Edit Template

Le Ramadan, geste écologique par excellence 1/2

Le Ramadan, geste écologique par excellence 1/2

Dans sa dernière chronique publiée sur Mizane.info en deux parties, l’écrivain Nadim Ghodbane revient sur la logique de la religion capitaliste sacrificielle et en quelle mesure l’islam par sa pratique et sa métaphysique peut nous permettre d’en sortir.

Je suis militant écologiste depuis très longtemps maintenant. Et plus précisément depuis mars 1978 avec l’échouage sur les côtes bretonnes du supertanker Amoco Cadix et la marée noire qui s’ensuivit. Une des plus importantes catastrophes écologiques que notre pays ai connu. Cette date marque pour moi le début de ma prise de conscience. Quelques années après, ma réflexion m’a amené à poser des questions sur le fondement de cet engagement, sur les sources de ma prise de conscience écologique, sur les bases spirituelles de celle-ci. C’est alors que je me suis souvenu des propos de mon père, lorsque nous cultivions le grand jardin près de notre maison, d’une phrase qui va me marquer définitivement: «Fils, prends garde à ne pas marcher sur les graines, car l’empreinte de Dieu y est inscrite».

L’écologie coranique

Plus tard j’entrepris une réflexion sur les bases idéologiques de la pensée écologique moderne. A la lecture du Coran il ne fait aucun doute que l’écologie a une place importante dans le texte révélé, il suffit en cela de voir le nombre de Sourates portant un titre lié à la nature. Par exemple : «La Vache, Les Abeilles, Les Fourmis, L’Araignée, Le Figuier etc.» et plus largement à tout ce qui fait la vie de la terre en tant que planète comme par exemple «Le Tonnerre, Les Ouragans, La Lune, Les Constellations, L’Aurore, Le Soleil, La Nuit.» Oui, c’est tellement évident, c’est tellement «normal» que nous ne prenons pas conscience immédiatement de cette référence permanente a l’écologie.

Le respect des animaux

Je suis écologiste car dans le Coran, il y a tant et tant d’incitations au respect de la nature, des animaux. Je suis écologiste car tout dans ma Tradition me pousse à l’être. Je suis écologiste comme je suis musulman. Pour moi, l’un ne peut aller sans l’autre. Si je veux être un bon musulman, je dois être un écologiste, un protecteur de la nature et des animaux.

Les exemples prophétiques de mansuétude envers les animaux sont très nombreux, et pour n’en citer que quelques-uns qui sont significatifs comme par exemple celui de la personne qui fut réprimandée pour avoir volontairement fait mourir de faim une chatte. Ou cette autre personne qui, ayant donné à boire à un chien assoiffé, fut pardonnée par Dieu. Les Compagnons du Prophète (pbsl) demandèrent alors : «Serions-nous récompensés pour les animaux ?» Il répondit : «Pour (le bien fait à) tout être vivant il y aura une récompense».

Le jeûne comme ralentissement

Je pourrais citer encore une grande quantité de récits allant dans le même sens, celui du respect de la nature et des animaux. Mais il y d’autres aspects qui selon moi sont des incitations à des pratiques que l’on qualifierait aujourd’hui d’écologiques. Le jeûne du mois de ramadan par exemple. L’esprit de ce jeûne est incontestablement écologique. En effet, le jeûneur se met en retrait des turpitudes de la vie, du bouillonnement de la société. Il est en quelque sorte en jachère, préparant son espace intérieur à un nouvel ensemencement, ce qui nous permet d’affirmer que ce jeûne a une action de ralentissement de la frénésie productiviste. En se privant de nourriture, l’individu se renforce intérieurement, il se découvre la possibilité de faire plus avec moins.

La symbolique écologique de la prière

Autre exemple, la prière musulmane. Selon l’interprétation qu’en font les mystiques de l’islam, c’est-à-dire les soufis, les stations corporelles de la prière ont une signification très particulière. En effet, pendant ces cinq prières quotidiennes, pendant ses moments privilégiés de conversations intimes avec Dieu, n’est-ce pas là le meilleur symbole de la relation avec notre environnement, avec les animaux, avec les arbres, avec les pierres, avec la terre. Quoi de mieux que cette prière, symbolisant ce lien indéfectible de l’humain et de la nature.

Dans la prière musulmane, le cycle de l’évolution humaine est à chaque fois rappelé. Du minéral, du végétal, de l’animal et enfin de l’humain. Les postures de la prière ouvrent et ferment le processus. Chaque étapes est une résurgence. Chaque station est une remémoration permanente des origines. Ces stations sont : debout puis l’inclinaison, puis la génuflexion et pour terminer la prosternation qui clos le cycle de l’unité de la prière. Toutes les étapes ont un sens symbolique bien précis.

