Médecin, philosophe et métaphysicien, Ibn Sina (Avicenne) a été l’un des premiers à développer la notion d’argument ontologique (relatif à l’être) sur l’existence de Dieu, qui sera repris par la théologie ash’arite puis par la théologie chrétienne. Docteur en philosophie, thomiste, Edward Feser expose cet argument dans un texte traduit et publié par Mizane.info.
Le philosophe islamique médiéval Ibn Sina ou Avicenne (vers 980-1037) fait partie de cette myriade de penseurs de génie injustement négligés par les philosophes contemporains. Parmi les études récentes utiles sur sa pensée, citons l’édition mise à jour d’ « Ibn Sina »de Lenn Goodman et d' »Ibn Sina » de Jon McGinnis. Plus récent encore est l’essai de McGinnis « The Ultimate Why Question: Avicenna on Why God is Absolutely Necessary » dans John F. Wippel, éd., The Ultimate Why Question: Why Is There Anything at All Rather than Nothing Whatsoever? Parmi les sujets de cet essai figure la version d’Ibn Sina de l’argument de la contingence en faveur de l’existence d’un Existent Nécessaire divin (Dieu). Jetons-y un œil.
L’argumentation de McGinnis se trouve dans le Najāt , dont l’extrait pertinent est disponible dans l’anthologie Classical Arabic Philosophy , éditée par McGinnis et David Reisman (pp. 214-215). Le contexte de l’argumentation est la vision d’Ibn Sina selon laquelle l’existence, la nécessité et la possibilité nous sont mieux connues que tout ce que nous pourrions dire pour les élucider. En particulier, l’affirmation selon laquelle quelque chose existe est plus évidemment correcte que tout argument que nous pourrions donner à l’appui de cette affirmation. Et les notions de nécessité et de possibilité sont plus fondamentales que toute autre notion à laquelle nous pourrions faire appel pour essayer de les définir. Notez qu’il ne dit pas que l’ existence de quelque chose de nécessaire est plus évidente que tout argument que nous pourrions donner à son égard ; au contraire, son objectif est précisément de donner un argument en sa faveur. Il tient pour évident que quelque chose existe ; et il tient pour évident ce que serait pour une chose d’être nécessaire. Mais il ne dit pas que quelque chose de nécessaire existe réellement.
Du possible au nécessaire
Néanmoins, Ibn Sina pense que nous pouvons dire quelque chose pour décrire les notions de nécessité et de possibilité, même si nous ne pouvons pas les définir strictement . Il dit que quelque chose qui est « nécessaire en soi » est quelque chose qui est entièrement déterminé en soi et qui ne nécessite donc aucune cause, de sorte que s’il existe, il ne peut manquer d’exister sans aucune condition. En revanche, quelque chose qui est « possible en soi » est quelque chose qui est intrinsèquement indéterminé quant à son existence ou sa non-existence, et qui nécessite donc une cause. Encore une fois, il ne s’agit pas de définitions en termes de concepts plus connus ou plus fondamentaux, mais plutôt de critères permettant d’identifier ce qui pourrait être considéré comme une chose possible ou une chose nécessaire. Ibn Sina identifie également une troisième catégorie de ce qui est possible en soi mais nécessaire par une autre. Il s’agirait de quelque chose qui n’a pas besoin d’exister en soi mais qui est néanmoins nécessairement causé par une cause.
Alors, y a -t-il quelque chose qui existe de manière nécessaire ? Cela nous amène à l’argument d’Ibn Sina, dont McGinnis donne un exposé sur plusieurs pages. Ce qui suit est mon propre résumé de l’énoncé de l’argument de McGinnis.
Dieu et l’argument ontologique d’Ibn Sina
Voici donc l’argument :
1. Quelque chose existe.
2. Tout ce qui existe est soit possible, soit nécessaire.
3. Si ce quelque chose qui existe est nécessaire, alors il y a un existant nécessaire.
4. Tout ce qui est possible a une cause.
5. Donc, si quelque chose qui existe est possible, alors il a une cause.
Arrêtons-nous un instant. On pourrait s’attendre à ce qu’après l’étape (5), la stratégie d’Ibn Sina consiste à affirmer que nous devons exclure une régression infinie des causes. Mais ce n’est pas son approche. Il tourne plutôt son attention vers le statut métaphysique de la totalité des choses possibles. La question de savoir si cette totalité est infiniment grande ou non n’est pas en vue ici.
