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Réflexions sur l’identité musulmane

Dans sa dernière chronique publiée sur Mizane.info, Melchi Sédech-al Mahi nous livre une réflexion sur la notion d’identité musulmane, en osant le questionnement suivant : qui sommes-nous ? Une question à laquelle, selon l’auteur, il est indispensable de répondre avant toute entreprise de connaissance.

Avant de parler d’Islam en France ou en Occident, il serait sans doute bon de savoir de quoi nous parlons.

Si l’on arrive en effet à s’entendre sur ce qui constitue le paradigme essentiel de l’Islam et de l’Occident moderne, ce qui n’implique en principe aucun réductionnisme, alors un langage commun pourrait prendre forme.

Mais en discutant systématiquement de cette relation sous le prisme des sciences sociales et humaines dont le soucis premier est de ne pas «  essentialiser » son objet, nous nous condamnons non seulement à un monologue, puisque l’Occident moderne ne fera finalement que discuter avec lui-même, mais surtout nous n’aboutirons qu’à des conclusions fragmentaires, contradictoires et contre-productives, ce qui ne fera qu’accélérer le processus de dissolution que l’on souhaitait par ailleurs dénoncer, car le point de vue au commande de l’analyse serait dans ce cas précisément celui auquel il faudrait échapper.

Savoir situer son propos

Ce genre de propos, comme tous ceux qui se rapportent à un ordre qui transcende la seule réflexion individuelle, apparaissent péremptoires à qui n’a pas appris à penser en dehors d’un certain cadre intellectuel, la raison en est que l’expression traditionnelle ne se fait pas à partir de préjugés particuliers propres à la modernité, préjugés qui se présentent à nos contemporains et plus ou moins inconsciemment, indépassables, ce dépassement semble donc systématiquement dogmatique, au sens péjoratif du terme, c’est justement le point nodal de la question qui nous occupe.

Il est nécessaire de savoir à partir de quoi nous avançons certains propos.

N’est-il pas en effet impératif avant toute entreprise d’ordre intellectuel, de se demander qui nous-sommes ? Qui est le « je » qui parle ?

Si par exemple nous nous définissons comme des « militants musulmans » et que nous parlons à longueur de temps de laïcité, de droit de l’homme et de sciences sociales et que cela constitue indéniablement notre horizon, pouvons-nous dans ce cas et sans précaution aucune, parler pour l’islam, de l’islam ou même de la communauté musulmane, de même si nous prétendons être « de jeunes chercheurs neutres et objectifs » sociologues, islamologues ou psychologues… ?

Il faut pouvoir entendre l’islam en tant que tel et non pas rejeter le système épistémique qu’il implique dans les affres de la passion religieuse, la connaissance en islam n’étant pas tributaire d’un état psychique superficiel mais d’une véritable « ré-union » de l’être et du connaître.

Pendant longtemps la question n’était pas concevable, même les sciences islamiques de l’extérieur « zâhir », comme le fiqh pouvaient être suspectes si elles n’étaient pas abordées par des savants capables de percevoir l’essence des choses par le dévoilement et l’intuition intellectuelle.

Aujourd’hui, nous en sommes à devoir poser la question en ces termes : les traditions sacrées, se dévoilent-elles à un regard profane ?

Répondre positivement à cette question avec le ton de l’évidence relève d’un dogmatisme scientiste, cela reviendrait à dire sans pondération qu’une connaissance de « l’extérieur » suffirait à atteindre « l’islam » en tant qu’objet d’étude.

Or ne faut-il pas considérer sérieusement ceux qui pensent que l’islam a une existence en propre, in fine en dehors même de ceux qui le professent ?

Doit-on pour aborder un champ de connaissance, balayer de façon apriorique l’épistémè qui pose le Coran et l’univers comme ayant une origine divine ?

Si l’on répond par l’affirmative à cette dernière question, la décence voudrait que l’on admette son propre dogmatisme avant de dénoncer celui des autres.

