« La tradition islamique authentique ne sépare jamais l’éthique de l’ontologie. » Dans sa dernière chronique, Islam Al Maliki commente et tire les enseignements du signe coranique 84 de la sourate 17. A lire sur Mizane.info.
« Chacun agit selon sa nature… et sa finalité ».
Ce verset constitue un noyau de compréhension du rapport entre l’être et l’agir.
Il énonce une règle profonde : tout acte est l’émergence visible d’une configuration intérieure. Le terme « chakila » désigne, selon Ibn Abbas, Hasan Al-Basri, Mujahid ou encore Al-Farra, la voie, la nature, la religion, le tempérament ou l’orientation intérieure à partir desquels un être humain agit.
Mais il ne s’agit pas ici de simples synonymes : la chakila est une forme ontologique intérieure, un amalgame de croyance, de caractère, de prédisposition, de lucidité ou d’égarement, qui structure silencieusement l’ensemble des comportements.
Dans cette lecture, l’action n’est jamais neutre : elle est l’expression d’un fond. Elle révèle ce que la langue de l’âme ne peut dissimuler. Ainsi, même les actions extérieures semblables peuvent être, en vérité, radicalement opposées : leur différence ne réside pas dans leur forme, mais dans la source dont elles procèdent.
Agir, c’est se dire. Chaque manière d’agir témoigne d’un façonnement intérieur. Si l’on agit d’une certaine façon, ce n’est pas d’abord par calcul ou par convenance, mais parce que l’intérieur a été structuré ainsi. Ce que l’on fait, profondément, révèle ce que l’on est. Et inversement : ce que l’on est dicte, inévitablement, ce que l’on fait.
Cette compréhension, que les maîtres du tafsir classiques ont formulée avec précision — « selon sa religion » pour Hasan, « selon sa voie » pour Mujahid, « selon sa nature » pour Muqatil — souligne que la vraie nature d’un être se lit dans le mouvement qu’il produit. Il n’est de geste que façonné par une intention, une disposition, une vision du monde, même si celles-ci demeurent inconscientes à celui qui agit.
Dans cette perspective, la réforme ne peut être superficielle ni circonstancielle. Elle ne consiste pas à améliorer les formes de l’agir sans toucher à leur origine. Elle doit engager une transformation de la chakila elle-même. Tant que l’intérieur n’est pas réformé, les actes demeurent instables, contradictoires ou vides.
La tradition islamique authentique ne sépare jamais l’éthique de l’ontologie. Réformer, c’est redresser ce qui fait agir. C’est orienter ce qui oriente. Une réforme qui ne touche pas à la structure intime de l’être reste cosmétique. En revanche, lorsque l’intériorité est purifiée, épurée, élevée, l’agir devient cohérent, stable, juste — sans effort d’apparence.
C’est pourquoi les meilleurs — les Prophètes, les véridiques, les martyrs et les vertueux (dans cet ordre suivant 04/69) — agissent mieux non parce qu’ils ont appris à bien faire, mais parce que leur intériorité tend naturellement vers le bien et vers le parfait. Leur essence a été travaillée, façonnée, polie, jusqu’à épouser la lumière. De cette lumière naissent des actes beaux par nature, conformes à l’ordre du monde.
Le Prophète (ﷺ) incarne cela au plus haut degré. Il n’agissait pas (ﷺ) par convenance morale, mais par nature prophétique. Chaque geste était le déploiement naturel d’un cœur parfaitement aligné avec la Vérité. Chez lui (ﷺ), l’intérieur et l’extérieur étaient unifiés. Son agir (ﷺ) ne trahissait jamais son être, car son être était vérité.
Ce bout de verset ne se contente alors pas seulement de décrire la pluralité des comportements : il rappelle en réalité que toute action engage une essence. Et que toute réforme véritable exige d’agir sur l’essence elle-même.