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Al Ghazali : distinguer jalousie et rivalité

Si la jalousie est incontestablement un défaut de l’âme, la rivalité est-elle pour autant condamnable ? Le théologien, juriste et mystique Abou Hamid Al Ghazali s’est penché sur la question. Mizane.info publie un texte extrait de son ouvrage « L’Apaisement du Cœur » (Albouraq) dans lequel il y répond.

Sache qu’il n’y a de jalousie que s’il y a un bienfait. Il y a deux situations possibles pour toi lorsque le Seigneur accorde un bienfait à ton frère humain : – ou tu détestes ce bienfait et tu souhaites sa disparition. C’est cet état qu’on appelle la jalousie. La jalousie se définit par l’horreur d’un bienfait et le souhait de voir celui qui l’a reçu le perdre. – ou tu ne souhaites pas la disparition de ce bienfait dont tu ne détestes ni l’existence ni la durée et tu désires pour toi-même un bienfait pareil. Cet état se nomme l’envie et sous une certaine forme c’est la rivalité. La rivalité peut être appelée jalousie et vice-versa. On substitue parfois l’un des deux termes à l’autre.

Le Prophète a dit : « Le croyant envie et l’hypocrite jalouse. » La première situation est illicite, bien sûr. À moins qu’il ne s’agisse d’un bienfait pour un débauché ou un impie car ils s’aideront de ce bienfait pour corrompre les mœurs. Que tu détestes le bienfait acquis par ceux-là ne te portera aucun mal. Tu aimeras sa disparition non pas parce que c’est un bienfait mais parce que c’est un instrument de corruption. Le Tout-Puissant a dit à ce sujet : « Quand un bonheur vous atteint, il les met en peine ; et si c’est un malheur, ils s’en réjouissent. 1 »

Cette joie est une joie maligne et la joie maligne accompagne la jalousie. Le Tout-Puissant : « Ils voudraient vous voir renier Dieu, comme eux ils ont renié : vous seriez alors égaux. 2 » Le Seigneur évoque la jalousie des frères de Joseph et décrit ce qu’ils ressentaient par cette parole : « Lorsqu’ils dirent : Joseph et son frère sont plus que nous aimés de notre père, et nous sommes une troupe ; notre père est dans une erreur manifeste ; tuez donc Joseph – ou le reléguez en quelque lieu ; la face de votre père restera à vous seuls. 3 »

Lorsque les frères de Joseph ont détesté l’amour que leur père portait à celui-ci et qu’ils ont désiré que cet amour disparaisse, ils ont éloigné Joseph de son père. Le Tout-Puissant dit : « Pour ceux qui avant eux se fixèrent en la demeure assignée à la foi, qui aiment ceux qui émigrent auprès d’eux, n’éprouvent en leur cœur aucun sentiment de jalousie à l’égard de ce qui leur est donné. 4 » Le Seigneur fait les louanges de ceux-ci pour l’absence de jalousie en leur cœur. Il dit sous forme de réprobation : « Ou sont-ils envieux des hommes, pour ce que Dieu leur procure en sa générosité ? 5 »

Le Seigneur dit aussi : « Les hommes formaient une même nation ; Dieu envoya les prophètes, pour annoncer et avertir, et par eux Il révéla le Livre, en toute vérité, pour qu’il jugeât les différends qui divisaient les hommes ; ceux à qui il parvint furent les seuls à tomber en désaccord sur lui ; après que les versets clairs leur furent parvenus ; cela, par rivalité entre eux. 6 » L’exégèse explique la rivalité ici par : jalousie. Le Seigneur dit de même : « Et ils ne se sont séparés qu’après avoir reçu le savoir et ce, par rivalité entre eux. 7 »