Dans le cas contraire, il faut pouvoir entendre l’islam en tant que tel et non pas rejeter le système épistémique qu’il implique dans les affres de la passion religieuse, la connaissance en islam n’étant pas tributaire d’un état psychique superficiel mais d’une véritable « ré-union » de l’être et du connaître, c’est là le but le plus noble qui soit et vers lequel l’étudiant doit toujours tendre.

« L’Amour est le fruit de la connaissance nous dit Al Ghazali, cette dernière ne peut être sans cette seconde, et elle diminue ou croît à mesure de celle-ci 1 ».

Les limites de l’epistémé moderne

Or il est un fait que l’épistémè moderne (utilisé par des musulmans ou non) que l’on pourrait qualifier de science éclairante mais froide ne peut étudier une religion par ce qu’elle dit d’elle-même, puisqu’elle suppose a priori, qu’en soi, elle n’a pas d’existence.

On pourrait d’ailleurs également faire la critique du pendant de cette science froide qu’est le mouvement New Age, caractéristique d’un sentimentalisme aveugle, que l’on pourrait qualifier sous ce rapport, de « savoir chaud mais obscur », ces deux extrêmes étant d’ailleurs loin d’être systématiquement opposés.

Nous reformulons donc la question de départ : est-ce que selon l’islam, l’islam peut se penser en dehors de lui-même, ou du moins en dehors de ses principes métaphysiques (haqa’iq al-tasawwuf) ?

Pour At-Tirmidhî, « toute utilisation de la raison devrait remonter aux racines de la Sagesse (Hîkma) au moyen de l’intuition intellective (Firâsa), pour ramener chaque sarment (rameau) à la racine qui lui correspond 2 ».

Il s’agit bien de dire que nous dépendons, nous même, et toute la création de ces principes métaphysiques et non pas à l’inverse, que ces principes dépendent de la spéculation humaine, ni même des émotions ou des sentiments individuels.

C’est en règle générale à nous de nous extirper de nos faiblesses, il ne faut donc jamais réduire la réalité à la mesure de celles-ci.

Nous constatons pourtant que l’individualisme comme valeur structure l’épistémè qui commande chaque réflexion contemporaine et les musulmans de France, en vérité très bien intégrés, n’y échappent pas. Faut-il donc continuer ainsi à s’acharner à débattre sur le même plan réductionniste que ceux que l’on imagine être ses adversaires ?

Très souvent, ce n’est pas tant telle ou telle conclusion qu’il serait nécessaire de combattre, que les prémisses intellectuelles et idéologiques qui ont permis d’y aboutir.

On se rendrait sans doute compte de la vanité de certains débats et de certaines prétentions.

D’ailleurs, les pourfendeurs de la sacralisation de l’existence l’on bien compris en s’attaquant aux textes sacrés.

Ce qu’ils combattent en réalité n’est pas la « religiosité », ni même sa visibilité dans l’espace public, mais un certain rapport au monde, une conception de penser l’Homme et une conception que l’Homme a de penser, puisque c’est cela qui détermine en définitive tout le reste.

Qu’on nous dise que la religion a son libre arbitre dans son champ d’application et qu’il en va de même du savoir profane, fort bien, mais alors pourquoi ce savoir profane dans les faits, ne cesse depuis son expansion, de déstructurer toutes conceptions qui lui échappe ?

Nous disons que son désarroi ne provient pas du savoir que cette science permet effectivement d’acquérir mais de tout ce qu’elle détruit inévitablement par l’ignorance totale de ce sur quoi elle ne peut rien nous dire.

Restaurer les porteurs légitimes du savoir

Il en va mutatis mutandis à l’intérieur même d’une tradition sacrée, l’exotérisme coupé de l’ésotérisme (al-batîn) ne peut que marcher à l’aveugle et se cogner contre le mur au point parfois d’inverser le sens de sa marche.

