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A propos du consensus (ijma’) 2/2

Seconde partie du texte de Dawud Salman consacré à la notion de consensus juridique (ijma’). L’auteur, après avoir rappelé la divergence des conceptions relatives au consensus, propose quelques repères au lecteur contemporain pour mieux s’y retrouver.

Quand nous lisons donc des savants qui affirment que « le consensus dit ceci ou cela », cela peut avoir plusieurs sens.

Il est par ailleurs connu aussi que certains savants, utilisaient la notion de consensus, soit par légèreté, soit dans un sens restreint, soit par ignorance, ou encore par partisanisme extrême.

1) Soit il est question de l’avis partagé par tous les savants musulmans reconnus comme étant des « savants », même ceux jugés déviants ou hérétiques par d’autres.

Ce cas est, à notre connaissance, inexistants, sauf si l’on accepte tous les savants « raisonnables » qui s’appuient sur le Texte du Qur’ân et affirment l’existence, puis l’obligation doctrinale et juridique, de la prière ou du jeûne du mois de Ramadan, ou du grand pèlerinage (Hajj), ou de la Zakâh, etc.

2) Soit il faut entendre par là seulement l’avis partagé par tous les grands savants, seulement sur certaines questions précises qui concernent les fondements doctrinaux, éthiques et juridiques de l’Islam.

Là aussi, à part quelques points au maximum, nous ne connaissons pas d’autres consensus possibles, sachant que sur toutes les subtilités de la doctrine, des rites, des questions juridiques et de la politique, les divergences ont émergé à partir des disciples des sahaba de façon importante.

3) Soit il faut comprendre que c’est l’avis partagé par tous les savants réputés fiables (pieux, honnêtes et compétents) à l’époque du savant qui avance le « consensus » sur une question donnée.

4) Il peut s’agir aussi de l’avis retenu par la plupart des savants connus, d’une école juridique ou théologique particulière.

5) Parfois, tout simplement, il s’agit d’un avis personnel qu’un savant aimerait imposer en invoquant un argument d’autorité pour justifier son opinion. Cela s’est produit à de multiples reprises dans l’histoire du monde musulman.

Mosquée de Süleymaniye à Istanbul.

Dans les différents traités de ‘aqida ou de fiqh, la méfiance est donc la règle générale, lorsque l’on voit un savant évoqué le « consensus », surtout qu’en raison d’un esprit partisan et de querelles parfois véhémentes, beaucoup exagéraient dans leurs surenchères doctrinales ou politiques, au point d’exclure de l’Islam, du sunnisme (ahl al sunnah), du shiisme (pour les querelles intra-shiites), du mu’tazilisme et autres.

On voit ainsi des savants issus des différentes écoles, dont certaines qui se réfutaient mutuellement, invoqués le consensus, pour contrer le « consensus » avancé par l’autre école.

Il y a encore les cas où des savants n’avaient même pas connaissance des avis qui pouvaient exister dans d’autres courants comme les ibadites ou les zaydites (des premières générations), et qui comptaient pourtant de très grands savants pieux et érudits, très attachés aussi au Qur’ân, à une certaine conception de la Sunnah, à la logique et à la langue arabe.

D’autres fois encore, des savants, ont mal compris ou ont sciemment déformé les propos et positions d’autres savants ou d’autres courants, en généralisant abusivement.

Les différents types de consensus

Il y a différents types de consensus, comme ceux liés à la théologie, à la politique, à la jurisprudence, aux questions scientifiques (médecine, astronomie, physique, etc.), à la spiritualité, etc.

Sur les questions qui ne dépendent pas d’un savoir instable et temporaire, tels que la théologie, la morale universelle (on ne parle pas d’ici de l’éthique en lien avec les nouvelles technologies), les principes de la politique (contrairement aux modalités temporelles), etc., un consensus établi à une époque donnée, – celle des sahaba par exemple -, n’a aucune raison objective d’être remise en question.

Ce n’est par contre pas le cas de questions qui évoluent en même temps que les modalités temporelles, telles que la médecine, l’astrophysique, les nouvelles technologies, certains aspects en lien avec la psychologie, etc.

