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Le FORIF, une reprise en main ferme de l’islam par l’Etat 2/2

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au cours d’un discours à l’occasion du lancement du Forum de l’islam de France. 

Sur Mizane.info, seconde partie du texte d’analyse critique du FORIF par Fouad Bahri. L’auteur se penche cette fois sur la méthode autoritaire adoptée par le gouvernement, énonce les erreurs commises et ses potentiels effets sur l’avenir du FORIF. Version actualisée de l’article.

Le FORIF marque donc dans les faits comme dans les discours, la reprise en main ferme de l’islam par l’Etat. Une reprise en main pyramidale agissant successivement à la base mais selon une ligne dictée par le haut. Les orientations politiques sont définies, les acteurs musulmans sont sélectionnés, toute velléité d’instance nationale est écartée : charge au personnel consacré de peaufiner les détails et de trouver les solutions pratiques de terrain. La recette pour la construction d’un islam d’état gallican est là.

Gallicanisme. Le terme a été employé par le ministre de l’Intérieur dans son discours officiel inaugurant la plénière du FORIF, samedi 5 février au Conseil économique et social. Un discours très instructif, qui confirme plusieurs de nos analyses passées sur l’évolution de la France vers la constitution d’un islam d’état. Un discours, il faut bien le dire, très audacieux et qui ne craint pas les contresens.

Un discours soulignons-le à destination d’un public conquis, dans tous les sens de ce terme, et qu’il convenait de caresser dans le sens du poil, finement rasé à cette occasion.

Dans sa prise de parole, le ministre de l’Intérieur a tenté de dépasser la vision d’un conflit entre le politique, c’est-à-dire l’Etat, et le religieux. « Nous sommes les heureux citoyens d’un pays où la liberté de culte est une richesse nationale, où Dieu est heureux de vivre », dit-il. « Les religions, ajoute-t-il, structurent la vie sociale (…) (et) sont un puissant levier d’engagement dans la société. »

La laïcité selon Gérald Darmanin 

La laïcité n’est pas l’ignorance des religions et il n’existe pas de devoir de discrétion pour les religions, poursuit M. Darmanin. Une dernière affirmation qui ne sera pas du goût du théologien bordelais Tareq Oubrou qui prône pour sa part une religiosité discrète.

Et la laïcité dans tout ça ? Pour le ministre de l’Intérieur chargé des cultes, elle ne consiste pas à ignorer les religions. Mais de manière surprenante, le résident de la Place Beauvau s’est prêté à une confession courageuse. « L’islam est une religion comme les autres. Elle n’est ni la préférée de l’Etat, ni la moins aimée. » Ainsi donc l’Etat a des préférences religieuses, une hiérarchie ou un classement des religions comme on voudra. De la préférée à la moins aimée. On ne connaîtra pas l’ordre ni la composition de cette liste. Tout au plus sait-on que l’islam y occuperait une place intermédiaire.

Lire la première partie : Le FORIF, une reprise en main ferme de l’islam par l’Etat 1/2

Ces discours et ces prises de position, actés par deux décennies de décisions administratives, de propositions d’amendements et parfois même de vote de textes législatifs, confirme en réalité une lente évolution des élites politiques françaises vers une sortie de la laïcité de compromis, triomphante au moment de la loi de 1905, au profit d’une forme de suprématie de l’Etat sur les consciences citoyennes.

Ce qui implique subséquemment un transfert symbolique de la sacralité des religions vers celle de la République, de ses écoles, sanctuaires laïques, et de sa loi. « La loi, la grande loi de séparation des églises et de l’Etat, est venue d’ailleurs sacraliser, si j’ose dire, cet état de fait » explique le ministre Darmanin.

Vers un islam d’état gallican

Le gallicanisme, donc. Autrement dit, l’affirmation répétée de la primauté du politique sur tout clergé international (Rome) que la laïcité parachèvera plus tard en primauté politique sur le clergé national.

