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Le Prophète vu par l’historien Michael Hart

Dans son ouvrage recensant les 100 personnalités les plus influentes de tous les temps, l’historien et philosophe américain Michael Hart a placé en première position le Prophète de l’islam Muhammad (PBDSL). Il s’en explique dans de larges extraits d’un texte traduit de l’anglais par Anissa Dourmane.

Mon choix de faire mener cette liste des personnes les plus influentes du monde par Muhammad peut surprendre quelques lecteurs et en questionner d’autres, mais c’est le seul homme au monde à avoir extrêmement bien réussi autant au niveau religieux que séculier.

D’origines humbles, Muhammad a fondé et promulgué l’une des plus belles religions, et est devenu un leader politique très compétent. Aujourd’hui, treize siècles[1] après sa mort, son influence est toujours puissante et convaincante.

La majorité des personnes dans ce livre ont l’avantage d’être nées et élevées au centre de la civilisation, très cultivée ou dans des nations politiquement cruciales. Muhammad, cependant, est né en 570, dans la ville la Mecque, au sud de l’Arabie, à ce moment-là une zone reculée du monde, loin du commerce, de l’art et de l’apprentissage.

Orphelin à l’âge de six ans, il a été élevé dans des milieux modestes. La tradition islamique nous dit qu’il était analphabète. Sa situation économique s’est améliorée lorsque, à l’âge de vingt-cinq ans, il épousa une riche veuve. Toutefois, à l’approche de la quarantaine, peu d’indications extérieures pouvaient indiquer qu’il était une personne remarquable.

À cette époque, la plupart des arabes étaient païens et croyaient en plusieurs dieux.

(…)

Quand il avait quarante ans, Muhammad était convaincu que cet unique Dieu (Allah) s’adressait à lui (à travers l’Archange Gabriel) et l’avait choisi pour répandre la vraie foi.

Pendant trois ans, il ne prêchait qu’à des amis proches et à des associés. Puis, vers 613, il a commencé à prêcher en public. Alors qu’il gagnait peu à peu des adeptes, les autorités mecquoises l’ont considéré comme une nuisance dangereuse. En 622, craignant pour sa sécurité, Muhammad s’en alla pour Médine[2] (une cité environ 320 kilomètres au nord de la Mecque), où il s’est vu offrir une position au pouvoir politique considérable.

Ce départ, appelé Hijra (immigration), a été un tournant dans la vie du Prophète. À la Mecque, il avait eu peu d’adeptes. À Médine, il en avait beaucoup plus, et il a rapidement acquis une influence qui a fait de lui un dirigeant quasi absolu. Au cours des années suivantes, alors que le nombre de ses adeptes augmentait de façon rapide, une série de batailles a eu lieu entre Médine et la Mecque. Cette guerre a pris fin en 630 avec le retour triomphant de Muhammad à la Mecque en tant que conquérant. Les deux ans et demi restants de sa vie ont témoigné d’une conversion rapide des tribus arabes à la nouvelle religion. Quand Muhammad est mort, en 632, c’était le dirigeant effectif de toute l’Arabie du sud.

Les tribus bédouines d’Arabie avaient la réputation de guerriers féroces. Mais ils étaient peu nombreux ; et accablés par la désunion et les guerres intestines, ils n’avaient pas fait le poids face aux grandes armées des royaumes dans les zones agricoles colonisées au nord. Cependant, unifiées par Muhammad pour la première dans l’histoire et inspirées par leur fervente croyance en l’unique vrai Dieu, ces petites armées arabes se sont lancées dans une série de conquêtes des plus étonnantes de l’histoire de l’humanité.

Au nord-est de l’Arabie se trouve le grand empire néo-perse des sassanides ; au nord-ouest, l’empire byzantin, ou empire oriental, centré en Constantinople. Numériquement, les Arabes ne faisaient pas le poids face à leurs adversaires. Sur le champ de bataille, cependant, c’était très différent, et les Arabes inspirés ont rapidement conquis la Mésopotamie, le Syrie et la Palestine. En 642, l’Égypte a été prise à l’empire byzantin, alors que les armées perses avaient été écrasées lors des grandes batailles de Qadisiya en 637, et de Nehavend en 642.

