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Le foulard est-il prosélyte ?

Les Républicains ont déposé il y a quelques jours une série d’amendements à la loi préservant les principes républicains pour interdire le voile à l’université ainsi que pour les mamans accompagnatrices aux sorties scolaires. Derrière cette obsession bien française autour du voile, que se cache-t-il ? Le foulard est-il réellement prosélyte ? Jamal Mimouni, professeur au département de physique de l’université Mentouri de Constantine, répond à ces questions dans une tribune publiée par Mizane.info.

Pourquoi le foulard gêne t-il ? Il existe en fait toute une litanie d’accusations des plus bénignes aux plus grotesques, portée contre le foulard en France.

Listons les de manière non exhaustive.

Cela va de l’acte ostentatoire, à l’attentat au vivre ensemble, à l’incivilité, au refus de s’intégrer, à une soumission patriarcale, à de la provocation anti-républicaine, au prosélytisme, au militantisme islamiste, si ce n’est même à un signe avant-coureur de radicalisation et d’adhésion au djihadisme.

Discutons deux de ces accusations, pas les plus extrêmes mais certainement pas les moins retors. Il s’agit de l’acte ostentatoire et de l’intention de prosélytisme.

Ostentatoirement vôtre

La première accusation envers le port du foulard, est qu’il constitue un acte ostentatoire. Notons tout d’abord que la «controverse» du foulard a donné une nouvelle jeunesse à ce vocable appartenant jusqu’à un passé récent au langage précieux.

De fait, un philologue utilisant les outils statistiques de la linguistique serait à même de documenter l’apparition et l’utilisation exponentielle du terme dans les écrits et dires … depuis l’affaire des foulards de Creil !

Un trésor de la langue française en passe de devenir obsolète fut ainsi ressuscité pour le meilleur et pour le pire.

Mais que veut dire ostentatoire si ce n’est une visibilité avec l’intention excessive d’attirer l’attention sur l’acte ?

Se teindre les cheveux à la manière hipster ou porter un jeans à trous de gruyère n’est-il pas des actes bien plus ostentatoires puisqu’il y a intention de se donner en spectacle ce qui n’est probablement pas le cas pour le foulard ?

En fait, il est évident à y bien réfléchir, que toute mode est par essence ostentatoire. Son habit est porté pour attirer l’attention, se distinguer et faire valoir.

Souvent c’est à ce point que beaucoup de critiques du voile vont se rabattre sur l’aspect «provocateur» de son port, ou au contraire de soumission.

Et là, si la différence avec la mode est à chercher au niveau de l’intention, peut-être faudrait-il poser la question à celles qui le portent et si dans leur for intérieur elles n’accomplissent pas là un acte ostentatoire provocateur, ou de soumission? Bref seul le recours à une police de la pensée permettrait de trancher là dessus.

Sauf que toutes les études sociologiques qui ont porté sur ce point concluent que, du moins dans les sociétés Occidentales, son port est majoritairement volontaire et procède d’un désir de réappropriation religieuse et culturelle (Voir par exemple Nilüfer Göle «Musulmans au quotidien», et autres études similaires).

A moins de vouloir décrire le port du foulard comme un acte ostentatoire passif involontaire, mais là on tombe clairement dans le ridicule.

Lorsque le terme ostentatoire apparu comme étant trop banal et relatif, et que tout habit pouvait être vu comme ostentatoire, un glissement s’est opéré vers un vocable plus subtil.

On ne dit plus habit ostentatoire mais ostensible, et ceci depuis le rapport de la Commission Stasi.

Cette pirouette lexicale trahit bien leur malaise d’avoir à décrire le visible tout en voulant stigmatiser au maximum.

On a troqué la «volonté excessive d’exhiber» de l’ostentatoire, à ce que l’on «ne cherche pas à cacher» de l’ostensible.

Mais tout habit est ostensible sinon on irait nu! Il fut d’ailleurs reconnu que le mot « ostensible » retenu in fine par les «sages» de la Commission signifiait en fait l’inverse de l’emploi qu’ils voulaient en faire.

Mais ostentatoire étant devenu trop ambigu et usé, il fallait innover pour décrire… ce qui était après tout que le «visible». Tel est pris qui croyait prendre.

Prosélytisme dites-vous ?

Venons-en à l’accusation de prosélytisme associée au port du foulard. Il est tout d’abord étonnant que pour une société qui se prévaut de la liberté d’expression, y compris du droit sacro-saint au blasphème, l’idée de prosélytisme par le voile soit considérée comme un comportement déviant et répréhensible.