Revenons à l’argument :
6. La totalité des choses possibles est soit nécessaire en elle-même, soit possible en elle-même.
7. La totalité ne peut être nécessaire en elle-même puisqu’elle n’existe que par l’existence de ses membres.
8. Ainsi, la totalité des choses possibles est possible en elle-même.
9. Ainsi, la totalité des choses possibles a une cause.
10. Cette cause est soit interne à la totalité, soit extérieure à elle.
11. Si c’est interne à la totalité, alors c’est soit nécessaire, soit possible.
12. Mais cela ne peut pas être nécessaire dans ce cas, car la totalité est composée de choses possibles.
13. Et cela ne peut pas non plus être possible car en tant que cause de toutes les choses possibles, la totalité de toutes les choses possibles serait dans ce cas sa propre cause, ce qui la rendrait nécessaire, ce qui est une contradiction.
14. Ainsi, la cause de la totalité des choses possibles n’est pas interne à cette totalité, mais elle lui est extérieure.
15. Mais si cette cause est en dehors de la totalité des choses possibles, alors cette cause est nécessaire.
16. Il y a donc un existant nécessaire.
Clarification de l’argumentation
Il faut noter que dans l’étape (13) l’idée de cause de soi est évoquée. Ibn Sina ne pense pas réellement qu’une telle chose soit possible, mais il l’admet simplement pour les besoins de l’argumentation. Son argument est que si une chose possible était sa propre cause, elle serait alors entièrement déterminée en elle-même et ne dépendrait de rien d’extérieur à elle, auquel cas elle ne serait pas réellement possible mais nécessaire. Puisqu’il s’agit d’une contradiction, ce qui nous a conduit à cette idée – l’hypothèse selon laquelle la cause de la totalité des choses possibles est interne à la totalité et donc elle-même possible – doit être rejeté. Bien sûr, si nous rejetons purement et simplement la possibilité de cause de soi, le même résultat s’ensuit plus rapidement.
Comme le note McGinnis, cet argument se distingue non seulement par le fait qu’il ne requiert pas de prémisse selon laquelle un infini réel est impossible (comme le font souvent les arguments cosmologiques), mais aussi par le fait qu’il ne repose pas sur une prémisse selon laquelle le monde des choses possibles est ordonné (comme le fait un argument téléologique), ou qu’il est en mouvement (comme le fait un argument aristotélicien basé sur le mouvement), ou qu’il est multiple plutôt qu’unifié (comme le ferait un argument néoplatonicien). Son but est de montrer que si quelque chose existe, alors il doit y avoir un être nécessaire (Dieu).
L’unicité de l’être de Dieu vue par Ibn Sina
L’Existant nécessaire (Dieu), selon Ibn Sina, doit être unique . Supposons qu’il y ait deux ou plusieurs Existants nécessaires. Il faudrait alors que chacun d’eux ait quelque chose qui le différencie de l’autre, quelque chose que cet Existant nécessaire possède et que l’ autre n’a pas. Dans ce cas, ils devraient avoir des parties. Or, une chose qui a des parties n’est pas nécessaire en soi, puisqu’elle existe par ses parties et ne serait donc nécessaire que par elles. Puisque l’Existant nécessaire (Dieu) est nécessaire en soi, il n’a pas de parties, et il lui manque donc tout ce qui pourrait en principe différencier un Existant nécessaire d’un autre. Il ne peut donc y en avoir plus d’un.
Il s’ensuit évidemment que l’Existant nécessaire, étant sans parties, est simple ou non composé. L’Existant nécessaire (Dieu) doit aussi être immatériel , et donc incorporel . Car la matière n’existe que dans la mesure où elle a une forme, et ce qui est composé de forme et de matière n’est pas simple mais composé. Ici l’aristotélisme d’Ibn Sina est évident.