« Y compris chez ceux qui prennent acte plus ou moins explicitement de l’immensité du domaine exclu de la recherche objective, la conscience de la relativité du discours scientifique, est juxtaposée à l’incapacité de concevoir, au minimum, l’idée de ce que ce discours laisse en dehors de lui-même. En général, chez les irréductibles, cet handicap non reconnu, est projeté à l’extérieur sous forme d’une systématisation, portant au passage la marque de la tendance et la préoccupation dominantes de son sujet 3. » Hamza Benaissa

Il convient donc de comprendre avant tout, que se diriger vers la connaissance implique toujours un mouvement qui tend vers une sortie de la pensée individuelle, aux antipodes d’une pensée qui se prouve elle-même par elle-même tout en imaginant pourtant raisonner sans aucune prémisse.

La question à se poser est finalement évidente, comme l’ont exprimé en substance plusieurs éminent savants musulmans en des termes plus synthétiques :

« Voulons-nous témoigner de l’islam, c’est-à-dire de la soumission intrinsèque de toute la création à son principe, ou bien voulons-nous défendre notre « nafs » (âme) blessée en utilisant l’islam ? »

Voulons-nous continuer à faire vivre ce que les Prophètes ont (ré)instaurés ou voulons-nous simplement prouver aux autres que notre religion peut « s’adapter » au mouvement du monde ?

La question reste la même pour ceux qui veulent en faire une arme identitaire.

Dans tous les cas, nous sommes loin de la procédure prophétique d’accès à la connaissance toujours tributaire d’une expérience d’extinction de l’ego et d’une soumission aux données traditionnelles.

« Sublimer » les épreuves en nous appuyant sur la victoire inéluctable de la Vérité ou sur le fait que la Réalité totale (Al Haqiqah) est positive ne signifie pas être dans le déni de nos points de vue forcément partiels ou de la superficialité de nos sentiments, en somme de l’existence du mal, en nous-même et dans le monde.

A l’heure où par exemple certains veulent pouvoir se revendiquer musulman sans croire en Dieu, il est impératif, comme l’avait dit Tirmidhî, de ramener chaque chose à son principe, pour ne pas s’égarer et « savoir juger véritablement 4 ».

La question corrélative de savoir qui sont les héritiers légitimes porteurs du flambeau prophétique est une autre problématique qui se doit d’être reposée.

Qu’est-ce que la connaissance en islam et qui sont donc les savants ? On ne peut nier les conséquences du manque d’audibilité d’authentiques autorités spirituelles.

Cela vient sans doute d’un manque d’aspiration sincère de notre part mais également pourrait-on dire d’une mauvaise orientation cognitive.

Se hisser à la hauteur des exigences du savoir 

Tout ceci nous montre comme nous le disions plus haut, qu’il faudrait se poser la question de savoir « qui nous sommes », non pas pour polémiquer ou pour se confronter à l’autre pour l’amour de l’antagonisme mais précisément pour pouvoir dialoguer le cas échéant sans cacophonie et surtout pour savoir où aller et en vue de quoi.

En somme, comme chaque musulman sait, l’intention de toute forme d’agir doit être minutieusement interrogée.

Cette interrogation suppose de facto la question de l’identité : « Qui suis-je ? »

Il est important de se poser profondément la question et d’y répondre de la meilleure façon pour ne pas faire parler notre ressentiment au nom de l’islam.

N’oublions pas également que ce ressentiment peut prendre la forme déguisée et aseptisée de la tolérance et du bon sentiment.

A lire du même auteur : Aperçu sur l’inconséquence des «rationalistes religieux»

Sous ce rapport, il est à craindre que « l’identité plurielle » revendiquée par la bien-pensance libérale soit plutôt en réalité une désagrégation de l’être dans la multiplicité, une dispersion de l’identité islamique vers des possibilités de choix individuels qui dispersent et réduisent tout au plus bas dénominateur commun.

