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Qui pour arrêter le ministre de l’intérieur ?

Plusieurs structures juridiques dont le Syndicat des avocats de France et le GISTI estiment dans un communiqué consulté par Mizane.info que « la dernière digue » du Conseil d’état « a cédé » face aux « objectifs politiques délétères poursuivis par le ministre de l’intérieur » dans l’affaire Iquioussen. Mizane.info vous retranscrit cette déclaration dans son intégralité.

Chargé de juger si la décision d’expulser un imam était conforme au droit, le Conseil d’État s’est montré plus perméable aux objectifs politiques délétères poursuivis par le ministre de l’intérieur qu’aux arguments juridiques qui lui étaient opposés : adhérant sans distance ni réserve à ses thèses, il a, par une ordonnance rendue le 30 août dernier, validé l’expulsion.

Ainsi la dernière digue a-t-elle cédé : il faut se résoudre à constater que la conception toute personnelle des « valeurs de la République » – substituant la désignation d’un ennemi intérieur aux principes de la devise nationale – que le ministre ressasse jusqu’à plus soif pour justifier sa croisade est partagée dans tous les palais, de l’Élysée à Matignon et jusqu’au sein du Palais Royal. Pourtant, aucune loi ne menace d’expulsion l’étranger qui méconnaîtrait ces « valeurs ». En revanche, c’est l’État de droit qui est menacé lorsque, pour les juges chargés d’interpréter la loi, les mots perdent leur sens.

Comment des propos tenus il y a plusieurs années, jamais poursuivis pénalement et qui n’ont jamais empêché le renouvellement de précédents titres de séjour ont-ils pu caractériser, aux yeux du Conseil d’État, la « menace grave pour l’ordre public », seule susceptible de justifier l’expulsion d’un étranger ? Alors même que, juridiquement, cette menace doit être non seulement grave mais aussi « actuelle ».

De même, comment un discours « théorisant la soumission de la femme à l’homme [qui] méconnaît au détriment des femmes le principe constitutionnel d’égalité », pour rétrograde et particulièrement critiquable qu’il soit, mais hélas répandu, a-t-il pu être considéré comme une « provocation manifeste et explicite à la discrimination et à la haine » justifiant l’expulsion d’un homme né en France, qui y a toujours vécu et qui y a toutes ses attaches personnelles et familiales ? En assimilant la méconnaissance du principe d’égalité à une provocation à la discrimination, le Conseil d’État s’est engagé dans la voie d’une démonstration par l’amalgame.

C’est la Convention européenne des droits de l’Homme elle-même qui n’a plus de sens lorsque le droit au respect de la vie privée et familiale que protège son article 8 est considéré comme suffisamment sauvegardé aux yeux des juges du Palais Royal au motif que les enfants de celui qui est expulsé « sont majeurs et ne dépendent plus de leur père » et que « son épouse ne se trouve pas dans l’impossibilité de se déplacer » pour le rejoindre au Maroc. Curieuse lecture du droit que celle qui, pour condamner au bannissement, limite la protection de l’article 8 à la seule vie familiale et en réduit la sphère au conjoint et aux enfants mineurs, excluant ainsi toutes les attaches affectives, amicales et sociales qui participent de la vie privée.

Un tel dévoiement des règles de droit, au service de thèses alimentant elles-mêmes une politique aventureuse et dangereuse pour la démocratie, ne peut qu’inquiéter profondément : l’État de droit vacille lorsqu’un juge complaisant à l’égard de l’exécutif abdique sa mission.

Le 2 septembre 2022

Signataires :

ADDE (Avocats pour la défense des droits des étrangers)
Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es)
SAF (Syndicat des avocats de France)

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