Par exemple, si de nombreux savants à une époque donnée, ont rejeté la théorie des « multivers », et que, avec le temps, des preuves diverses deviendraient accessibles aux gens pour suggérer fortement l’idée qu’il existerait aussi d’autres « mondes » de nature physique, l’avis majoritaire, ou le consensus théorique, ne fera plus office de « norme légale », et deviendra caduque.

D’autant plus que cette théorie ne se trouverait pas contredite par le Qur’ân en soi.

Sur des questions portant sur les valeurs (la gentillesse, la noblesse, la générosité, le pardon, la justice, l’équité, etc.) ou sur la théologie ou la métaphysique, nous savons qu’il ne peut être question de « changement », car ne dépendant ni des instruments scientifiques, ni des pratiques culturelles, ni du temps ou de l’aire géographique, l’humain devant tout le temps (et partout) se comporter de façon honorable, honnête, intelligente, sage, responsable, etc.

La divergence et l’incertitude sur d’autres sujets, ne doivent pas nous effrayer et nous déstabiliser, car cela fait partie de la quête humaine, qui rend passionnante la recherche, et qui doit justement nous pousser à l’humilité, à nous rapprocher du Divin et à la réflexion.

Ce type de consensus ne saurait donc être nuancé ou abrogé, comme essaient parfois de le faire les « réformistes » de type « moderniste », surtout dans leur tendance « extrémiste » (un extrémisme dans le laxisme, puis un extrémisme dans leur opposition aux « traditionnalistes »).

A part ce qui coule de source (Unicité Divine, 5 piliers de l’Islam, 6 piliers de la foi, valeurs éthiques, statut épistémologique du Qur’ân, etc.), tout le reste a fait l’objet de divergences.

Même dans les Ussul il y a eu des divergences entre les salafs.

Il y a eu quelques consensus contemporains également, comme le fait de s’acquitter de la dette du défunt, l’insémination artificielle, l’interdiction de l’ivresse ou des substances dangereuses comme la drogue, etc., ce qu’aucun savant sunnite, shiite duodécimain, ibadite, mutazilite ou zaydite, ayant étudié le droit, la langue arabe et qui est connu pour sa pratique religieuse et ne pas vivre en débauché en public, n’a contesté.

Les réformistes qui veulent rejeter en bloc cette notion se contredisent aussi, car leur position ne fait pas consensus.

Par ailleurs, sans un certain nombre de consensus pratiques en société, la stabilité et le vivre-ensemble seraient impossibles.

Dans la théologie, néanmoins, il faut mettre en garde contre l’ignorance ou le fanatisme de certains savants, qui se sont précipités, lorsqu’ils parlaient d’un consensus alors que ce n’était pas le cas, et que les divergences portaient souvent sur des points non-évoqués par le Qur’ân, ou sur des divergences d’interprétations sur des versets qurâniques reconnus par tous (sunnites divers, shiites divers, mu’tazilites, etc.).

D’anciens savants furent très prudents lorsqu’ils s’exprimèrent, et dirent : « Selon mon avis, cela est fortement déconseillé ou détestable (makrûh) » sans affirmer que telle pratique était catégoriquement illicite (harâm), car des éléments divers pouvaient nuancer ce jugement ou porter à croire qu’un autre avis était possible, voire même tout aussi pertinent.

D’autres étaient aussi très prudents et dirent : « Nous ne connaissons pas des savants ayant divergé sur cette question parmi ceux que nous connaissons », car il se pourrait très bien qu’il existe d’autres savants qui adopteraient d’autres avis sans que l’on en soit conscient (sachant qu’il existe, depuis la génération des salafs, des milliers de savants, même si tous n’ont pas atteint le même degré de piété, de perspicacité spirituelle ou de science au sens exotérique).

En général, les musulmans qui se contentent de ne s’instruire qu’auprès de quelques références, n’ont pas conscience et connaissance de toutes les divergences, et se forgent ainsi un esprit étriqué, une mentalité rigoriste ou sectaire, et sont pétris de multiples préjugés.