Dieu leur avait révélé le savoir pour les réunir et pour que règne entre eux la concorde dans l’obéissance à Lui ; il leur avait ordonné de faire du savoir un moyen de concorde, mais ils se sont jalousés et sont tombés en désaccord. Chacun d’entre eux voulait être seul le chef. Ibn Abbas rapportait : « Avant l’arrivée du Prophète – que Dieu lui accorde Sa bénédiction – les Juifs s’adressaient à Dieu quand ils allaient au combat en disant : « Nous te demanderons le Prophète que Tu as promis de nous envoyer et le Livre que Tu révéleras que si Tu nous donnes la victoire. »

Mais lorsque le Prophète qui était de la Maison d’Ismaël vint, ils se détournèrent de lui. Et le Seigneur dit : « Quand leur parvint de Dieu un Livre confirmant ce qu’ils avaient devers eux ; alors qu’auparavant ils se promettaient la victoire sur les infidèles ; – lors donc que leur parvint ce qu’ils reconnurent, ils le renièrent ; maudits soient donc les infidèles ! Pire chose contre laquelle ils troquent leurs âmes, que de renier la révélation venant de Dieu, uniquement par envie. 8 »

L’envie est ici aussi synonyme de jalousie. Safya bint Hay dit au Prophète : « Mon père et mon oncle rentrèrent un jour de chez toi. Et mon père demanda à mon oncle : qu’en penses-tu ? Mon oncle répondit : Je dis qu’il est le prophète que Moïse a annoncé – Que devons-nous faire ? Demanda mon père – Nous devons le combattre sur terre, répondit mon oncle. » Telle est la jalousie.

Quant à la rivalité, elle n’est pas interdite par la religion. Elle est : ou obligatoire ou demandée, ou bien simplement permise. On utilise parfois le terme de jalousie à la place de rivalité et vice-versa. Kathm Ibn Al-Abbas raconte qu’Ali a voulu les dissuader, lui et Al-Fadhl, d’aller au Prophète lui demander l’ordre de procéder à l’aumône légale. Ils lui répondirent : Ce que tu dis là est de la rivalité. Et pourtant, lorsqu’il t’avait accordé la main de sa fille, nous n’avons pas rivalisé avec toi. En vérité, ils voulaient parler de jalousie et ils voulaient dire qu’ils ne l’avaient pas jalousé lorsqu’il épousa Fatima. Ce qui indique le caractère permis de la rivalité est la parole du Seigneur : « Et que cela excite l’émulation entre les émulateurs. 9 » Le Seigneur dit aussi : « Accourez au plus vite à un pardon de votre Seigneur. 10 » On accourt lorsqu’on craint que le temps ne passe trop vite et de ne pas être à l’heure. Par exemple, deux esclaves accourent pour servir leur maître.

Chacun d’entre eux craint que l’autre ne le devance et qu’il n’ait auprès du maître une considération que lui n’aurait pas. Et comment il n’en serait pas ainsi alors que le Prophète disait : « La jalousie ne doit pas exister dans deux cas : dans le cas d’un homme à qui Dieu donne des biens et qu’il dépense pour la vérité et dans celui d’un homme à qui Dieu donne le savoir et qui l’utilise pour diriger son œuvre et qu’il enseigne aux autres. »

Le Prophète explique dans une parole rapportée par Abou Kabcha Al-Ammari : « Cette communauté ressemble à ces quatre cas : un homme à qui Dieu donne le Savoir et l’argent ; il œuvre dirigé par son savoir et s’aidant de son argent. Un homme à qui Dieu donne le savoir mais auquel Il ne donne pas de l’argent. Cet homme s’adresse à Dieu et dit : Seigneur, si j’avais de l’argent comme Untel, je l’aurais utilisé comme il l’utilise. Ces deux cas ont la même rétribution. Puis, il y a le cas de celui à qui Dieu accorde de l’argent mais ne lui accorde pas le savoir et qui utilise son argent dans les désobéissances.

