Les difficultés rencontrées par de nombreuses associations musulmanes dont les comptes bancaires ont été fermés ont poussé le Forum de l’islam de France (FORIF) en concertation avec le ministère de l’intérieur a ouvrir en octobre dernier un espace de dialogue inédit entre les structures bancaires et les associations cultuelles musulmanes. Sa 1ere étude vient d’être rendue publique au moment où des membres du FORIF rencontre ce jeudi 16 février le président Macron. Mizane.info vous explique les dessous de cette initiative.
L’idée émerge du groupe de travail « droit et gestion des associations du culte musulman » du FORIF. Un groupe dont l’objectif principal est d’accompagner les associations musulmanes dans l’application des dispositions de la loi CRPR (loi dite contre le séparatisme) comme en témoigne la première publication du guide pratique relatif à l’application de la loi CRPR.
Face à la recrudescence des problèmes bancaires rencontrés par des mosquées, une nouvelle initiative a été mise en place en octobre 2022. Tout avait commencé par un appel du Conseil des mosquées du Rhône en juin 2022.
« Depuis quelques années, certaines institutions et des membres de la communauté musulmane de France sont victimes d’un Apartheid bancaire. » avait dénoncé l’institution régionale. « Des dizaines de mosquées en pleine construction (ou extension), ont subi la fermeture de leurs comptes bancaires. »
Une étude auprès de 118 associations musulmanes
Après avoir alerté les pouvoirs publics sur ce point, « rien n’a été fait » confiait à l’époque le Conseil des mosquées du Rhône. Depuis, l’appel semble avoir été entendu.
Un groupe de contact entre le FORIF, la Fédération bancaire française et la Direction générale du Trésor a été créé, dans le but affiché « de bâtir une relation durable et de confiance entre les associations du culte musulman et les banques » selon un communiqué du FORIF parvenu à la rédaction de Mizane.info.
Pour y parvenir, les acteurs musulmans du FORIF émergés de la sélection des préfectures à la suite des Assises territoriales de l’islam de France (ATIF) ont procédé à une enquête pour déterminer les problèmes subis par les associations musulmanes. 118 associations ont répondu à un questionnaire qui a identifié 4 difficultés.
Le compte bancaire de 27 % des associations musulmanes clôturé
1- L’entrée en relation avec la banque : 22% des répondants considèrent qu’il leur a été difficile d’ouvrir leur compte bancaire, notamment ces quatre dernières années. Ces difficultés concernent en particulier les associations ayant auparavant subi une clôture de compte (56%). Par ailleurs, 8,5% ont réalisé leur ouverture de compte dans le cadre du droit au compte.
2- Le dépôt d’espèces : 24% des répondants considèrent avoir rencontré des difficultés pour déposer des espèces en agence. Cette tendance est plus ressentie pour les associations situées hors Ile-de-France (27%) ou pour les associations sous régime juridique mixte (30%).
3- Les clôtures de compte : 27% des associations indiquent avoir vécu au moins une clôture de compte à l’initiative de la banque depuis leur constitution ; parmi eux, 53% ont vécu deux clôtures ou plus. Ces fermetures touchent davantage les associations régies par la loi 1907 dites « mixtes » (exerçant, outre des activités cultuelles, des activités profanes) ou ayant un budget important. Au moment de la clôture, 59% des gestionnaires étaient clients de leur banque depuis au moins cinq ans.
4- Le besoin de renforcement de la maîtrise des fondamentaux bancaires des gestionnaires est également soulignée (compétence en matière bancaire assez faible, évaluée à 5,7/10), avec 60% des mosquées fonctionnant exclusivement avec des bénévoles.
Que des « solutions concrètes » soient trouvées rapidement !
D’après la Fédération bancaire française « ce groupe a pour objet de favoriser une connaissance mutuelle des règles applicables en matière bancaire et des caractéristiques de l’activité des associations exerçant un culte » et devrait permettre de « répondre sereinement aux questions pratiques que peuvent rencontrer ces associations dans la gestion de leur relation avec leurs banques. »
« Questions pratiques », un euphémisme désignant donc la clôture de plusieurs dizaines de comptes de mosquées sans justifications des autorités bancaires et qui avait plongé ces lieux de culte dans des difficultés financières très graves.
La Fédération bancaire française est l’organisation professionnelle qui représente toutes les banques installées en France. Elle regroupe 330 entreprises bancaires adhérentes dont 117 banques étrangères et a accepté d’intégrer le groupe de contact à la demande du ministère de l’Intérieur.
Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, et membre du groupe de travail, s’est félicité pour sa part de cette avancée et a formulé le vœu que des « solutions concrètes » soient trouvées rapidement.
Le FORIF, émanation du ministère de l’Intérieur
Au-delà du guide rédigé et envoyé aux associations musulmanes pour les « accompagner » dans leur mise en conformité à la loi réconfortant les principes républicains, cette étude issue de la création de ce groupe de contact est la première action rendue publique par le Forum pour l’islam de France. Une aubaine pour la délégation du FORIF chargée de rencontrer le président de la République Macron pour lui faire part des avancées du FORI ce jeudi 16 février.
Dans son communiqué, le FORIF organisé autour de quatre groupe de travaux (statut de l’imam, aumônerie, actes anti-musulmanes et application de la loi CRPR) se définit comme « le nouveau format de dialogue entre l’État et les acteurs du culte musulman », une « émanation nationale des Assises territoriales de l’islam de France (ATIF), qui regroupent des représentants locaux du culte musulman autour des préfets et identifient les sujets prioritaires pour le culte musulman ». Des groupes de travail mais pas une institution représentant le culte musulman, répètent ses membres.
Malgré ces formulations diplomatiques, le FORIF a fait l’objet de nombreuses critiques. L’instance est considérée par de nombreux acteurs musulmans comme une nouvelle émanation du ministère de l’Intérieur. La liste des intervenants admis en son sein ayant été l’objet d’une validation des services préfectoraux engagés dans les Assises territoriales de l’islam de France et du travail de propositions mené par le Bureau central des cultes, lui-même dépendant du ministère de l’Intérieur.
La sénatrice Eustache-Brinio dénonce la composition occulte du FORIF
Le FORIF avait été créé au lendemain de la mise à l’écart officielle du Conseil français du culte musulman, considéré par l’actuel gouvernement sous tutelle des services consulaires (algériens, marocains ou turcs) et ce au moment de sa présidence par Mohammed Moussaoui dont des accusations de liens avec les services secrets marocains avaient été également épinglés par la presse, liens démentis par l’intéressé.
Les critiques du FORIF font également valoir le caractère anti-laïque de cette démarche alors même que toutes les tentatives précédentes de faire émerger une institution musulmane française ont échoué du fait des intérêts consulaires et politiques divergents des principales fédérations musulmanes.
Selon Le Point, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR) a quant à elle dénoncé le caractère occulte de la composition du FORIF. « La liste complète des participants à ces travaux n’a jamais été communiquée en dépit des demandes répétées de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR), qui a posé une question orale au gouvernement le 3 novembre 2022, puis une question écrite : « Je n’ai jamais obtenu de réponse ! On me dit que la composition est mouvante et que c’est la raison pour laquelle on ne me communique pas de liste », a commenté la sénatrice.