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« Le CFCM est toujours l’instance officielle du culte musulman »

Alors que la guerre des chefs a repris entre Mohammed Moussaoui (CFCM) et Chems-eddine Hafiz (GMP), à coup de communiqués incendiaires, les deux hommes ont annoncé chacun de leur côté le lancement d’un Conseil national des imams. Un scénario d’un exécutif bicéphale qui complique un peu plus l’avenir institutionnel de l’islam de France. Analyse.

Désarroi. La montée des tensions entre le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz et Mohammed Moussaoui président du CFCM a atteint un nouveau point culminant après le communiqué de M. Hafiz dénonçant un boycott des cérémonies du 11 novembre 2021 à l’encontre de son institution. « Les pouvoirs publics ne peuvent s’exonérer de la symbolique que représente la Grande mosquée de Paris en invitant aux cérémonies officielles le Conseil français du culte musulman, organe très contesté par les musulmans de France (…) Le CFCM actuel sert exclusivement une politique individuelle qui n’est plus dans la représentation religieuse mais dans la défense d’intérêts étrangers. » Une charge interne (non représentativité du CFCM) et externe (défense des intérêts du Maroc) auxquelles le président du CFCM a répondu lui-même se déclarant « indigné par les déclarations intempestives et diffamatoires » de M. Hafiz qu’il a à ce titre jugé indigne de la fonction de recteur de la Mosquée de Paris.

CFCM/Coordination : une rupture consommée

Dans la foulée de ces deux communiqués, les deux hommes ont annoncé chacun le lancement prochain du Conseil national des imams (CNI). La coordination regroupant les quatre fédérations transfuges du CFCM (FNGMP, RMF, MF et FFAIACA) a prévu la date du 21 novembre pour cette annonce officielle contre le 12 décembre pour le CFCM.

On ne pouvait imaginer pire scénario. La sortie du bureau du CFCM par les quatre fédérations, en mars dernier, avait certainement préparé le terrain à cette scission désormais inévitable, mais la confusion règne à présent, soulevant toute sorte de questions.

Lequel de ces deux CNI sera le référent à l’échelle nationale ? Les mosquées vont-elles devoir trancher cette guerre larvée en faisant leur propre choix ? Quelle sera la position de l’exécutif ? Favorisera-t-il l’un des deux camps ?

Contactée par notre rédaction, Clément Rouchouse du Bureau central des cultes nous répond que, sur le dossier du Conseil national des imams, « La position du ministère n’est pas encore arrêtée », ce qui ouvre la porte à plusieurs interprétations.

Cette indécision doit en réalité être surtout replacée dans le contexte qui a amené les 4 fédérations à quitter le navire du CFCM. Au moment du discours des Mureaux prononcé par le président de la République Emmanuel Macron le 2 octobre 2020, le chef de l’état avait mis la pression sur les acteurs du culte musulman. « Nous allons nous-mêmes former nos imams et nos psalmodieurs (…) ça n’est pas l’État qui le fera, en vertu même du principe de séparation, ce sera au Conseil français du culte musulman (…) je leur ai dit avec le ministre il y a deux jours, c’est une pression immense que nous allons exercer sur eux, parce que nous n’avons pas le droit d’échouer. » Le Conseil national des imams venait de naître.

La charte de la discorde

Après moult discussions internes, les acteurs s’étaient mis d’accord sur une base statutaire définissant les critères, les exigences et les missions de l’imam, document de travail qui avait été présenté au chef de l’Etat. Mais les négociations cultuelles ont tourné au vinaigre lorsqu’une nouvelle exigence fut mentionnée par l’exécutif français : la signature d’une charte des principes de l’islam, sorte de document cadre devant clarifier les rapports entre l’islam et les principes républicains. Le document présenté a été jugée flou, maladroit, certains de ses passages estimés contradictoires avec des prescriptions islamiques par les trois fédérations (CIMG, CCMTF, Foi et Pratique) non signataires, et inacceptable par la méthode de contrainte privilégiée par certains ministres à leur encontre pour qu’elles le signent.

