« Saint Thomas » par Vélasquez.
Dans sa dernière chronique publiée par Mizane.info, Dawud Salman interroge les rapports entre le questionnement et la connaissance, envisagée d’un point de vue général, mais aussi dans ses rapports avec le cheminement spirituel.
S’interroger, c’est ce qui caractérise l’être humain depuis son existenciation.
Le questionnement est la base-même de la foi, puisque l’être humain admet et reconnait sa finitude et son impuissance à être omniscient, il lève donc son regard vers le ciel, observe son environnement, affine son esprit, et développe ses capacités dans la perspective de mieux connaitre la Source de l’existence (que l’on identifiera à Dieu/Allâh/Être Divin/etc., c’est-à-dire le Principe Ultime, ou la Réalité absolue et éternelle, duquel les mondes limités et choses créées dépendent), le monde dans lequel il vit, et il désire également mieux se connaitre lui-même.
Si le questionnement est animé par la volonté de s’élever au-delà de sa condition actuelle, et dans le but de mieux se rapprocher de la Vérité tout en développant les vertus spirituelles et morales, l’être humain subira un changement intérieur qui se reflétera à l’extérieur de façon « positive ».
Si par-contre cette volonté ne sert qu’à alimenter son ego et à dominer les autres pour mieux assouvir ses intérêts matériels, les effets seront de même nature, et ne seront nullement élévateurs chez cette personne.
Le questionnement comme cheminement initiatique
Se poser de bonnes questions fait partie du cheminement spirituel de tout croyant.
Mais ce questionnement doit avoir un sens et un impact dans sa vie quotidienne, pour éviter de se perdre dans des spéculations et des conjectures sans aucune utilité.
Il doit aussi établir une liste des priorités et se focaliser en premier lieu sur les fondements dans la connaissance du Divin, de Ses Attributs et de Ses Actes, puis de la connaissance en rapport avec la perfection de la foi, des rites exotériques, de l’éthique, de la vie spirituelle, et ne pas se perdre dans des divergences interminables ou des détails qui s’écartent de la tranquillité de l’âme et des finalités de la religion.
Le croyant ne doit pas négliger non plus les questions et solutions sur la médecine et les « sciences de l’esprit », sur l’impact environnemental et la préservation des règnes végétal et animal.
Comme l’indique le Qur’ân, l’aspiration au Divin passe aussi par un regard porté sur Sa Création et donc nous-même, en tant que moyen de mieux connaître Allâh, car comme le dit un hadith prophétique « qui connaît son âme, connaît son Seigneur » (hadîth rapporté notamment par al-Hakîm at-Tirmidhî, et authentifié par voie spirituelle par tous les maîtres spirituels comme Al-Junayd, Rûmî, Al-Ghazâlî, Al-Jilânî, etc.).
Le questionnement n’est donc pas un mal en soi, et s’il découle d’une bonne intention afin d’atteindre un noble objectif, il permet à l’individu de se libérer intérieurement des pressions et croyances extérieures imposées (inconsciemment très souvent) par la société dans laquelle il vit.
Se poser des questions ne suffit pas. L’intelligence se caractérise surtout par le fait de (se) poser les bonnes questions, et non de se perdre dans des interrogations confuses sans aucune utilité dans le fond, ou en faisant du questionnement une fin en soi, là où il ne doit être qu’un moyen en vue d’une fin qui lui est supérieure, c’est-à-dire la connaissance et la sagesse, sans quoi le questionnement et l’étonnement n’auraient aucune raison d’être.
S’interroger et méditer (1), mènent à la libération intérieure et à s’élever au-dessus des croyances héritées et imitées souvent aveuglément, que ces croyances ou pratiques aient un fondement légitime ou non est encore une autre question.
Le Qur’ân insiste beaucoup sur la réflexion intégrale et permanente que doit mener le croyant dans son cheminement par rapport au Texte sacré. Citons par exemple les versets suivants :
« Ne méditent-ils donc pas sur la Parole (le Qur’ân) ? » (Qur’ân 23, 68).
« Ne méditent-ils pas sur le Qur’ân ? Ou y a-t-il des cadenas sur leurs cœurs ? » (Qur’ân 47, 24).
« [Voici] un Livre béni que Nous avons fait descendre vers toi, afin qu’ils méditent sur ses versets et que les doués d’intelligence réfléchissent ! » (Qur’ân 38, 29).
En dehors même de la méditation du Qur’ân, Dieu (Allâh) enjoint les croyants à intégrer dans leur perspective holistique et spirituelle, les différents types de savoir utile et louable, faisant intervenir les mathématiques et l’archéologie, la paléontologie et la biologie, l’histoire et la sociologie, les neurosciences et la psychologie, l’économie et la logique, la botanique et la zoologie, l’astrophysique et la physique, la médecine et la chimie, etc.