Pour commencer il y a la station debout. Symboliquement, elle représente l’Humain, l’humanité mais aussi les montagnes. Ensuite, il y a l’inclinaison, qui représente le règne animal. Puis il y a la génuflexion, qui représente le règne végétal. Et enfin, il y a la prosternation qui représente quant à elle le règne minéral, mais aussi l’enracinement. Le front posé au sol et avec la plus grande humilité, la connexion se fait à ce moment précis, à ce moment très précis nous faisons corps avec la terre. Nous ne faisons plus qu’un avec la terre.

L’appel coranique à la responsabilité de l’Homme

Dans le Coran, Dieu nous dit à la sourate 35, «Le Créateur», v39: « C’est Lui qui a fait de vous des successeurs sur terre », qui a fait de l’humain son représentant sur terre. Mais cette apparente domination doit être relativisée aux regards et à la lumière d’autres versets mettant en garde sur la responsabilité de l’humain et de préciser que cette puissance n’est nullement inconditionnelle.

Dans un autre verset ce sont les cieux, la terre, les montagnes qui nous disent, à nous les humains : «Nous avons refusé le dépôt divin », car la tâche leur parut insurmontable. Mais l’Homme l’as accepté, s’en es chargé afin de rependre la miséricorde, l’amour et la générosité et de ne pas dilapider ce trésor. C’est ce que nous appelons le pacte primordial. C’est par ces versets que Dieu propose la responsabilité du monde aux humains.1

Les ravages du mercantilisme

L’économie productiviste et consumériste a réduit la nature à un objet dont l’exploitation sans fin et de façon démesurée est la cause principale du grand désordre écologique auquel nous assistons. Ce modèle de développement va bien au-delà des capacités de régénération de l’environnement mais aussi de l’être humain. Ce modèle économique qui réduit l’humain à un objet de consommation sans aucune autre utilité et qui tend à le ramener à sa plus simple expression, produire pour consommer, consommer pour produire. Dans un monde où le mercantilisme s’est introduit par tous les interstices de la vie jusqu’à dévoyer ce que l’humain à de plus intime : sa spiritualité.

Être croyant dans la modernité

La foi du croyant est mise à rude épreuve. La foi du croyant est bousculée au regard de l’état actuel de la planète. Les croyants des temps modernes que nous sommes, se trouvent confrontés à un dilemme. À la vision de l’état du monde actuel et des ravages que notre planète subi, notre foi peut être sérieusement ébranlée. Et comment concilier l’optimisme du croyant, l’optimisme intrinsèque de sa foi et la triste réalité du monde ?

C’est la question que nous devons nous poser. Le musulman, ainsi que le juif et le chrétien, sont d’accord sur l’idée de la centralité de l’humain dans la Création Divine, sur la place de ce dernier que Dieu lui a alloué. Si, pour nous croyants, cet humain est au centre de la création, il s’agit maintenant de sortir de cet anthropocentrisme destructeur afin de faire rayonner autour de nous l’amour et la miséricorde. De retrouver cet équilibre perdu. De faire rayonner la paix et la grâce.

Repenser la place de l’humain

Nous devons repenser la place de l’humain, sa responsabilité devant les défis qui nous attendent. Dans une société où l’humain se définit non plus par ce qu’il est, mais par ce qui lui manque, nous sommes dans l’obligation de repenser, d’affiner le sens de ce que nous sommes et vers quoi nous voulons aller. La remise en question des croyances en un progrès économique radieux est nécessaire.

La crise existentielle que cela induit doit inciter les musulmans à partager avec les autres l’espoir en un avenir plus fraternel et plus respectueux de la nature. Partager l’optimisme qui est au cœur de notre foi, partager aussi la certitude du croyant en la Miséricorde Divine. Le débat sur l’avenir de l’humanité, sur l’avenir de la planète doit préoccuper les musulmans pour que nous pussions alimenter les discussions. Entre d’une part ceux qui ne veulent que rien n’arrêtent le progrès et d’autre part ceux qui ne veulent plus de progrès technologique.

Le juste milieu salvateur

C’est une autre voie que nous devons proposer, celle du juste milieu, celle de l’équilibre entre développement et respect de la nature. Celle qui aide à sortir d’une vision utilitariste de la nature, celle qui aide à désaliéner l’animal. Nous, croyants musulmans, nous devons réaffirmer notre attachement à la protection de l’environnement et à la préservation de notre planète non seulement pour témoigner mais aussi pour faire entendre cette différence et cette spécificité.

La faillite de l’utopie consumériste du progrès n’est plus à démontrer.

La société de consommation prend ses racines dans un vide existentiel crée par la pensée rationaliste. La séparation d’avec la nature se trouve bien dans cette pensée qui s’est voulue rationaliste. La crise morale et éthique que nous vivons, la crise environnementale, les menaces qui pèsent sur le devenir de la planète sont le fait d’un humain se trouvant dans une situation centrale sans plus rien au-dessus de lui. Une position dans laquelle il est égo-centré. Et pour remédier à cela et défaire cet égocentrisme, certaines philosophies lui propose une nouvelle situation, celle d’un humain bio-centré. D’un humain redevenu simple maillon d’une chaîne. C’est-à dire, qu’il passe d’un anthropocentrisme ravageur à un bio-centrisme nihiliste. Et si cet humain n’est que le maillon d’une chaîne, et que sa venue et sa disparition éventuelle n’est que le cours normal d’une évolution, après tout pourquoi s’en soucier.