Enfin, il y a celui à qui le Seigneur n’accorde ni argent ni savoir et qui dit : Ah, si j’avais autant d’argent qu’Untel, je le dépenserais comme il le dépense dans les désobéissances à Dieu. Ces deux-là sont pareils dans le péché. » Le Prophète blâme ces deux derniers cas pour leur amour du péché et non pas pour le bienfait dont ils jouissent ou qu’ils souhaitent avoir. Il n’y a donc pas de mal à envier quelqu’un d’autre pour les bienfaits dont il jouit et de souhaiter en avoir autant tant qu’on ne désire pas qu’il en soit dépourvu ou que le bienfait disparaisse. Surtout si ce bienfait est un bienfait religieux et obligatoire comme la foi, la prière, l’aumône légale. Là, la rivalité (ou l’émulation) est obligatoire.

Désirer avoir ce bienfait dont un autre jouit est obligatoire car si on ne le désire pas cela équivaudra à se satisfaire du péché. Si le bienfait est une vertu comme de dépenser, par exemple, son argent dans les aumônes légales, l’émulation est demandée dans ce cas. Elle est permise aussi quand il s’agit d’un bienfait dont on jouit d’une manière licite. Car on ne recherche ici qu’à être dans une situation pareille à celle de l’autre sans détestation du bienfait dont il jouit.

Il y a deux éléments dans ce cas : le bien dont jouit l’un et, a contrario, la situation démunie de l’autre. Ce dernier ne déteste que l’un des aspects, celui qui se rapporte à sa situation. Il n’y a pas de mal à ce quelqu’un déteste sa situation tant qu’il ne cherche que le licite pour en jouir. Bien sûr, une telle situation éloigne des vertus et est contraire à l’ascétisme et à la résignation à la volonté de Dieu comme elle empêche d’atteindre les degrés élevés mais elle n’entraîne pas la désobéissance à la volonté du Seigneur. Il y a cependant ici un point obscur : si on désespère d’acquérir ce bienfait alors qu’on déteste sa propre situation démunie, on souhaite alors la disparition du manque. On demande que son propre manque disparaisse ou qu’on obtienne le même bienfait ou que le bienfait dont jouit l’autre disparaisse.

Si l’une des deux voies est bouchée, le cœur ne cessera pas de désirer l’autre voie jusqu’à ce que le bienfait dont jouit l’autre disparaisse et que, par là-même, son propre manque disparaisse. Aller jusqu’à œuvrer pour faire disparaître un bienfait dont jouit un autre est de la jalousie caractérisée et blâmable. La piété interdit de souhaiter la disparition d’un bienfait qu’on désire pour soi-même. Peut-être est-ce là le sens de la parole du Prophète : « Il y a trois choses auxquelles n’échappe pas le croyant : la jalousie, la suspicion et la superstition. » Et il ajoute que le croyant a une issue : « Si tu jalouses, n’envie pas. » Autrement dit : s’il est quelque chose en ton cœur, n’agis pas selon ce sentiment. Tout homme voit au-dessus de lui des connaissances et des camarades qu’il aimerait égaler.

Cela peut entraîner à la jalousie interdite si on n’a pas une foi puissante et une piété solide. La peur d’être dépassé et de voir apparaître son propre manque peut entraîner à une jalousie blâmable et au désir de voir disparaître le bienfait dont jouit un frère (en religion) afin que celui-ci descende au degré où on se trouve puisqu’on est incapable soi-même de se rehausser à son niveau. Cela n’est guère permis et c’est un péché que ce soit au regard de la religion ou au regard du monde. Mais un tel sentiment peut être pardonné s’il n’est pas, par la volonté de Dieu, la motivation de l’action. Détester une telle action permet la rémission du péché que comporterait ce sentiment. Telle est la réalité de la jalousie.

Al Ghazali

Notes :

1-Âl Imrane, 120.

2 Al-Nissâ’, 89.

3 Youssef, 8.

4 Al-Hachr, 9.

5 Al-Nissâ’, 54.

6 Al-Baqara, 213.

7 Al-Choura, 14.

8 Al-Baqara, 89,90.

9 Al-Motaffifin, 26.

10 Al-Hadid, 21.

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