« N’a-t-on pas noté, disait M.Ibranoff, combien chacun veut désormais penser par soi-même mais que tout le monde finit par penser la même chose ! 5 »

Le pluralisme existentiel véritable, loin de la mimétique moderne, ne doit pas aller à l’encontre d’une potentielle harmonie des contraires, c’est-à-dire, d’une diversité réelle mais sans opposition irréductible.

Il est une chose de voir l’harmonie partout, il en est une autre de tolérer par ignorance l’affirmation de l’existence du néant, c’est-à-dire de l’erreur pure et simple.

Nous voulons signaler par là qu’il y a des modalités de la vie moderne qui sont intrinsèquement anti-spirituels et dissolutives.

Sans en faire évidemment une obsession, il est important de discriminer entre le réel et l’illusoire.

La mosquée Hassan II à Casablanca, au Maroc.

Prétendre voir le bien partout avant de pouvoir distinguer le vrai du faux c’est se persuader soi-même que tout va bien alors qu’on est sans doute atteint d’une grave maladie.

« Sublimer » les épreuves en nous appuyant sur la victoire inéluctable de la Vérité ou sur le fait que la Réalité totale (Al Haqiqah) est forcément positive ne signifie pas être dans le déni de nos points de vue forcément partiels ou de la superficialité de nos sentiments, en somme de l’existence du mal, en nous-même et dans le monde.

C’est en ce sens que Ghazali 6 nous dit qu’il est dangereux de prétendre à l’amour de Dieu, car c’est une énorme prétention qu’il faudra par ailleurs assumer.

En d’autres termes il ne suffit pas de citer Rumî pour prétendre à sa station spirituelle, il est nécessaire en revanche de travailler à la réaliser de façon effective.

Le formatage idéologique des institutions laïques

Les questions de savoir qui nous sommes et pourquoi nous sommes là, ne sont donc pas des questions désuètes de philosophes du passé, car des réponses à ces questions découlera le système épistémique à partir duquel nous parlerons et surtout « en vue de quoi », ce qui déterminera avant et plus que toute autre chose n’importe quel contenu intellectuel.

On peut remarquer incidemment que l’école malgré sa tolérance affichée considère ce genre de questionnement comme étant dangereux car chacun serait libre d’y répondre individuellement sans contrainte.

On attendra donc l’âge de la majorité pour permettre aux jeunes adultes de réfléchir à ce qui importe le plus dans l’existence, après avoir minutieusement pris soin d’évider le sens du sacré, pulvérisé par des années de sarcasme et d’ambiance anti-traditionnelle.

Une fois à l’université, les conséquences sont souvent dramatiques tant on en devient incapable de concevoir certaine chose.

Personne ne devrait avoir à rougir d’une prétendue naïveté de la foi (lorsque précisément elle assume l’ontologie de départ auquel elle adhère) car la naïveté coupable d’un manque de discernement n’est pas la foi religieuse, mais celle qui consiste à croire à tort que la recherche de la vérité ou de la réalité serait bien le but des études dites académiques.

Il faut notamment rappeler avec force que lorsque les sciences humaines et sociales « s’attaquent » aux textes sacrés, les auteurs n’ont pas à prévenir de façon condescendante leurs lecteurs musulmans qu’il s’agit là d’un point de vue « non dogmatique » sous-entendu neutre, s’appuyant sur un fonctionnalisme socio-culturel (réchauffé) ou en tout cas en dehors de la mythologie fabriquée par des despotes soucieux de faire valoir leur volonté de puissance, le tout étant enrobé d’un discours mielleux prenant le soin de ne pas heurter ces êtres fébriles et naïfs qui les suivent depuis des siècles sans réfléchir.

Nous pensons par exemple à l’anthropologue Jacqueline Chabbi et sa pédagogie infantilisante.