Or, en prenant conscience du fait que de grands savants ont divergé, cela ouvre l’esprit, nous incite à nous tourner vers Dieu (Allâh), à vouloir approfondir notre savoir, à aiguiser l’esprit et le sens critique, à faire preuve d’humilité, à être indulgent sur les questions de ce genre, et à intérioriser la richesse que représente la divergence, lorsqu’elle repose sur des principes et des valeurs nobles, et qu’elle mène à la générosité, à la compassion, à la clémence, à la piété et à la modestie.

Comment s’y retrouver dans tout cela ?

Le patrimoine islamique étant le plus riche de l’Humanité sur de nombreux sujets, il faut savoir que l’Islam comporte d’une part, des principes et finalités universelles et inaliénables, auxquels tous les musulmans doivent se rattacher, car reposant sur des certitudes et des convergences de preuves et d’arguments probants, pour quiconque se refuse à l’hypocrisie et au mensonge bien évidemment : le Qur’ân est un argument en soi, de même que le bon sens de suivre la Tradition prophétique conforme au Qur’ân, à la sagesse et à la justice.

Les 5 piliers de l’islam (évoqués de façon éparse dans le Qur’ân, et mis en pratique par le Prophète et ses compagnons, et par des dizaines de milliers de musulmans de toutes les tendances à chaque génération), les 6 piliers de la foi (évoqués aussi dans le Qur’ân et la Tradition prophétique), les valeurs éthiques, les grandes obligations et les interdictions catégoriques (meurtre d’innocents, viols, vol, agressions physiques, banditisme, fornication, sorcellerie, adultère, ce qui conduit potentiellement à l’ivresse physique et mentale comme les boissons alcoolisées ou les substances nocives, la maltraitance parentale/infantile/conjugale/animale, etc.).

Le Qur’ân affirme avec force également, que Dieu (Allâh) est Unique et sans pareil, qu’Il n’est pas une entité physique soumise aux modalités de Sa Création, et qu’Il possède des Attributs et des Noms qui sont à la fois réels et opératifs, mais qui ne sont pas des organes physiques, car ceux-ci sont spécifiques aux créatures.

Le Qur’ân affirme aussi le Qur’ân n’est point une Parole humaine et bricolée par des humains, et qu’il est donc d’origine Divine.

Au-delà de ces principes, des savants réputés ont divergé sur à peu près tous les sujets.

La divergence et l’incertitude sur d’autres sujets, ne doivent pas nous effrayer et nous déstabiliser, car cela fait partie de la quête humaine, qui rend passionnante la recherche, et qui doit justement nous pousser à l’humilité, à nous rapprocher du Divin et à la réflexion, le tout encadré par des nobles principes universels, des valeurs magnifiques dont les bienfaits ont été observés et expérimentés à toutes les époques, des rites opératifs qui instaurent une belle discipline et une relation directe avec le Divin, et où la Manifestation du Divin s’exprime à travers les relations humaines, l’observation du Cosmos et de la Nature, etc.

Il faut donc éviter d’empiéter sur les droits des gens, de propager la violence, d’alimenter la corruption ou de mépriser les gens sur la base des divergences réelles, et s’en remettre à Allâh, tout en s’assurant que la société soit protégée de l’insécurité, de la corruption, de la violence verbale, physique, idéologique et psychologique, ainsi que des nombreux fléaux et vices, tels que l’alcoolisme, la drogue, la prostitution, la violence conjugale, la maltraitance infantile, les théories du genre qui détruisent des vies et l’éducation des enfants et des gens, déresponsabilisant toute la société sous de faux-prétextes, et faisant preuve d’une extrême intolérance envers quiconque exprimerait des opinions contraires.

Une personne honnête, au-delà des divergences d’avis, recherchera toujours l’avis le plus juste, le plus sage, le plus bénéfique, ou autrement dit, l’avis qui le mènera le plus près possible de la Vérité, de la sagesse, de la piété, de la justice, de la purification de l’âme, de l’apaisement spirituel et donc de l’Agrément Divin, ce qui n’est pas le cas de la plupart des avis (sur les branches, – furû’ – de la religion) défendus aussi bien par les rigoristes que les réformistes modernistes, qui veulent s’autoriser des choses pour suivre leurs passions et leurs vices, ou alors qui se trompent par ignorance, tout en étant sincères et honnêtes dans leur démarche.

Dawud Salman

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