Cela ressort aussi clairement d’un argument qu’il donne en faveur de la bonté de l’Existant nécessaire. Pour les aristotéliciens, la bonté doit être définie en termes de fin vers laquelle une chose tend en tant que cause finale. Or, une partie de la métaphysique plus générale d’Ibn Sina est la thèse selon laquelle toute chose existante « désire » ou vise à se rapprocher de l’existence nécessaire autant qu’elle le peut (pas nécessairement consciemment , bien sûr – la cause finale d’une chose n’a pas besoin d’être quelque chose dont elle soit consciente). Mais alors ce qu’elle désire ou vise, c’est se rapprocher de l’Existant nécessaire, qui en tant qu’objet de ce désir ou de cette visée est (étant donné l’analyse aristotélicienne du bien) le bien suprême.
L’Existant nécessaire doit aussi être parfait, dans la mesure où, pour Ibn Sina, la perfection définit ce qui complète une chose par rapport à son existence. Un gland est d’autant plus parfait qu’il est proche d’être un chêne, la Vénus de Milo serait plus parfaite si elle avait ses bras, etc. Mais l’Existant nécessaire, étant absolument nécessaire en lui-même, ne manque de rien par rapport à son existence.
Thème commun dans la philosophie antique et médiévale, on trouve également dans la métaphysique d’Ibn Sina l’idée que ce qui rend une chose intelligible – c’est-à-dire ce qui en fait l’objet propre d’un intellect, d’un concept – est la séparation d’avec la matière. Plus une chose est éloignée de la matière, plus elle est intelligible. Ibn Sina pense également qu’un intellect est simplement ce qui a quelque chose d’essentiellement intelligible. Or, l’Existant nécessaire (Dieu) a son existence essentiellement, et étant une sorte d’existence immatérielle, son existence est quelque chose d’essentiellement intelligible. Par conséquent, l’Existant nécessaire, conclut Ibn Sina, est un intellect.
L’influence d’Ibn Sina sur Thomas d’Aquin
Que devrions-nous penser de cet argument ? Naturellement, je suis d’accord avec lui, car il est semblable à certains égards à la Troisième Voie de Thomas d’Aquin (sur laquelle l’argument d’Ibn Sina a sans doute eu une influence, et que je défends longuement aux pages 90-99 de Thomas d’Aquin ). Il y a cependant des différences. D’une part, l’idée qu’il ne peut y avoir de régression infinie des causes (essentiellement ordonnées) joue un rôle dans la Troisième Voie, mais pas dans l’argument d’Ibn Sina. D’autre part, bien que les deux arguments concernent la contingence et la nécessité, les notions de contingence et de nécessité impliquées sont sensiblement différentes. Thomas d’Aquin commence par la différence entre les choses contingentes au sens d’être générées et corrompues, défend quelque chose qui est nécessaire au sens d’être permanent ou ni généré ni corrompu, et de là, argumente à son tour en faveur de l’existence de ce qui est nécessaire au sens fort de ne tirer sa permanence de rien d’autre. Les anges et les âmes humaines sont « nécessaires » au sens le plus faible, c’est pourquoi Thomas d’Aquin a besoin d’une étape supplémentaire dans l’argumentation pour arriver à ce qui est « nécessaire » dans un sens plus fort qui ne s’applique qu’à Dieu.
Ce n’est pas ce qui se passe dans l’argumentation d’Ibn Sina, même si, comme Thomas d’Aquin, il fait une distinction entre deux types de nécessité, à savoir celle qui a sa nécessité en elle-même et celle qui a sa nécessité par un autre. Car la génération et la corruption ne jouent aucun rôle dans le raisonnement d’Ibn Sina. Comme nous l’avons vu, il considère ses notions de « nécessité » et de « possibilité » comme fondamentales, d’une manière qui, à son avis, n’a pas besoin d’être explicitée dans les termes de notre expérience de choses qui naissent ou disparaissent. À cet égard, son argumentation pourrait sembler plus proche de l’argumentation cosmologique rationaliste de Leibniz que de la Troisième Voie de Thomas d’Aquin.