L’auteure termine toujours ses petites vidéos par une formule consacrée, singeant ainsi d’ailleurs les véritables sages : « (…) et tu comprends donc (ô petit enfant faible d’esprit) qu’il s’agissait d’une nécessité dans le désert de parler de signe pour trouver son chemin…). Autrement dit, redescend de ton nuage, les « ayat » n’ont aucune signification métaphysique…

Par ce genre de critique, on remplace le sens traditionnel qui implique la totalité du réel et ses interdépendances sémantiques par un sens qui serait purement fonctionnel et exclusivement terrestre « généralement hypothétique et toujours construit selon des présupposés modernes, même si on les attribue aux Anciens », rajoute très justement Borella 7.

Ces universitaires devraient avant tout avertir en tout état de cause, qu’ils entendent prouver un système épistémique avec les outils validés et conçus par ce même système ; ils postulent dès le départ ce qu’ils souhaitent par ailleurs prouver.

Il y a un problème de circularité dont ils devraient avoir davantage conscience. Ils devraient prévenir plus honnêtement :

« Selon les axiomes et la méthode que moi anthropologue j’accepte à priori, les informations que je donne, justifient ou peuvent justifier ma conclusion. »

Ils devraient ajouter « attention ! » Les faits en eux-mêmes ne valident pas mon système, puisque j’ai besoin de ce système pour que ces faits aboutissent aux conclusions que j’en tire.

Il en résulte très souvent une véritable logique à rebours : « Le Coran ne parle pas ou très peu de la vie de Muhammad, donc ce n’est pas lui qui l’a écrit, si ne n’est pas lui qui l’a écrit, le texte a été composé postérieurement ou antérieurement à sa vie par d’autres hommes qui en éprouvaient l’intérêt » à partir d’un point aveugle, mille et une hypothèses farfelues et contradictoires vont émerger et nous pouvons affirmer que nous caricaturons à peine.

Nous voyons de plus en plus de jeunes être impressionnés par l’étude critique des textes.

Nous en concluons que nous souffrons d’un manque d’assise doctrinale permettant à la raison de ne pas s’agiter à tort contre la foi à chaque publication provenant du domaine académique.

Accéder à notre réalité épistémologique

En réalité rien n’autorise, à moins d’accepter une source transcendante et indépendante comme source de toute connaissance, à utiliser un certain type de raisonnement pour justifier la légitimité de ce raisonnement.

Si vous voulez montrer que vous avez raison, vous allez utiliser des axiomes que vous estimez être justes, mais que ces axiomes soient justes c’est justement ce que vous devez prouver avant d’entamer tout raisonnement.

Or, les universitaires n’interrogent que rarement leurs axiomes qu’ils tiennent pour acquis et combien-même ils le feraient, leurs préjugés ne feraient que les induire plus loin encore dans l’erreur.

En deux mots, personne ne devrait avoir à rougir d’une prétendue naïveté de la foi (lorsque précisément elle assume l’ontologie de départ auquel elle adhère) car la naïveté coupable d’un manque de discernement n’est pas la foi religieuse, mais celle qui consiste à croire à tort que la recherche de la vérité ou de la réalité serait bien le but de ces études dites académiques.

C’est pourtant ce que beaucoup de croyants en tirent comme conclusion et lorsqu’ils ne le font pas, ne savent pas comment s’en expliquer.

La conscience islamique, pour ne pas être ébranlée doit pouvoir connaître son propre système épistémique, qui repose sur une connaissance totale du réel, au-delà des vicissitudes de temps et d’espace ; ainsi nous considérons que la science « profane » ne pourra être bénéfique à l’humanité qu’en respectant la hiérarchie qui s’impose à elle dans l’accès à la connaissance ; sous ce rapport la disposition interne (spirituelle) du sujet connaissant ne peut être négligé pour le chercheur, c’est un impératif.