Ainsi en milieu scolaire par exemple, penser que le seul fait de porter un morceau de tissu sur la tête va permettre à ces jeunes filles de gagner des points sur leurs camarades quant à les convaincre de la supériorité de l’Islam procède d’une profonde naïveté voire d’une indigence de la pensée.

Si son port à un tel effet magique, tout esprit Cartésien devrait se poser la question s’il en serait de même pour le port de la Kippa ou d’autres couvre-chefs, ou de manière générale d’autres articles vestimentaires ?

Scientifiquement parlant, y-a-t-il un effet « foulard » dans le registre des idées et des convictions, et si oui peut-on le généraliser à un effet qu’on ne pourrait que qualifier d’effet «vestimentaire»?

Il est notoire que le terme prosélytisme qui a acquis une connotation négative et ne s’applique trop souvent qu’aux musulmans voire aux musulmanes, et peut-être à certains chrétiens, ne réfère en fait à pas autre chose que ce qui se déroule dans tout débat d’idées, notamment convaincre l’autre partie.

Parle-t-on de prosélytisme lorsque sur un plateau télévisé on défend telle pensée philosophique ou vision politique ?

Retirer la composante « prosélytisme » des débats, tables rondes, et autres types d’échange d’idées, et il ne reste plus de débat.

A moins que l’on ne veuille restreindre le mot qu’au seul champ religieux et là nous sommes sur le registre de la police de la pensée.

Puis imaginer que ces jeunes filles au foulard doivent nécessairement être animées d’un zèle militant et doivent passer leur temps à promouvoir l’Islam parmi leurs camarades est bien naïf et relève plus de fantasmes non assumés.

Il reste l’accusation souvent implicite de « prosélytisme passif » c’est à dire par l’habit qui, de même que pour la notion d’acte ostentatoire « involontaire », vire au ridicule.

Une édifiante étude de Texte

Pour une plus fine fine analyse psychologique et sémantique de la fixation sur le foulard, rien de mieux que d’analyser les propos du président Macron tenus lors de la conférence de presse qui suivit son discours aux Mureaux ou il exprima ce qu’était sa vision du voile.

Il distingue deux types de femmes voilées: «Il y a la femme libre qui est citoyenne pleinement et qui décide de porter le voile librement parce que c’est sa culture et qu’elle considère que ce n’est pas seulement religieux. Puis il y a celles qui le portent « par référence à une conviction, à un projet politique, à une volonté revendiquée de déstabiliser, de provoquer». « La femme qui choisit la seconde option, il faut « lui interdire ce qui manifestement n’est pas compatible avec nos règles ».

Discutons pour chaque cas le choix des mots utilisés ou leur exclusion, ainsi que leur ambiguïté.

Selon ses dires, on est amené à comprendre que la deuxième catégorie ne le porterait pas «librement» mais par «conviction» (sic), tandis que la première le porterait non pas par conviction mais «librement» dans une mixture de raison culturelle et religieuse.

Puis il associe aux deuxièmes, les mauvaises voilées, des intentions insidieuses de choquer, déstabiliser, faire de la politique avec leur voile.

Le problème qui n’est pas abordé c’est comment peut-on distinguer les bonnes des mauvaises voilées ?

Et puis où sont ces femmes de la catégorie qui veulent choquer ou faire de la politique ? Qui est ce qui les a rencontré et interviewé ?

Poussons notre interrogation un peu plus loin; de quel projet politique parle t-on ? Et puis même si cela était le cas, depuis quant est-il interdit d’avoir un projet politique ?

Ce n’est plus une police des mœurs qu’on aurait besoin mais bien une police de la pensée.

Comment connaître en effet les intentions des femmes voilées de chaque type puisque aucun critère de différentiation physique n’est évoqué.

Décider de quelle catégorie ces citoyennes appartiennent-elles est important car celles de la deuxième catégorie sont menacées d’ «interdiction» dont la nature ne nous est pas révélée.

Il est mentionné seulement qu’elle auraient violé «les règles». Quelles règles aurait-elles violées que la première catégorie n’aurait pas violées ?

Le mot «règles» utilisé ici est intéressant car c’est clairement pour éviter d’utiliser le mot « lois» qui logiquement s’imposerait pour une sanction d’interdiction.

Or cela, il ne peut le faire puisqu’il n’y a aucune menace d’interdiction qui plane sur l’autre catégorie et que les deux sont extérieurement indistinguables.

Détresse psychologique de qui ?

Passons maintenant d’un public majeur à celui de la petite enfance.