Mais je ne placerais pas Ibn Sina dans le camp rationaliste, par opposition au camp aristotélicien. Il fait appel (dans ce que j’ai appelé l’étape (4) de son argumentation) à une variation du principe de causalité – qui, contrairement au principe de raison suffisante de Leibniz, concerne les choses elles-mêmes , et non notre demande d’ explication des choses. Ses notions de possibilité et de nécessité sont liées à la distinction entre ce qui a une essence distincte de son existence et ce qui n’en a pas – une idée avicennienne qui a clairement eu une influence sur Thomas d’Aquin, et constitue le point de départ de la « preuve existentielle » de l’existence de Dieu dans le De ente et essentia de Thomas d’Aquin.
Réponses aux objections
Permettez-moi de revenir brièvement sur certaines objections soulevées. Un lecteur a demandé :
Un platonicien mathématicien dirait que la suite infinie des nombres entiers existe nécessairement, mais n’est-il pas vrai que cette série n’existe que par l’existence de ses membres ?
Cela est cohérent avec l’argumentation d’Ibn Sina, car il distingue entre ce qui est nécessaire en soi et ce qui n’est nécessaire que par un autre. Il pourrait dire que la série est nécessaire, mais seulement par un autre. En tout état de cause, les aristotéliciens n’accepteraient pas le platonisme en premier lieu, pour des raisons indépendantes du sujet traité. Non pas que les vérités mathématiques ne soient pas nécessaires, mais puisqu’elles existent – du moins pour les thomistes – en tant qu’idées dans l’intellect divin, leur nécessité est dérivée.
Un autre lecteur a écrit :
Si l’argumentation comporte une faille, la voici : la totalité de toutes les choses possibles n’est pas une chose, donc la prémisse selon laquelle toutes les choses sont soit possibles, soit nécessaires ne s’applique pas à elle. Et sans cela, le reste de l’argumentation échoue.
Mais pourquoi n’est-ce pas une « chose » ? De toute évidence, c’est une chose au moins au sens très large où un tas de déchets aléatoires est une chose. Certes, ce n’est pas une « chose » au sens fort d’être une substance . Mais pourquoi Ibn Sina aurait-il besoin que ce soit une « chose » au sens fort ? Pourquoi le sens plus large ne suffirait-il pas ?
Une troisième objection était la suivante :
J’ai des difficultés avec la prémisse 4. Je peux penser à deux interprétations :
4a Tout être existant possible a une cause.
et
4b Tout être potentiellement existant a une cause.
4a semble équivalent à l’affirmation familièrement contestée selon laquelle tout ce qui existe de manière contingente a une cause, puisque quelque chose existe de manière contingente si c’est possible (au sens inhabituel d’Ibn Sina) et existe.
4b semble trop fort : après tout, les êtres possibles qui manquent d’existence manquent aussi de causes.
Fin de citation. Je suis enclin à lire (4) dans le sens de (4a) suggéré par le lecteur. Mais je suis également enclin à lire « possible » comme impliquant « ce qui a une essence distincte de son acte d’existence », où l’essence en question est simplement en puissance jusqu’à ce qu’elle soit actualisée par un acte d’existence. Ainsi, en fin de compte, (4) dépend de l’idée que toute puissance actualisée est actualisée par quelque chose de déjà actuel.
Une quatrième objection était :
La position 7 semble être la plus controversée. Que l’on pense ou non que la totalité des parties de l’univers est contingente dépend de la façon dont on pense ou non que l’univers est contingent. Bien que je ne sois pas d’accord avec l’homme qui considère que l’univers matériel est nécessaire, s’il le pense, il n’a certainement aucun problème à convenir que toutes les parties de l’univers découlent également nécessairement de l’existence de l’univers. Bien sûr, cette position est absurde, car elle signifierait que nous existons nécessairement (tout comme nos pensées et nos actions). Mais l’absurdité à elle seule ne convaincra pas l’antiréaliste attaché à l’idée que le monde est tout simplement absurde.
Je pense que cela ne correspond pas au point de vue d’Ibn Sina. La « totalité » dans (7) ne fait pas référence à « l’univers » mais plutôt à « la totalité des choses possibles » évoquée dans l’étape précédente. Ibn Sina ne fait aucune hypothèse sur ce à quoi ressemble réellement l’univers de notre expérience. Son argument est plus abstrait que cela. Il se contente d’argumenter à partir du fait que quelque chose ou autre existe conjointement aux notions de possibilité et de nécessité.