Mais même ces énormes conquêtes – qui ont été menées sous le commandement des amis proches de Muhammad et de ses successeurs directs, Abu Bakr et Umar Ibn al-Khattab – n’ont pas marqué la fin de l’avancée des Arabes. En 711, les armées arabes avaient complètement balayé l’Afrique du Nord jusqu’à l’océan Atlantique. Là, elles se sont tournée vers le nord et, en traversant le détroit de Gibraltar, ont envahi le royaume visigothique d’Espagne.

Pendant un certain temps, il semblait que les musulmans allaient envahir toute l’Europe chrétienne. Mais, en 732, à la fameuse Bataille de Poitiers, une armée musulmane, qui a progressé dans le centre de la France, a finalement été vaincue par les Francs. Néanmoins, en un siècle de combat, ces tribus bédouines, convaincues par la parole du Prophète, avaient bâti un empire qui s’étendait de l’Inde à l’Océan Atlantique – le plus grand empire que le monde ait jamais vu. Et partout où les armées avaient conquis, l’on pouvait observer une conversion à grande échelle à la nouvelle foi qui s’en suivait.

Aujourd’hui, toutes ces conquêtes ne se sont pas avérées permanentes. Les Perses en revanche ont gardé la foi en la religion du Prophète, ils ont toutefois regagné leur indépendance face aux Arabes. Et en Espagne, plus de sept siècles de guerre ont résulté à la reconquête des chrétiens de toute la péninsule. Cependant, la Mésopotamie et l’Égypte, les deux berceaux de l’ancienne civilisation, sont restées arabes, comme toute la côte de l’Afrique du nord.

La nouvelle religion a bien sûr continué à se répandre dans les siècles suivants, bien au-delà des frontières des conquêtes musulmanes originelles. Actuellement, il y a une dizaine de millions d’adeptes en Afrique et en Asie centrale, et bien plus au Pakistan et dans le nord de l’Inde, et en Indonésie. En Indonésie, la nouvelle foi a été un facteur d’unification. Dans le sous-continent indien, cependant, le conflit entre les musulmans et les hindouistes reste toujours un obstacle à l’unité.

Alors, comment évaluer l’impact global de Muhammad sur l’histoire de l’humanité ? Comme toutes les religions, l’Islam exerce une influence substantielle sur la vie de ses adeptes. C’est pour cette raison que les fondateurs des plus grandes religions trouvent tous leur place dans ce livre. Depuis, il y a à peu près autant de musulmans que de chrétiens dans le monde, il peut même apparaître étrange que Muhammad ait été placé au-dessus de Jésus[3].

Il y a, à ce choix, deux raisons principales. Tout d’abord, Muhammad a joué un rôle beaucoup plus important dans le développement de l’Islam que Jésus pour le développement de la chrétienté. Bien que Jésus ait été responsable des principaux préceptes éthiques et moraux de la chrétienté (dans la mesure où ils se distinguent du judaïsme), Saint Paul est celui qui a principalement développer la théologie chrétienne, son principe prosélyte et, il est l’auteur d’une grande partie du Nouveau Testament.

Muhammad est, cependant, responsable de la théologie de l’Islam mais aussi de ses principes moraux essentiels. De plus, il a joué un rôle clé dans la diffusion de la nouvelle religion et dans l’établissement des pratiques religieuses de l’Islam.

(…)

La plupart de ces allégations ont été retranscrites de façon plus ou moins fidèle lors de son vivant, puis, peu après sa mort, elles ont été rassemblées sous une forme faisant autorité.