Si la nouvelle conscience islamique s’acharne à vouloir décrypter le sens qu’elle porte en elle à travers une perspective désacralisante de l’existence et donc à travers une vue réduite de l’homme, elle nourrira une inévitable schizophrénie et ne pourra lire sa tradition que par le reflet d’un miroir brisé, jusqu’au point de rupture cognitif, ce qui est bien le but de toutes ces recherches.

Bien loin de l’indépendance revendiqué, chaque école ne se prive d’ailleurs pas de dénoncer le parti pris de celle d’en face.

Borella explique très bien l’apriori de l’exégèse moderne qui implique au départ de l’étude une considérable dimension subjective occultée par les auteurs, l’occultation du fait que l’athéisme méthodologique n’est pas neutre mais bien le fruit d’une sécularisation de l’existence que leurs travaux entendent entérinés avant de démontrer quoique ce soit d’autres.

« Ils séparent en effet ce que la Tradition (…) (et les traditions sacrées en général) n’ont jamais disjoint : « la matérialité d’un fait » d’une part, qui constitue la matière du symbole ou son « signifiant » sensible, et « son sens spirituel » d’autre part, qui réside dans son « référent » métaphysique (…) le symbole sacré a ceci en propre qu’il rend présent dans l’ordre sensible ce qui lui est apparemment absent, car transcendant. 8 »

La réalisation muhammadienne

Il en va de même pour qui réduirait le sens du sacré, c’est-à-dire la connaissance de Dieu à de simples considérations humaines.

Il faut toujours se souvenir de l’insondable vide entre l’homme individuel et l’Homme Universel (Al-insān al-kāmil).

Comme le rappelle Al-Ghazali, les paroles exprimant Son amour (l’Amour de Dieu) pour Ses serviteurs doivent être interprétés, car celui-ci n’est pas concevable à l’individu qui ne peut avoir accès à cette connaissance par ses seules forces, qu’elles soient rationnelles ou sentimentales.

Le moyen d’accès sont les héritiers nous disent les textes, les hommes d’Allah, c’est-à-dire ceux qui ont réalisé la réalité muhammadienne s’abreuvant à sa fontaine 9.

On pourrait dire sans craindre d’en faire trop que si toute connaissance dépend de la connaissance d’Allah, alors, pour le musulman, la recherche de ces « ponts vivants » entre l’humain et le divin est un préalable à toute entreprise.

Soit c’est la pensée de l’homme qui crée des principes à posteriori, d’où la quête inductive sans aucune conclusion fiable des sciences humaines, soit ce sont les principes qui sont la condition de possibilité de cette pensée et alors il faut en tirer toutes les conséquences.

Pour le dire simplement, lorsque les maîtres nous poussent à la pratique religieuse et d’autant plus lorsqu’ils incitent à cheminer sur la voie spirituelle, il ne s’agit pas de moralisme ni de bigoterie, ni d’une recherche de bien-être, encore moins d’apprendre rationnellement des concepts, c’est en vérité la possibilité d’accès à une véritable intellectualité qu’ils proposent, puisque l’accès à la connaissance en islam ne peut être indépendant d’une transformation de l’être dans toutes ses dimensions : corporelle, psychique et spirituelle, chaque individu développant évidemment plus ou moins ses propres possibilités intrinsèques.

Ce n’est pas par archaïsme que le musulman ne se fit pas, les yeux fermés, au savoir profane, c’est parce que les prémisses de celui-ci dépendent d’un agnosticisme plus ou moins revendiqué.

Il est bon de prendre intimement conscience que le sens du surnaturel n’est pas une raison au rabais doublée d’une émotivité religieuse superficielle et ce même si la crainte d’un rationalisme sclérosant peut justifier un certain fidéisme.

Il est important de souligner selon nous qu’il ne s’agit pas d’un rejet de la raison en tant que telle, mais de situer celle-ci à sa juste place.

Resituer chaque chose à sa place

La raison ne doit pas méconnaître le lien de subordination vis-vis de l’intellect transcendant dont elle n’est qu’un symbole tout comme le sentiment humain n’est qu’un reflet de l’amour Divin.