Les 3 fédérations ont néanmoins réaffirmé leur adhésion aux principes républicains et quelques jours plus tard ont présenté leur propre déclaration de principe le 6 avril dernier. Mais rien n’y fit. Les 4 fédérations qui constituent la coordination, signataires de la charte, ont argué de ce désaccord pour justifier leur sortie du bureau CFCM, tout en participant aux assemblées générales. Le comble étant que M. Moussaoui comme M. Hafiz soutiennent tous les deux ce document. Comment comprendre alors ce fossé entre les deux acteurs du culte musulman ?

Par des raisons de pouvoir, de leadership et d’influence que la nouvelle orientation politique de l’Etat français a visiblement accentué.  Cette orientation concerne la politique de restructuration de l’architecture institutionnelle de l’islam français lancée, il y a quelques années, et qui vise à reconstruire la maison islam par la base locale, départementale.

Une réforme institutionnelle par le bas

En 2015, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, appelait déjà dans une circulaire les préfets à organiser des assises de consultation locale. Sans grand résultat. Trois ans plus tard, son successeur Gérard Collomb relançait la machine et Christophe Castaner poursuivra ce travail en 2019.  Les dernières assises ont pris fin le 31 mai 2021 sous l’égide du ministre Darmanin.

La dynamique est lancée et elle rejoint, une fois n’est pas coutume, celle de plusieurs instances locales du culte musulman. Dès 2003, la création de l’Union des associations musulmanes du 93 (UAM 93) illustrait la volonté des acteurs locaux de se structurer à l’échelle départementale.

Mais depuis quelques années, c’est l’Union des mosquées de France, fédération présidée par l’actuel président du CFCM Mohammed Moussaoui, qui a le plus marqué le pas dans cette direction. En mars 2018, un séminaire de l’UMF débouchait sur un rapport de propositions sur l’organisation et le financement du culte musulman. Dès la proposition n°1, le leitmotiv poursuivi était affiché : « organiser le culte musulman autour de deux instances : l’une administrative et gestionnaire, l’autre en charge des aspects religieux et théologique. Les deux doivent s’appuyer sur des antennes départementales et régionales. »

Un maillage local des mosquées a été effectué au fil des années et l’Union des mosquées de France revendique aujourd’hui 750 mosquées affiliées sous 13 conseils régionaux de l’UMF. De quoi faire grincer des dents la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris, historiquement liée à l’Algérie, bien loin d’afficher autant de lieux de culte. La dernière victoire aux élections du CFCM en 2019 de l’UMF de M. Moussaoui a confirmé la nature du rapport de force qui se joue sur le terrain. Joint par notre rédaction, le recteur de la GMP Chems-eddine Hafiz n’a pas, pour le moment, souhaité s’exprimer.

Les angles morts d’une réforme

La départementalisation cultuelle du CFCM ou de toute autre instance représentative profite aujourd’hui incontestablement à l’UMF et donc aussi, sur l’arrière-plan de l’influence politique au Maroc, pays avec lequel l’UMF entretient des rapports privilégiés. Sur son site internet, deux formations pour les imams, l’une de trois ans, l’autre de trois mois, organisées à l’Institut Mohammed VI à Rabat, y sont notamment proposées. Un partenariat entre la monarchie et l’UMF, signé à ce sujet, le précise : « Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste, a donné son accord pour que l’Institut puisse former, en plus des Imams Morchidines et des Morchidates  marocains,  des  Imams  étrangers  venant  de  pays africains, européens et autres, notamment, le Mali, la Guinée-Conakry, la Côte-d’Ivoire, la Tunisie et la France via l’Union des Mosquées de France (UMF). » Le durcissement des relations diplomatiques algéro-marocaines autour du Sahara occidental n’a sans doute fait qu’accroître la tension des rapports entre les deux institutions en France, même si cet aspect ne doit pas être sur-interprété, les deux institutions ayant également leur propre agenda.