Les églises nationales vont fournir aux hauts fonctionnaires le modèle d’un islam d’état à la française car l’Etat doit conserver la main coûte que coûte. Une forme d’islam politique, d’islamisme séculier, si l’on préfère, ou d’islam d’état laïque. Après tout, les musulmans, comme le disait lui-même Gérald Darmanin, n’appartiennent à personne sauf « à la communauté nationale », dont le gouvernement est le dépositaire et l’Etat la main agissante.

Et c’est donc à la demande du politique, pour ses besoins et selon ses désirs, encore et toujours, que la création d’une institution du culte musulman verra le jour.

« La République a besoin, comme pour les autres religions, d’interlocuteurs (…) Nous avons également besoin d’une instance nationale parce que certains sujets méritent d’être traités à ce niveau. Il ne revient pas à la République laïque d’instituer un « Conseil central des musulmans de France » (…)  (mais) désormais il n’y aura plus pour le gouvernement de représentant unique du culte musulman, compétent sur tous les sujets, mais des collectifs organisés par thématiques pour obtenir des résultats concrets. »

La clause de maintien de l’ordre public offrait déjà juridiquement à l’Etat la possibilité de pouvoir restreindre des libertés religieuses, une garantie essentielle pour le maintien de sa suprématie, mais l’extensivité de cette clause a ses limites.

Pour obtenir un résultat ambitieux du point de vue politique, le ministre de l’Intérieur a dû recourir à un césarisme, mélange d’opportunisme et d’autoritarisme politique, nécessaire pour frapper vite et fort et obtenir des résultats, fussent-ils contre la laïcité, son régime de séparation et sa garantie institutionnelle des libertés religieuses pour les fidèles.

Le séparatisme, une hérésie républicaine ?

Philippe de Bel et Napoléon, deux des modèles politiques cités par Gérald Darmanin confirment cette orientation.

Le premier, souverain, roi capétien catholique (1284/1305), est entré dans l’Histoire de France comme le monarque qui aura détruit l’ordre des Chevaliers du Temple, la plus puissante organisation catholique, militaire et financière, de l’Europe. Pour y parvenir, Philippe le Bel monta de toutes pièces une accusation d’hérésie, fit emprisonner des centaines de Templiers, les fit « avouer » sous la torture et brûla vifs les chefs de l’Ordre.

« L’accusation d’hérésie est l’accusation suprême. C’est toute proportion gardée, un peu comme on dit terrorisme ou pédophilie aujourd’hui. Une fois qu’on l’a dit, le besoin de faire la preuve est moins pressant et l’indignation est immédiate », explique l’historien Julien Thery, dans l’émission « L’ombre d’un doute. Les Templiers : victimes d’un roi maudit ? » diffusée sur la chaîne Histoire TV.

La référence est sombre et n’augure rien de bon. Le séparatisme ferait-il, à son tour, office de chef d’accusation d’hérésie à la République ? Certaines des accusations portées contre des responsables de mosquées fermées, dont celle d’incitation au terrorisme, interroge au demeurant : comment expliquer que ces responsables n’aient fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire, n’aient pas même été incarcérés, alors que la gravité des accusations portées le justifiait à l’évidence ? Serait-ce parce qu’un procès signifierait la démonstration de preuves ? Nous l’ignorons.

Napoléon est-il un meilleur exemple à suivre ? Pour le ministre de l’Intérieur, qui récuse les critiques de sa politique, il l’est bien, lui qui fit dire aux Egyptiens de l’expédition bonapartiste, ceci : « On dira que je viens détruire votre religion, ne les croyez pas […] je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et je respecte (…), Dieu, son Prophète, et le Coran », citera le ministre.

Napoléon Ier, empereur, par François Gérard.