Une cinquième objection :
Je m’opposerais au point 4 « tout ce qui est possible a une cause ». Je ne vois aucune impossibilité logique à ce que X existe, mais n’existe pas nécessairement (c’est-à-dire ne fasse pas partie de tous les mondes possibles au sens pertinent de « mondes possibles ») et ne soit causé par rien – mais simplement qu’il soit dans certains mondes mais pas dans d’autres… [L’objection du lecteur continue dans cette veine.]
Je n’accepte pas cette façon de poser le problème, cependant. Comme d’autres aristotéliciens, je n’aime pas beaucoup le discours contemporain sur les « mondes possibles », et certainement pas dans un argument en faveur d’une affirmation sur ce qui est possible ou nécessaire (par opposition à une affirmation sur les mondes possibles qui découle de ce que nous avons indépendamment soutenu comme étant possible ou nécessaire). Je ne pense pas que la notion de possibilité et de nécessité d’Ibn Sina nécessite de faire usage des mondes possibles, ou puisse être contestée (d’une manière qui ne pose pas de question) en faisant usage de cette façon de penser la modalité. Et si ce qui précède n’est qu’une variation des objections humiennes au principe de causalité, j’ai traité cette question ailleurs (par exemple dans Thomas d’Aquin ).
Une sixième objection était la suivante :
L’étape de 9 à 10 n’est pas valide. Jusqu’à 9, « la totalité des choses possibles » signifie la classe de tout ce qui est contingent, considéré comme une unité. Dans les étapes suivantes, cependant, la cause de la totalité des choses possibles doit signifier non pas la classe, mais les membres de la classe, pour que l’argument soit valable. Plus précisément, dans 13, la cause de la totalité des choses possibles peut être un membre de la classe sans être elle-même la cause. Supposons que je fonde une société en nom collectif ; la classe des associés de l’entreprise existe grâce à moi, mais aucun membre de la classe n’existe grâce à moi. Et je ne deviens pas auto-existant simplement parce que je suis l’un des associés, et donc un membre de la classe que j’ai fait naître.
En d’autres termes, le passage de 9 à 10 est une erreur de décalage du quantificateur, qui passe de « pour tout dans la totalité, il y a une cause » à « il y a quelque chose qui est la cause de tout dans la totalité ».
Je ne sais pas pourquoi le lecteur pense que (9) revient à dire « Pour tout dans la totalité, il y a une cause ». Ibn Sina ne le dit ni explicitement ni implicitement dans (9). Ce qu’il veut dire, c’est que la totalité considérée comme telle (y compris chaque membre mais pas seulement chaque membre individuellement) requiert une cause. En d’autres termes, ce qu’il dit dans (9) est ce que le lecteur pense dire dans (10). Et ce qu’Ibn Sina dit en réalité dans (10) n’est pas « Il y a quelque chose qui est la cause de tout dans la totalité » – encore une fois, il l’a déjà dit dans (9) – mais plutôt que cette cause est elle-même soit une partie de la totalité, soit en dehors d’elle. Il n’y a donc pas d’erreur de quantificateur.
Je ne vois pas non plus comment l’analogie du lecteur est censée fonctionner. Ibn Sina parle de ce qui fait que la totalité et chacune de ses parties existent , et non pas simplement en tant que partie de la totalité. Mais fonder une société commerciale ne signifie pas faire exister l’une quelconque des personnes qui y participent, mais simplement faire en sorte qu’elles en viennent à entretenir une certaine relation institutionnelle les unes avec les autres. Cela n’est tout simplement pas parallèle à ce dont parle Ibn Sina. Ce qui serait parallèle serait le cas où l’on ferait exister à la fois les membres individuels et leur société (ce qu’aucun d’entre nous ne peut bien sûr faire). Mais il est alors encore plus difficile de voir en quoi un tel exemple pourrait poser problème à Ibn Sina, car il est difficile de dire qu’un membre de la société aurait pu faire exister chacun des membres (y compris lui-même) et la société dans son ensemble.
Edward Feser