Il fut mentionné comme justification pour interdire les nourrices de le porter dans les crèches que cela influerait sur la psychologie de jeunes bambins qui vont voir le foulard comme un habit «normalisé» et vont de ce fait développer une vision pudibonde de la moralité.

Pourtant, des générations de citoyens ont été élevées dans des établissements catholiques et ces effets pernicieux n’ont pas été relevés.

Ces arguments ne procéderaient-ils pas d’une psyché tourmentée de personnes en état de détresse mentale qui nécessiterait une prise en charge psychologique? Sur une veine plus sérieuse, ces arguments délirants semblent procéder d’une obsession mentale dont la source est à chercher dans une attitude idéologique de rejet absolu de tout ce qui touche à l’Islam, autrement dit… d’Islamophobie.

Il a aussi été rapporté sur des plateaux télé que la vue d’une personne enfoulardée constituerait une agression visuelle permanente et occasionnerait pour les autres femmes une gêne car elles se sentiraient immodestes voire dévergondées.

A un niveau plus bénin, c’est bien ce que signifie la qualification du port du foulard dans l’espace public d’«incivilité», ou bien celle d’un ministre de la République de «non souhaitable».

Autrement que de répondre que qui se sent morveux se mouche, nous rappellerons que l’agora a toujours été le lieu où se manifeste l’altérité, et la vie en société implique une certaine tolérance aux variations affichées par rapport aux normes.

N’est-ce pas ironique que jusqu’à une certaine époque, la normalité pour une femme (Et même pour l’homme) était de porter un couvre chef, et l’ostentatoire et même le provocateur était d’apparaître tête nue ?

Un peu de pédagogie sur le terme «voile islamique»

Mais que recouvre le terme «voile islamique» ?

Comment interpréter par exemple la déclaration du ministre de l’Education nationale J.M. Blanquer comme quoi ce dernier n’était « pas souhaitable dans la société» ?

Nous allons montrer qu’en dernière analyse, le terme même ne veut pas dire grand chose, sinon peut-être trop dire.

Après tout ce grand emballement médiatique à relent fortement politicien, le sujet mérite un sérieux dévoilement, et il apparaîtra à son issue que le tout serait surtout une manipulation maladroite de mots et un alignement de non-dits, allié à une fixation aux racines historiques profondes.

Une fois correctement décrypté, nous aboutirons à une autre instance du symptôme «le roi est nu».

De quoi fait-on référence lorsque l’ on utilise le terme «voile islamique» ?

Est-ce de l’habit enrobant et non moulant appelé hijab dans les pays arabes (et burqua dans sa forme extrême), c’est à dire une tunique ou une robe longue avec en plus le foulard sur la tête ?

Certainement pas !

Personne ne parle du tout de cet ensemble d’habits féminins qui forme un habit plutôt standard, même si certains éducateurs par excès de zèle ont voulu voir le port de jupes longues par des lycéennes comme un habit religieux qu’on se devait de proscrire.

Seul est finalement visé le foulard (appelé khimar en arabe et non hijab qui lui est l’habit entier en général mono-pièce et ample, complet avec le foulard).

D’ailleurs une bonne partie des jeunes filles qui se «voilent» porte plus ou moins les mêmes habits standards que celles des autres jeunes filles de leur âge, si ce n’est pour le foulard !

Notons pour être complet que le niqab auquel fait référence la loi portant son interdiction dans l’espace public, assimilé à tort au «voile intégral», loi Pre-Covid19 devrions nous ajouter, ne concerne que la dissimulation du visage.

Le seul sujet de contention en Europe et en France en particulier concernant l’habit de la femme musulmane est donc le foulard et rien d’autre.

Ceci nous amène donc à discuter du foulard et quel type de foulard fait problème.

Nous n’aborderons pas les méandres théologiques du sujet, notamment le caractère obligatoire ou non du port du foulard.

Au fait, c’est quoi un foulard non-islamique ?

Donc le voile s’étant réduit au foulard, et pas n’importe lequel, le «foulard islamique», on se doit de poser la question de qu’est-ce qu’un foulard islamique pour finalement connaître ce qui fait problème.

Si on pouvait déterminer ce qu’est un foulard non-islamique mais laïc, ou tendance ou autre, on saura alors quoi interdire.

Est-ce le fichu cache-cheveux (appelé aussi foulard!) que même beaucoup de citadines portaient jusqu’aux années soixante comme une marque de féminité tout en étant bien pratique aussi pour se protéger de la brise ou d’une pluie fine? Comment le distinguer du foulard «islamique»?