Le sens véritable du questionnement
La clairvoyance est aussi une qualité du croyant, et cette qualité lui évite de tomber dans le questionnement superficiel, l’imitation aveugle ou la spéculation sur des questions qui n’ont aucun intérêt en soi.
De nos jours, beaucoup de personnes aiment bien se poser des questions sans utilité, ou alors des questions très secondaires sur des détails peu importants (nous pensons ici notamment aux gens à la mentalité rigoriste qui se perdent dans un flot de détails secondaires au point de dégoûter les gens ou d’oublier l’essentiel de l’islam qui réside dans la doctrine, les rites, l’interdiction des péchés catégoriques et le bon comportement), mais négligent pourtant les enjeux fondamentaux de notre temps, la connaissance de Dieu, l’accomplissement de la prière, la charité envers les nécessiteux et les pauvres, le bon comportement, l’accomplissement de ses engagements, etc.
Substituer ainsi la recherche à la connaissance, c’est tout simplement renoncer à l’objet propre de l’intelligence, et l’on comprend bien que, dans ces conditions, certains en soient arrivés finalement à supprimer la notion même de la vérité, car la vérité ne peut être conçue que comme le terme que l’on doit atteindre, et ceux-là ne veulent point de terme à leur recherche. René Guénon
Nous sommes amenés à nous questionner pour savoir si notre cheminement nous mène à nous rapprocher de Dieu (Allâh) et des bonnes œuvres, si nos actions permettent de soulager les maux des opprimés, si nous évitons de polluer notre écosystème, si nous préservons les animaux de nos méfaits, si notre famille ne manque de rien (dans ce qui est essentiel), si nos voisins et nos proches sont bien respectés, si nous pouvons subvenir aux besoins des pauvres ou des victimes de la guerre, etc.
Par le questionnement, le croyant s’élève vers une meilleure compréhension et disposition à l’égard du Divin, du monde et de soi-même, il déconstruit certaines croyances erronées ou s’éloigne des pratiques n’ayant pas de fondement ou ne comportant aucun bien.
S’interroger, c’est se détourner de l’impuissance humaine pour tendre vers la Puissance Divine, sortant ainsi de l’ignorance pour bénéficier de la Sagesse Divine selon nos prédispositions et les dons qu’Il accorde à qui Il veut.
Un questionnement sain et sincère, ne peut que rapprocher du Divin, même par des voies que l’on pensait improbable ou inimaginable, car le questionnement est le signe de la sincérité et de la volonté de sortir de son ignorance pour combler nos lacunes ou des préjugés tenaces.
« Le goût maladif de la recherche » vu par René Guenon
Se poser des questions ne suffit pas. L’intelligence se caractérise surtout par le fait de (se) poser les bonnes questions, et non de se perdre dans des interrogations confuses sans aucune utilité dans le fond, ou en faisant du questionnement une fin en soi, là où il ne doit être qu’un moyen en vue d’une fin qui lui est supérieure, c’est-à-dire la connaissance et la sagesse, sans quoi le questionnement et l’étonnement n’auraient aucune raison d’être et donc aucune utilité.
A ce sujet, le métaphysicien René Guénon faisait remarquer d’ailleurs que :
« Le goût maladif de la recherche, véritable « inquiétude mentale » sans terme et sans issue, se manifeste tout particulièrement dans la philosophie moderne, dont la plus grande partie ne représente qu’une série de problèmes tout artificiels, qui n’existent que parce qu’ils sont mal posés, qui ne naissent et ne subsistent que par des équivoques soigneusement entretenues ; problèmes insolubles à la vérité, étant donnée la façon dont on les formule, mais qu’on ne tient point à résoudre, et dont toute la raison d’être consiste à alimenter indéfiniment des controverses et des discussions qui ne conduisent à rien, qui ne doivent conduire à rien.
Substituer ainsi la recherche à la connaissance (et nous avons déjà signalé, à cet égard, l’abus si remarquable des « théories de la connaissance »), c’est tout simplement renoncer à l’objet propre de l’intelligence, et l’on comprend bien que, dans ces conditions, certains en soient arrivés finalement à supprimer la notion même de la vérité, car la vérité ne peut être conçue que comme le terme que l’on doit atteindre, et ceux-là ne veulent point de terme à leur recherche ; cela ne saurait donc être chose intellectuelle, même en prenant l’intelligence dans son acception la plus étendue, non la plus haute et la plus pure ; et, si nous avons pu parler de « passion de la recherche », c’est qu’il s’agît bien, en effet, d’une invasion de la sentimentalité dans des domaines auxquels elle devrait demeurer étrangère. »
Dawud Salman