« Une histoire au-delà du réel, inspirée des récits des ancêtres…Un voyage de Jakarta à La Mecque entre rêve et réalité. Lis-la avec un cœur habité de recueillement : peut-être te mènera-t-elle, toi aussi, vers le lieu le plus sacré sur cette terre… ». Un récit signé Mahdi Amri à lire sur Mizane.info.
Depuis cinq générations, de l’aïeul Ibrahim Soharto jusqu’au plus jeune des descendants, la famille entière vénérait le pèlerinage à la Maison de Dieu, à la Mecque. Pour eux, ce n’était pas un simple rite religieux : c’était une alliance sacrée, une étreinte mystique, une fusion des âmes dans l’océan infini de la dévotion, où l’égo s’efface, dissous dans l’unicité divine.
Le premier à ouvrir le chemin fut le grand-père Ibrahim, un homme simple originaire de Jakarta, au cœur noble et débordant d’amour. Dès sa première visite à la Ville-Mère, la Mecque devint pour lui un envoûtement. Il y planta dans le cœur de sa descendance une soif sacrée, un appel brûlant vers la Kaaba.
Il jura que chaque enfant issu de sa lignée toucherait ce lieu saint, fût-ce en rampant. Ainsi, année après année, génération après génération, la caravane reprenait la route… Jusqu’à ce que, bien des années plus tard, le plus jeune petit-fils se tienne face à la Kaaba, les larmes ruisselant sur son visage comme une pluie d’absolution.
Cette nuit-là, sous la lumière nacrée de la lune, le pèlerin Youssef, dernier héritier de ce serment familial, se tenait debout, humble et bouleversé, face à la Kaaba. Il se remémora les conseils de ses ancêtres, entremêlés à ce hadith du Prophète ﷺ :
« Quiconque accomplit le pèlerinage sans se livrer à des propos obscènes ou à la perversité revient pur comme au jour de sa naissance. »
Pour Youssef, chaque pierre, chaque souffle, chaque visage portait l’empreinte du divin.
La Kaaba, Safâ et Marwah, le Maqâm Ibrâhîm, la Pierre noire… tout semblait imprégné d’éternité, comme si ce lieu n’appartenait plus au monde des vivants. Il marchait entre deux mondes, et quand sa main effleura les voiles noirs de la Kaaba, une secousse le parcourut : était-ce une naissance ? une mort symbolique ? Son âme quittait la gangue de la matière, et s’envolait vers les cieux.
À l’aube, lorsque le muezzin lança l’appel à la prière, Youssef leva les yeux vers le ciel :
« Seigneur, fais de cette Maison un havre de paix, et nourris-en les habitants de Tes bénédictions… Mon Dieu, ce voyage n’est pas un aboutissement mais un commencement. Rapproche-moi de Toi, Éloigne-moi de mon âme tentée par le mal, afin que je sois prêt à me perdre en Ta lumière… »
Avant d’atteindre La Mecque, Youssef avait fait halte à Médine, où paix et amour embaument l’air. Là, dans l’enceinte lumineuse de la Mosquée du Prophète, il fut saisi d’un recueillement profond, indéfinissable, et des larmes de supplication jaillirent de lui, comme si son cœur était tombé dans un jardin céleste.
Il murmura, dans le silence de la Rawda :
« Ô bien-aimé de Dieu, je viens à toi, humblement, par amour et nostalgie…Mon Dieu..Que Ta miséricorde me couvre et que Ton intercession m’éclaire au jour où nul ne sera sauvé si ce n’est celui qui viendra à Dieu avec un cœur pur. »
Dans les dernières heures de son séjour, Youssef retourna devant la Kaaba. Le cœur lourd, il sentit son âme se déchirer. Il contempla la Maison sacrée une dernière fois et dit dans un souffle :
« Adieu, ô Mère des cités… Peut-être, si Dieu le veut, reviendrai-je… car Il est Celui qui exauce, Celui qui peut tout. »
Au moment du départ, il marchait dans les galeries du Haram comme un homme déraciné de sa propre terre. Et avant de franchir la porte, il leva les mains vers le ciel et pria :
« Mon Dieu, accorde-nous encore mille visites à Ta Maison bénie, par Ta générosité, Ton amour et Ta miséricorde… Âmîn, Seigneur des mondes. »
À son retour à Jakarta, quelque chose en lui avait irrémédiablement changé. Il avait compris que l’Umra n’était pas une fin, mais une aube. Il avait compris que marcher vers Dieu était la source et la destination, que le monde ici-bas ne valait pas l’aile d’un moustique. Il errait dans les rues de sa ville, mais son cœur était resté là-bas…
Dans la Mosquée du Prophète, dans le Haram, près de la Kaaba, dans les cercles du Tawaf, au seuil de l’Amour, là où l’on s’efface pour ne faire plus qu’un avec le Bien-Aimé.
Et il murmura paraphrasant Ibn ‘Arabî :
« Si tu veux faire le pèlerinage, tourne autour de ton cœur… car c’est lui, la vraie Maison de Dieu. »
Mahdi Amri