Est ce par son épaisseur ou par le fait qu’il soit noué autour du cou ou derrière la nuque ou autre? En fait les différentes variantes existent et je doute que l’on puisse trouver une ligne de démarcation. C’est pour cela que le foulard islamique n’est en dernière analyse que le foulard tout court.

Mais supposons un instant qu’il existerait bien une différence entre le foulard islamique et celui «non islamique» et posons nous en toute innocence la question suivante : si les femmes musulmanes se décidaient de porter ce foulard non islamique, cela suffirait-il pour qu’on les laisse en paix ?

La réponse vous la connaissez puisque pour couper court à toute velléité d’exégèse de ce type, même le bandana est interdit dans les Écoles et autres espaces républicains.

Finalement tout foulard est devenu islamique par défaut. D’ailleurs nombre de femmes qui portaient occasionnellement le foulard ont candidement reconnues qu’elles ne pouvaient plus le faire de peur d’ être prises pour des musulmanes.

Bien sûr, il serait gênant pour des islamophobes toute tendance et ces pourfendeurs du «communautarisme» de parler d’interdire le simple «foulard»; cela serait aussi du pain béni pour une certaine presse anglo-saxonne qui déjà ne se gêne pas pour faire des gorges chaudes de cette fixation bien française sur l’habit des musulmanes.

Qu’un président par exemple qui au cours d’un discours des plus «stratégique», se voulant refondateur d’une laïcité en crise, développe parmi son argumentaire le problème que pose le port d’un simple foulard, serait bien risible.

Aussi se doivent-ils de maintenir le terme ambigu et trompeur de voile islamique pour ne pas tomber dans le ridicule de critiquer un simple article de l’attirail vestimentaire féminin.

Il est un fait que chronologiquement parlant, tout à commencé par le vocable foulard avec l’affaire des trois lycéennes de Creil en 1989, pour finir au fil des ans par un glissement sémantique pas tout innocent au voile islamique.

Nous nous contenterons de l’appeler pour ce qu’il est, un foulard. Si cela est trop frugal comme description, précisons un «foulard comme porté par nombre de jeunes filles musulmanes», mais vous vous en blaserez vite de cette description à rallonge qui n’ajoute aucune information sur le foulard lui même.

Le foulard, une obsession bien française

Pour comprendre ces tempêtes politiques saisonnières sur les vêtements des femmes musulmanes en France pour ce que l’on ne peut que qualifier d’obsession bien Française, il faut revenir assez loin dans l’histoire, et notamment la période coloniale.

D‘abord cette phrase du général Bugeaud qui parlant de l’aventure coloniale et ses difficultés, candidement lâchait ces mots fort révélateurs qui nous donnent une première piste : « Les Arabes nous échappent, parce qu’ils dissimulent leurs femmes à nos regards».

Puis l’art colonial en érotisant la femme arabe et en la dénudant y a ajouté une couche symbolique.

Mais cette intention de la dévêtir atteindra son paroxysme lors de la guerre d’Algérie lorsque des campagnes de dévoilement des femmes indigènes sur la place publique furent organisées par la société civile coloniale en coordination avec l’administration coloniale pour leur «émancipation».

Jamal Mimouni.

Notons que la femme du général tortionnaire Massu, ainsi que d’autres femmes de généraux de l’Algérie Française étaient aux premières loges de l’opération du «dévoilement».

D’ailleurs l’opposition intransigeante des colons au vote des indigènes qui risquaient d’imposer leur volonté par leur démographie se faisait au 19ième siècle sous le couvert du slogan : « Vous voterez quand vos femmes seront dévoilées… »

Nous avons vécu ces dernières années les épisodes à répétition du foulard à l’école, le hijab de running de Decathlon, le burkini, avec chaque incident sur la scène nationale qui y apportait une couche fraîche.

Cela commence souvent par une tempête sur Twitter avec hystérisation du débat, avant de dégénérer en affaire d’Etat sous fond mélodramatique de: la République est en danger, il ne faut rien céder.

Même l’horrible meurtre de Samuel Paty fut l’occasion de la remise en question par différents acteurs politiques et institutionnels du foulard sur la place publique et à l’Université.

Dans cette fixation maladive à vouloir imposer l’habit de la femme musulmane qui n’existe nulle part au Monde si ce n’est en France, il y a donc beaucoup d’inconscient colonial.

Le problème pourrait résider avec la psyché française façonnée par l’histoire plus que cela ne soit intrinsèquement lié au foulard lui même.

Jamal Mimouni

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