L’amour et la connaissance sont donc deux aspects d’une même chose, comme le feu qui possède à la fois la propriété de chaleur et de lumière.

Purifier le cœur c’est lui permettre de recevoir en son centre cette chaleur et cette lumière qui transforme le sentiment en amour véritable et le doute imposé par la réflexion en certitude.

Tout en nous doit tendre vers l’Unité, des humains vers le Divin.

Les termes et les définitions sont souvent incertains, ils se doivent pourtant d’être précis pour que ceux qui ne réalisent pas en eux-mêmes la chose exprimée puisse au moins la concevoir mentalement.

Al-Ghazali et bien d’autres nous parle de cette faculté dont les modernes ne savent plus rien.

« Appelons cette prédisposition « entendement » dit-il (‘aql, en faisant bien attention néanmoins à ne pas y voir cette autre faculté de réflexion dont on use pour la controverse et la polémique). Ce terme est souvent utilisé en ce sens c’est pourquoi certains soufis le blâment. La faculté qui distinguent l’homme des bêtes et au moyen de laquelle il accède à la connaissance de Dieu, est la plus estimable faculté qu’il possède. Il ne convient donc pas de la déprécier. Cette aptitude innée a été créée afin de permettre à l’homme de connaître la réalité profonde de toutes choses. 10 »

Nous devons travailler afin d’assentir leur façon d’être au monde non pas pour discuter des anciens sages comme on discute de pièces de musée, mais pour vivre au plus près ce qu’ils ont vécus, car l’Homme est l’Homme et Dieu est Dieu peu importe les époques, c’est un impératif si nous ne voulons pas faire de l’islam un vernis d’aspect pittoresque sur une construction de métal.

En définitive nous souhaitions souligner dans cette article l’importance de la relation entre connaissance de soi et connaissance du monde et donc la nécessité d’inclure dans toutes analyses ou même dans toutes actions l’ensemble des dimensions du réel, car de là découlera le message que nous aurons à délivrer et les fruits que nous en récolterons, peu importe le domaine envisagé.

Il faut donc choisir son paradigme comme il faut faire le choix de qui nous pensons être : soit nous considérons qu’il n’y a pas de réalité profane mais un point de vue profane portant un regard sur une réalité sacrée, soit nous considérons qu’il n’y a pas de réalité sacrée mais un point de vue sacré portant un regard sur une réalité profane.

Soit c’est la pensée de l’homme qui crée des principes à posteriori, d’où la quête inductive sans aucune conclusion fiable des sciences humaines, soit ce sont les principes qui sont la condition de possibilité de cette pensée et alors il faut en tirer toutes les conséquences.

Dieu seul est Savant.

Melchi Sédech-al Mahi

Notes :

1- Al Ghazali « le livre de l’amour » Al Bouraq.

2-Al Hakîm at-Tirmidhî « Exposé de la différence entre la poitrine, le cœur, le tréfonds et la pulpe. Al Bouraq.

3-Hamza Benaissa, « Traditions et Modernité ». AL MAARIFA

4-Al Hakîm at-Tirmidhî « exposé de la différence entre la poitrine, le cœur, le tréfonds et la pulpe. Al Bouraq.

5-Ibranof.M in «  cahier de l’unité ». Recueil annuel 2016.

6-Al Ghazali « Le livre de l’amour » Al Bouraq.

7-https://philitt.fr/2019/11/24/jean-borella-contre-la-lecture-moderniste-de-la-bible/

8-https://philitt.fr/2019/11/24/jean-borella-contre-la-lecture-moderniste-de-la-bible/

9-La fontaine muhammedienne désigne la source suprême où l’on s’abreuve de l’eau de la connaissance. Voir note 87 in « L’arbre Aux Secrets » de Cheikh Ahmad Ibn Mustafa al-‘Alawi.

10- Al Ghazali « Le livre de l’amour » Al Bouraq.

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