Remettre de la verticalité

Et c’est bien cette perte de verticalité qui nous impose, à nous musulmans, de repenser la place centrale de l’humain. La pandémie de la Covid-19 nous a bousculé dans nos certitudes. Elle nous a montré que le chemin que nous suivons n’est pas nécessairement le bon. L’humanité dans sa totalité s’interroge sur la voie que nous avons emprunté. Pour beaucoup de personnes, ce moment à été celui d’une soudaine prise de conscience de notre vulnérabilité. Le monde a prit brusquement conscience d’une probable disparition.

Ce n’est plus un hypothétique scénario de science fiction mais une nouvelle réalité. Cette parenthèse du temps que nous avons vécu avec le confinement général. Cette expérience à éveillé chez beaucoup de personnes l’espoir d’un monde meilleur, d’un monde différent. Et si l’épreuve collective que nous avons traversé pouvait déboucher sur une réelle prise de conscience ? Et si c’était le moment de nous débarrasser des idées obsolètes ?

La théologie du marché

Le débat sur l’avenir de l’humanité, sur l’avenir de la planète doit préoccuper le plus grand nombre de personnes. Pour ne pas laisser une seule idéologie dominer le débat. Et cette idéologie dominante qui fait du néo-libéralisme une religion, qui fait du néo-libéralisme une nouvelle théologie des temps modernes.

Cette théologie du marché qui, depuis Malthus2 jusqu’au dernier document de la Banque Mondiale, est une théologie impitoyablement sacrificielle: elle exige des pauvres qu’ils offrent leur vie sur l’autel des idoles économiques. Sacrifices humains au nom de contraintes «objectives», «scientifiques», profanes et apparemment non-religieuses.

L’idolâtrie fascine

Le principal défi auquel nous devons faire face est d’affronter aujourd’hui une nouvelle forme d’oppression liée à la globalisation économique. Cette domination n’est pas seulement économique ou politique, mais aussi profondément spirituelle. Le libéralisme colonise tout l’espace, y compris dans le champ spirituel. Même les pays de tradition culturelle millénaire, sont en train d’adopter des modes de vie occidentaux.

Démasquer et critiquer cette domination est un devoir fondamental pour celle et celui qui est engagé sur un chemin spirituel. La spiritualité doit anticiper et critiquer tout ce qui peut mettre en danger l’environnement, l’humain, la société. Dans toutes les religions, l’idolâtrie est fortement blâmée mais en Islam c’est une critique très sévère qui est faite à son encontre. D’ailleurs tous les prophètes ont très bien perçu et vigoureusement critiqué ce processus. L’idole fascine et attire.

La religion capitaliste sacrificielle

Dans toutes les sociétés, certaines interactions humaines ont finit par être sacralisées et produire des nouveaux dieux. Le néolibéralisme présente une logique idolâtrique à travers la fascination de nos sociétés pour les lois du marché, un système qui serait censé imposer et réguler seul ses règles. Face à cette dimension fascinante du capitalisme global actuel, il ne suffit pas de le critiquer. Il faut démontrer le processus sacrificiel qu’il engendre (perte de l’emploi, délitement de la vie de famille, voire mort des plus pauvres, destruction des ressources naturelles) pour se défaire de cette fascination qui nous aveugle.

La spiritualité a une mission importante à accomplir dans la société pour dénoncer cette nouvelle fascination. Nous pouvons faire une comparaison entre l’idéologie du néo-libéralisme et une religion de type sacrificielle. Tout les éléments sont présents pour faire cette comparaison. L’économie néo-libérale est sur le point de remodeler nos sociétés et nos vies. Or, loin d’être un domaine neutre et objectif et échappant à tout choix de valeur et de foi, l’économie de marché comporte un horizon métaphysique, une religion propre avec un discours interprétatif quasi théologique.

Imaginons un autre rapport au travail

La question centrale aujourd’hui n’est pas la question de la laïcité ou de l’athéisme ou de la présence des religions dans l’espace public. La question centrale est l’idolâtrie, l’adoration des fausses divinités du système de domination. C’est dans la théologie implicite du paradigme économique lui-même, et dans la pratique dévotionnelle fétichiste quotidienne que se manifeste la religion économique capitaliste. Le grand défi pour construire une société juste, humaine et respectueuse de l’environnement, où tout le monde aurait une vie digne et agréable, est d’imaginer une nouvelle forme de rapport au travail.

Nadim Ghodbane

1 33 al-ahzâb, les coalisés; 72

2Thomas Malthus économiste britannique du IXX siècle (1766–1834)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

NEWSLETTER

PUBLICATIONS

À PROPOS

Newsletter

© Mizane.info 2017 Tous droits réservés.

slot777