Cette opposition d’intérêts a dès le départ provoqué une lente paralysie du CFCM.

Le président du CFCM dénonce fréquemment à ce sujet une prise en otage de son institution par les quatre fédérations qui, réunies, « n’ont obtenu que 12 élus sur les 44, soit 27%, aux élections du CFCM de 2019, auxquelles environ 1000 mosquées ont participé. » « Par un système de désignation totalement arbitraire imposé par ces mêmes fédérations, elles prennent en otage l’organisation du culte musulman », déplore-t-il. La réforme du CFCM prévoit notamment de revenir sur le privilège accordé aux fédérations fondatrices dans les mécanismes de désignation interne pour revenir à une base électorale.

Mohammed Moussaoui.

Mais cette réforme ne prévoit pas de solutionner le conflit sourd entre l’actuelle direction politique et les fédérations non-signataires de la charte des principes, signature exigée par Emmanuel Macron et Gérald Darmanin. Pour le pouvoir, cette signataire représentait un soutien de l’instance musulmane au projet de loi contre le séparatisme, devenu entretemps une loi votée au parlement, texte essentiellement dirigé contre des établissements scolaires, confessionnels, ou des entreprises gérées par des musulmans accusés par l’exécutif de promouvoir un islam politique ou communautariste. Cette adhésion inconditionnelle à la charte intervient, ne l’oublions pas, au niveau national de la représentativité du culte musulman, échelle des interlocuteurs officiels de l’Etat.

A moins d’un adoucissement de la politique du gouvernement sur ce point, peu probable étant donné l’intensité placée dans cette exigence, ou d’une signature de la totalité des fédérations, le problème de la crise de confiance entre le pouvoir et les institutions musulmanes demeure entier.

Autre aspect absent de la réforme annoncé, l’émergence de cadres religieux, imams et responsables d’associations français. L’ensemble du personnel religieux étant actuellement issu des pays d’origine (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Pakistan, Mali, Comores) et dispensant un discours inadapté aux réalités de la société française, ce point qui est sans doute le plus important d’une réforme du culte, n’a pas été pris en charge et ne peut l’être étant donné le background et les intérêts des décideurs actuels du culte musulman.

CIMG : le CFCM « a eu une réaction légitime »

Pour le moment, les acteurs de ce bras-de-fer attendent certainement un arbitrage officiel de l’Etat qui tiennent compte des sensibilités et des rapports de force réels de ces institutions.  Ce qui ne sera pas une mince affaire.

Pour le CFCM, la prochaine annonce de création d’un CNI hors de son institution est, quoi qu’il arrive, dénuée de légitimité.

Dans un communiqué publié jeudi 18 novembre, le bureau du CFCM a déjà relativisé la prochaine annonce de création d’un CNI par la coordination, projet lancé et acté « sous l’égide du CFCM ». Ce CNI bis « sera un de plus dans la liste déjà existante (…) créés en France : Conseil des Imams de France (CIF, 1992), Conférence des Imams de France (CIF, 2009), Conseil Théologique Musulman de France (CTMF, 2015), Conseil Religieux du CFCM (2016). Portés par quelques associations ou personnes non représentatifs de l’ensemble des imams de France, aucun de ces conseils n’a pu obtenir l’adhésion de tous. » Le communiqué dénonce également « un détournement du travail fait sous l’égide du CFCM » et envisage un possible recours judiciaire pour le faire valoir.

Doit-on alors s’attendre à une course de vitesse entre les deux projets de Conseil national des imams ? Pour Fatih Sarikir, président de la CIMG France, l’une des trois fédérations du bureau du CFCM, la réponse est non.

