Dans une chronique publiée par Mizane.info, Sofiane Salam expose de manière synthétique ses vues sur certains aspects de l’esprit sectaire et du sectarisme religieux.
Le pire moyen de convaincre une personne de renoncer à son hérésie, c’est de l’accuser de l’avoir adoptée uniquement par orgueil, mauvaise foi ou hypocrisie. Cela peut effectivement être plus ou moins le cas selon les personnes, mais à vrai dire, il est quasiment impossible de le savoir à moins de connaître parfaitement ses intentions, son cheminement personnel et sa manière de comprendre les arguments.
L’argumentation sans passion
Le seul « avantage », temporaire, de ces accusations frontales consiste à les pointer du doigt pour mieux mettre en garde et faire craindre à d’autres de s’en rapprocher. Seulement cette stratégie n’est que temporaire. Nombre de personnes voudront découvrir par eux-mêmes ce qu’il en est de la pertinence ou non de cette hérésie, et une fois séduits par ses fausses vérités tronqués, ils tomberont dans une « vengeance » envers vous, envers ceux qui leur auront caché « la vérité » pendant longtemps.
Parce que lorsque l’on n’a pas les outils pour déconstruire une hérésie, on finit par y tomber complètement sans savoir comment contredire ses « arguments ». D’autant plus que toute hérésie nait d’une impression de contradiction apparente de l’orthodoxie, de la norme dominante; ensuite elle évolue vers un extrême et se constitue souvent en une doctrine hétérodoxe.
Alors peu importe l’intention de celui ou celle qui se laisse tenter par l’hérésie, l’accent doit être mis uniquement sur la déconstruction des arguments. Aussi bien pour ne pas heurter leur amour-propre, les braquer et les rendre sourds à toute explication, que pour ne pas les faire passer pour les victimes auprès des temoins du débat, qui eux, méritent d’être informés, et pas seulement mis en garde.
La recette du succès du sectarisme
Si les frères sectaires ont autant de succès, ce n’est pas parce qu’ils disent la vérité mais tout simplement parce qu’ils sont plus présents sur les réseaux. C’est comme en politique, celui qui gagne les élections est souvent celui qui est le plus médiatisé. Il y a une corrélation très importante.
Leur succès vient aussi de la réceptivité d’un large publique qui est habitué à consommer des vidéos courtes qui font le buzz en donnant l’impression d’apporter une nouvelle information (la dernière tendance à la mode) qui apportera une valeur sociale perçue supplémentaire à tous ceux qui la mettront en pratique, et dans le même temps, elle donnera l’impression à quiconque l’ignore d’être un…. ignorant, de ne pas être « dans le coup », de ne pas suivre la dernière tendance. C’est souvent le cas lorsque chez les jeunes religions et tendances populaires sont liées.
Ce qu’il manque chez ceux qui ont sérieusement étudié la religion, qui ont un discours plus sage et plus spirituel, c’est cette capacité d’attirer cette jeunesse avec des discours et vidéos courtes et attractives afin de les orienter vers des cours plus profonds et complets (il y en a de plus en plus mais pas assez malheureusement).
C’est l’époque qui veut cela, parce qu’une partie de notre jeunesse, en plus d’être en rupture avec l’effort intellectuel nécessaire à la scolarité, est tout autant « flemmarde » avec l’apprentissage religieux. Avant de les éduquer, il faut déjà leur redonner le goût de s’éduquer. Et c’est tout un travail générationel.
Si les gens ne vont plus à la mosquée, c’est à la mosquée de venir aux gens. Ce n’est pas un sermon, c’est un conseil que j’espère mettre en pratique également un jour. Parce qu’autrement, nous laissons place à la désinformation totale et à la manipulation des sectaires, des déformistes, des coranistes qui rejettent une tradition prophétique (sunna) (dont ils ignorent totalement les différents procédés d’authentifications) et des « ex-musulmans » qui n’ont jamais étudié l’islam mais sont de plus en plus médiatisés par leur public que l’on retrouve principalement du côté de l’extrême droite ou des partisans du sionisme.
Dépasser les oppositions par le haut
Les personnes qui ne nous aiment pas nous en apprennent beaucoup sur nous même, bien plus que ceux qui nous flattent. Généralement, leurs ressentiments ont une origine justifiée qu’il faut rechercher (comme on en a aussi). Ce n’est qu’en second lieu que leurs ressentiments sont exacerbés par divers biais cognitifs. Sauf qu’au lieu de nous remettre en question sur nos défauts ( aussi bien à titre personnel que collectif), on préfère se dire qu’ils sont uniquement jaloux, bêtes et méchants, racistes, islamophobes, etc.
L’objectif n’est évidemment pas de contenter tout le monde, ni même un maximum de personnes, mais de chercher à comprendre comment on peut être détestables par moments et pourquoi, et de moins l’être pour ceux qui nous apprécient et supportent difficilement nos mauvais côtés. Sinon on peut toujours continuer à vivre dans le déni et imposer d’être acceptés tels que nous sommes. C’est plus facile que de devenir de meilleurs croyants.
La plupart des salafis sont de bonne foi et se contentent de propager des discours et formules que l’on a imposé à leur crédulité en usant de l’argument d’autorité, de la crainte du bannissement communautaire et de l’enfer, à fortiori au moment où ils cherchaient à intégrer ou réintégrer l’apparente communauté de foi et de pratique religieuse.
On leur a dressé un champ du savoir religieux assez limité, orienté, et au-delà duquel il n’y aurait que perdition. Peut-on les tenir pour entièrement responsables d’avoir fait confiance à ceux qui leur paraissaient pleins de certitude et de piété ? Exception faite des plus zélés et des teigneux adeptes de l’excommunication et des mises en garde.
Alors même s’il peut être tentant de les tourner en dérision en mentionnant leur tendance, ce sont tous ceux qui considèrent en faire partie qui se sentiront offensés. Comment, dès lors, pourraient-ils être réceptifs à échanger, voir à remettre en question et modifier des convictions profondes ? Rares sont ceux qui peuvent y arriver facilement sans avoir l’impression de se trahir et perdre une partie de leur identité.
Est-ce que l’on souhaite réellement leur bien en leur disant les meilleures paroles qu’ils devraient entendre ou simplement avoir un sentiment de victoire et de vengeance en les tournant en ridicule ?
Le véritable problème, qui va même bien au-delà de ce seul sujet puisqu’il concerne toutes les oppositions et disputes entre musulmans, c’est que l’on se contente systématiquement d’exprimer sa simple subjectivité, souvent avec émotion, et rarement en cherchant à comprendre comment et pourquoi les autres adoptent telle opinion.
Et pourtant, tout le monde pense être arrivé à une conclusion parfaitement logique et raisonnable. Alors, on doit bien pouvoir essayer d’être convaincants sans briser l’ego et placer son interlocuteur dans une position naturelle de défense.
Sofiane Salam
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