Le Coran représente donc étroitement ses idées et ses enseignements, et dans une large mesure, sa parole exacte. Aucune compilation d’une telle exactitude des enseignements du Christ n’a persisté. Depuis, le Coran est aussi important pour les musulmans que n’est la Bible pour les chrétiens, l’influence de Muhammad par le biais du Coran a été substantielle.

Il est probable que l’influence de Muhammad en Islam est bien plus grande que l’ensemble des influences de Jésus-Christ et de Saint-Paul dans le christianisme. Sur le plan purement religieux, il semble probable que Muhammad ait été aussi influent dans l’histoire de l’humanité que Jésus.

En plus, Muhammad (contrairement à Jésus) était un dirigeant aussi bien laïc que religieux. En réalité, en tant qu’entrepreneur des conquêtes arabes, il pourrait bien être considéré comme leader politique le plus influent de tous les temps.

L’on pourrait penser de plusieurs événements historiques importants qu’ils étaient inévitables, c’est-à-dire qu’ils se seraient produits malgré le dirigeant politique qui les a guidés. Par exemple, les colonies sud-américaines auraient probablement gagné leur indépendance face à l’Espagne même si Simon Bolivar[4] n’avait jamais été là. Mais, s’agissant des conquêtes arabes, cela ne peut être affirmé.

Rien de tel n’avait eu lieu avant Muhammad et il n’y a rien qui puisse laisser penser que cela aurait pu se réaliser sans lui. Les seules conquêtes, dans l’histoire de l’humanité, qui pourraient être comparables sont celles des mongoles au treizième siècle, principalement dues à l’influence de Genghis Khan[5]. Mais, ces conquêtes, bien qu’elles soient plus étendues, n’ont pas perdurées, et aujourd’hui les seules zones occupées par les mongoles sont celles qu’ils disposaient avant l’époque de Genghis Khan.

Il en est tout autrement s’agissant des conquêtes arabes. En partant de l’Irak au Maroc, s’étend toute une chaine de nations arabes qui sont unies non seulement par leur foi en l’Islam mais aussi par leur langue, leur histoire et leur culture.

La centralité du Coran dans la religion musulmane et le fait qu’il soit écrit en arabe ont probablement empêché la langue arabe de se décomposer en de multiples dialectes qui seraient incompréhensibles entre eux, ce qui aurait pu se produire dans l’intervalle de treize siècles.

Les différences et les divisions entre ces États arabes existent mais la désunion partielle ne devrait pas nous aveugler sur les éléments importants de l’unité qui ont continué d’exister. Par exemple, ni l’Iran ni l’Indonésie, tous deux États producteurs de pétrole et de religion islamique, n’ont rejoint l’embargo pétrolier de l’hiver 1973-74. Ce n’est pas une coïncidence que tous les États arabes, et uniquement les États arabes, ont participé à cet embargo.

On peut alors voir que les conquêtes arabes du septième siècle ont continué de jouer un rôle important dans l’histoire de l’humanité jusqu’à ce jour. C’est une association inégalée d’influence laïque et religieuse qui, à mon sens, lui donne le droit d’être considéré comme étant une personnalité non seulement unique mais aussi la plus influente de l’histoire de l’humanité.

Michael Hart

Notes :

[1] Aujourd’hui seize siècles

[2] La traduction littérale de Médine est cité qui renvoie à la citoyenneté car la Prophète Muhammad a voulu mettre l’accent sur celle-ci sans islamiser ce lieu anciennement appelé Yathrib.

[3] Le Prophète Muhammad interdisait à sa communauté de hiérarchiser les prophètes (hadith rapporté par les deux authentiques)

[4] Simon Bolivar (1783-1830), autrement connu sous le nom de El Libertador pour avoir été l’un des principaux participants à l’indépendance des colonies espagnoles en Amérique du sud.

[5] Genghis Khan (~1155-1162/1227) était le chef du clan de la tribu des Bordjiguines puis devient un chef militaire. Il détient un empire plus vaste que celui de Napoléon par exemple.

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