de la mondialisation actuelle qui expliquent pourquoi l’islam est incontournable pour l’avenir du monde.

Poussons plus loin encore la réflexion sur les dessous philosophiques de la mondialisation.

La double généalogie mondialiste

Cette encapsulation ou emprisonnement de l’être humain dans sa dimension naturelle et dans les lois de la nécessité, de la concurrence et de la sélection/élection naturelle, sera philosophiquement théorisé par la pensée spinozienne et hégélienne, cette dernière opérant un retour, voire une régression (à notre avis) vis-à-vis des acquis de la modernité et de la pensée, notamment avec Emmanuel Kant, et la distinction qu’il établit entre les phénomènes (ce qui appartient au champ de l’expérience et de la science) et les noumènes (ce qui ne peut faire l’objet d’expérience mais que la raison accepte et pense) qui transcendent les premiers.

C’est cette distinction qui permet le dépassement de la nécessité naturelle et l’existence de la dimension supérieure spirituelle, de la liberté et de la créativité, et que Ghazali nommera « le stade de ce qui est après la raison » (bien qu’il donnera à ce concept un contenu mystique qui pose problème à notre avis. Mais c’est un autre débat que nous traiterons en d’autres occasions).

C’est cette distinction nécessaire pour établir la loi morale, fondée sur la dignité de l’homme et sa spécificité en raison de la dimension spirituelle qu’il porte, et qui ne peut se confondre avec l’ordre de la nature et de l’histoire.

C’est cette distinction disions-nous, qui sera annulée par la pensée de Hegel, reprenant le cœur de la philosophie de Spinoza (qui intègre l’essence de Dieu dans la nature et le monde) tout en la critiquant. En leur dénominateur commun, pour Spinoza comme pour Hegel, la réalité divine se confond avec celle du monde tel qu’il est.

Hegel.

En d’autres termes, il n’y a pas « d’au-delà » de ce monde qui l’orienterait vers le mieux et le meilleur, car l’ordre du monde est la réalité même de Dieu, qui s’y est incarné et s’y réalise. Il est donc absolu (c’est-à-dire que rien n’est au-dessus et il se suffit à lui-même).

La différence essentielle entre Hegel et Spinoza, se trouvera dans l’entité ontologique qui recevra/dévorera l’entité divine pour uniformiser ensuite la réalité et « unidimensionnaliser » l’homme (car l’idée de Dieu façonne l’idée de l’homme).

Ainsi pour Spinoza il s’agira de la nature qui absorbe l’essence de Dieu ; pour Hegel il s’agira de l’histoire qui absorbe l’essence divine. Mais dans les deux cas, le déterminisme est régnant.

Et la place à toute idée d’un monde métaphysique et métahistorique qui fonde la liberté et la morale et les possibilités infinies d’un monde, et qui n’obéit pas aux règles de ce monde de nécessité mais les fonde, est inexistante et devient une chimère.

Les étapes historiques du naturalisme moderne

Marx (et Feuerbach aussi d’ailleurs) ne feront que reprendre en son essentiel cette idée, ce en allant au bout de la pensée hégélienne (qui fait de l’histoire l’incarnation de Dieu qui se réalise dans le monde): le reniement de toute transcendance et de Dieu (qui devient une création de l’homme), et la réduction de la conscience à ce monde (débarrassé du dieu qui ne se distinguait plus de la nature ou de l’histoire) et ses règles naturelles-historiques, faite de contradictions, de lutte et d’élimination au profit du plus fort, qu’il s’agit de prendre pour la raison d’être du monde et de l’homme.

Ainsi, après la divinité, c’est l’humanité qui se fait absorber et diluer dans ces lois répétitives et indifférentes à la qualité, à la beauté et à l’esprit.

L’homme, n’ayant plus de principe supérieur qui fonde sa supériorité, devient (un) moyen et adopte alors pour morale les règles qu’il découvre dans la nature et/ou les outils et idées qu’il invente dans l’histoire, et tente de se soumettre et de s’adapter à elles.

C’est cela même qu’est l’idolâtrie des choses (la nature, ses éléments et les origines) ou des idées (l’histoire, les ancêtres et les origines) telle que le Coran le décrit à merveille. L’être humain alors se perd et se fond dans les lois aveugles du fonctionnement mécanique du monde physique et biologique.

Ce qui est, et que l’on croit connaitre totalement, devient ce qui doit être et ce qui doit être fait. Il n’y a plus alors de mystère /ghayb ou de limite à la raison et au savoir ; et il n’y a pas, de morale, de limite et d’interdit qui oriente la volonté et l’action.

C’est l’illusion du savoir absolu et celle du droit sans limite de jouir, avec pour seule limite ce que nous impose la nature en attendant sa domination, même si cela a pour conséquence la destruction de la vie biologique et symbolique.

L’économisme capitaliste ou communiste, le monothéisme néolibéral du marché, l’adoration de la concurrence libre et non faussée, le consumérisme, le nationalisme, le suprématisme identitaire, racial, culturel ou ethnique, ou l’obnubilation pour une gouvernance des êtres humains fondée sur le chiffre et le calcul au travers d’indicateurs cybernétiques, contre la gouvernance humaine morale et démocratique.

Ousmane Timera.

Toutes ces choses qui se transposent dans vies quotidiennes et qui empoisonnent la civilisation humaine, ne sont que la transposition, idéologiquement construite, de cette vision naturaliste, animaliste et scientiste de l’être humain, coupé de toute transcendance divine, après que cette dernière fut en amont falsifiée et détruite, en la diluant dans la nature, l’histoire ou l’homme.

La mondialisation et globalisation actuelles, et la civilisation qui en a inspiré l’esprit et reste son moteur principal, ne causent ainsi les crises économiques et les désastres écologiques qui abîment tant l’humanité et le monde, qu’en raison de cette séparation du spirituel et du temporel, et l’exclusivisme qu’elle donne à la gestion et jouissance plate et quantitative de l’ici-bas.

Elle se contente des moyens et elle combat férocement les fins. En d’autres termes, elle idolâtre le corps qu’elle oppose à l’esprit qu’elle combat. Et elle emprisonne et veut réduire l’existence à sa réalité éphémère, instinctive et instantanée.

L’Homme ainsi fait la guerre à l’Humain pour le transformer angéliquement ou diaboliquement, selon le prisme idéaliste ou naturaliste dans lequel la domination tente de l’appréhender.

Nous touchons ici au fondement religieux judéo-chrétien de la mondialisation que Spinoza et Hegel n’ont que philosophiquement conceptualisé.

Il nous faut donc interroger les religions juive et chrétienne dans le rapport au monde qu’elles ont instillé dans les consciences et européenne et américaines et les philosophies hégéliennes et spinoziennes qui inspirent l’esprit de la mondialisation actuelle.

A suivre…

Ousmane Timera

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