Soit. Encore fallait-il dire ces mots qui dictaient la politique religieuse de l’empereur, le même homme qui instaura la censure de la presse, rétablit l’esclavage, et fit exécuter, malgré sa promesse de les libérer s’ils se rendaient, 3000 prisonniers au siège de Jaffa (Egypte) où l’armée napoléonienne s’illustra par des viols et des massacres.

Ces mots, quels sont-ils ? « C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon. » Pour Napoléon, la fin justifiait les moyens et le cynisme était une vertu. Rien de très exemplaire.

FORIF : les erreurs du gouvernement

Le président de la République Emmanuel et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ont malgré tout commis quelques erreurs qui pourraient provoquer l’avortement du FORIF à moyen terme.

Le timing pour commencer. L’inauguration du FORIF, toute fraîche, est fragile, les groupes de travail viennent juste d’être constitués, certains dossiers sont complexes. Il faudra du temps pour consolider ce travail et un soutien politique fort, deux conditions loin d’être garanties pour l’actuel chef de l’état, et probable candidat à sa propre réélection. Une victoire politique de ses opposants pourrait signifier la non reconduction du FORIF, comme le CORIF en son temps.

La méthode ensuite. L’autoritarisme a ses avantages mais ses inconvénients également. Il résout des difficultés immédiates mais ne suffit pas à solutionner des problèmes structurels qui nécessite l’engagement des acteurs concernés, et donc leur consentement.

La séparation des églises et de l’Etat ne peut fonctionner que si les deux sphères sont réellement autonomes et respectent leurs obligations communes. Ce qui est loin d’être le cas, aussi bien pour certains cadres religieux (le CFCM l’atteste) que de la part des politiques. La lente désagrégation du contrat laïque en France, initié il y a près de 20 ans, et la prédominance d’un courant laïciste, foncièrement hostile au religieux, ne permet pas une réforme ambitieuse.

L’ingérence permanente de l’Etat est une violation rédhibitoire de ce pacte laïque et ce qui a été préalablement défait ne peut plus, en toute cohérence, être invoqué ensuite.

« L’autonomie de l’islam, écrit Franck Frégosi, par rapport à l’Etat n’est décidément pas plus acquise en France et en régime de laïcité que dans les pays où l’islam est la religion dominante de la société ».

La reconstruction sincère de ce pacte est une priorité, ce qui signifie un dépassement de l’approche hyper-sécuritaire. C’est aux actes, plus qu’aux beaux discours, que les Français de confession musulmane jugeront la crédibilité du politique.

Une néo-laïcité de surveillance

Cette autonomie implique également des acteurs religieux responsables, éclairés, suffisamment intègres pour défendre des principes et ouverts d’esprit pour les conjuguer intelligemment sur le terrain. Entretenir une culture de la soumission politique des représentants religieux aux désidératas des puissants du moment n’est pas dans l’intérêt de la France.

La France a besoin d’hommes et de femmes actifs, doués d’une forte personnalité, conscients des enjeux, et non de clercs sous contrainte ou sous influence. « Pas de contrainte en religion« . Le Coran et l’idéal laïc se rejoignent sur ce point.

La confiance enfin. La loi contre le séparatisme qui instaure une « laïcité de surveillance » et qui vise et a visé exclusivement les citoyens de confession musulmane, comme le déclarait Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale, la politique de fermeture de nombreux espaces de sociabilité musulmane, les déclarations et l’orientation des débats de l’élection présidentielle une nouvelle fois autour de la menace que l’islam représenterait en France, tous ces éléments ont créé un climat de peur perceptible et de doute angoissant chez les musulmans.

Aussi, malgré leurs attentes de voir émerger de nouveaux visages, une nouvelle approche, un travail sérieux et de saines mentalités prendrent le relais sur le dossier islam, aucune réforme de quelque nature que ce soit ne saurait être concevable sans un climat de confiance pour l’accompagner. Etant donné le contexte, autant dire que ce n’est pas demain la veille.

Fouad Bahri

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