« Le CFCM a eu une réaction légitime, à la suite de l’annonce unilatérale de la coordination sur le lancement d’un Conseil national des imams bis, car c’est lui qui a patronné la mise en place de ce CNI. Le CFCM est toujours l’instance officielle du culte musulman. Nous ne sommes pas dans la course. Nous avons annoncé une date située mi-décembre (le 12 décembre) pour nous permettre d’avoir le temps de consulter l’ensemble des acteurs et des institutions départementales qui se sont créées, et sont de plus en plus nombreuses », a-t-il confié à la rédaction de Mizane.info.

Fatih Sarikir. © Mizane.info

Lui aussi partage la même analyse sur la nécessité d’une restructuration générale de l’institution du culte musulman en France, du bas vers le haut, et dont le CNI serait la première étape.

« La machine est lancée, il y a beaucoup de mosquées non affiliées à des fédérations qui ont formé des associations départementales avec des fédérations comme en Seine-Saint-Denis dans le conseil départemental du culte musulman que je préside. Quelques dizaines de départements se sont réorganisés sur la base de ce régime d’association locale. Ces nouvelles institutions départementales souhaitent être des acteurs de premier plan face aux préfets. La mise en place des CNI passera forcément par ces nouvelles instances. »

Foi et pratique : la « charte doit émaner de notre corporation »

Le lancement de ces futurs CDCM (conseils départemental du culte musulman) sera le parfait contre-exemple du schéma pyramidal du CFCM. « Nous ne voulons surtout pas reproduire les erreurs du passé. Si la mise en place de ce Conseil national des imams ne prend pas en compte la base, elle n’aura aucune légitimité. Mettre en place à quatre en un week-end une instance (allusion à la coordination, ndlr) qui sera encore moins représentative que le CFCM n’a aucun sens. Une reprise du dialogue et une recomposition du CFCM doit se faire sans préalable initial », nous a déclaré M. Sarikir qui a affirmé malgré tout tendre la main aux quatre fédérations sortantes « pour retrouver l’unité et la fraternité. » « La légitimité de cette nouvelle instance ne sera acquise que si nous la réalisons tous ensemble comme convenu au départ, et surtout, nous insistons beaucoup là-dessus, avec l’implication des acteurs départementaux du culte », a-t-il ajouté.

Hamadi Hammami, de la fédération Foi et pratique, qui a répondu à nos questions, s’est voulu plus critique. « La coordination a quitté le CFCM et annonce la mise en place d’un CNI établi sans aucune concertation. S’ils le font, ils en prendront toute la responsabilité. Le plus grave dans ce spectacle indécent est qu’à aucun moment ces responsables ne prennent en compte les besoins des fidèles., des imams et des musulmans qui fréquentent les mosquées. »

Hamadi Hammami. © Mizane.info

Pour M. Hammami, « la priorité n’est pas de se chamailler au sujet d’une instance qui émane d’une décision de l’exécutif, ceci tout en reconnaissant qu’il faut que nos imams aient un statut et une reconnaissance. »

Il reconnait aussi la confusion générée par ce contexte institutionnel bicéphale et les interrogations qu’il suscite pour l’avenir.  « C’est le flou total. Est-ce que le CNI ne va remplacer le CFCM ? Nous sommes à la croisée des chemins. »

Le responsable de Foi et pratique a souligné par ailleurs l’importance de revenir à une stricte approche laïque dans la gestion du dossier islam.

« On nous accuse constamment de nous servir de notre religion pour faire de la politique, on rappelle sans cesse la séparation entre religion et politique, mais il faudrait que la réciproque soit aussi valable. L’exécutif n’a pas à s’immiscer dans un Conseil national que ce soit des imams, des rabbins ou autres (…) L’Etat est dans son rôle lorsqu’il est facilitateur et fait office de médiateur entre les acteurs du culte. A aucun moment, nous ne nous sommes mis en opposition avec les valeurs républicaines ou à une quelconque charte mais cette charte doit émaner de notre corporation. »

Fouad Bahri

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