(De gauche à droite) Saïd Nursi, Jawdat Saïd et Abdul Ghaffar Khan.
Aida Abida est une journaliste algérienne, auteur du livre « Non-violence en islam, le djihad du cœur ». Dans son ouvrage, Aida Abida évoque la question de la non-violence en islam à travers les figures de ses représentants parmi lesquels Saïd Nursi, Jawdat Saïd et Abdul Ghaffar Khan. Mizane Info vous propose une présentation de ce thème, en trois parties, extraite du livre que vous pouvez vous procurer sur son blog. Première partie : Saïd Nursi.
La Turquie recèle un très grand nombre de penseurs et savants islamiques qui se revendiquent de la non-violence. En dépit de l’interdiction officielle en 1924 des confréries soufies, plusieurs cheikhs-maîtres ont maintenu l’enseignement traditionnel, en appliquant de strictes méthodes non violentes. Tels Suleyman Hilmi Tunahan ou Mehmet Zahit Kotku, deux maîtres de la tariqa naqshbandi. Concentrés sur l’enseignement du Coran et la pratique de la piété, ils ont profondément influencé spirituellement le tissu social du pays. Saïd Nursi fut un de ces jardiniers de la non-violence islamique. Surnommé Bediuzzaman, c’est-à-dire le Prodige du Temps, il est né en 1877 dans le Sud-est de la Turquie. Il est mort en 1960 à Urfa. Enfant, le petit Saïd apprenait très vite. A l’âge de neuf ans, il partit à la madrassa de Mollah Mehmed Emin Effendi, au village de Tag. Très intelligent, cet enfant va impressionner ses professeurs par ses capacités cognitives. Il avait une mémoire prodigieuse. Il apprenait en très peu de temps ce que les autres étudiants mettaient des années à atteindre. Saïd Nursi étudia aussi à Dar al-Hikmat al-islamiyya, l’académie des sciences de l’islam.
Fait prisonnier sur le sentier de la guerre
Il avait lu et appris par cœur Suyuti, Mollah Jamî et beaucoup d’autres livres. Un de ses enseignants, Mollah Fethullah fut étonné car chaque fois qu’il lui demandait s’il avait lu tel ou tel livre, il obtenait la même réponse : « Je l’ai lu ». Il ne comprenait pas comment Said avait pu lire autant de livres en si peu de temps. Saïd Nursi apprit par cœur, dit-on, en une semaine un livre de 362 pages : ‘Jama’al Jawami’, un livre de fiqh dont l’auteur est l’imam Subki, un savant chafii. Mollah Fethullah déclara subjugé :« La mémoire et l’intelligence ne se regroupent pas dans une personne à un tel degré ». Il fit son éloge auprès des savants et le compara à Badi-uz-zaman al Hamdanî, un savant musulman du IIIe siècle à la mémoire prodigieuse. Il obtint la « Ijazat » ou diplôme d’enseignement à l’âge de 14 ans. Son engagement pour la non-violence a d’autant plus de valeur qu’il a vécu l’expérience de la guerre en tant que soldat. Il a été fait prisonnier, sur le front caucasien en mars 1916. Il réussit à s’échapper au début de 1918, et rentre à Istanbul en passant par Varsovie, Berlin, et Vienne. De cette expérience de guerre il deviendra, dans sa pratique sociale, un fervent adepte de la non-violence. Grand témoin de son temps, il a connu la fin de l’Empire ottoman, l’avènement de la République turque, la première et la seconde guerre mondiale et les vingt-cinq années de règne du Parti Républicain du Peuple, connu pour ses mesures contre l’islam en Turquie.
Ne me vengez-pas !
Écrivain, penseur, savant musulman, son œuvre magistrale : « Rissalat Ennour », constituera la base d’un véritable mouvement de société en Turquie. Son exégèse du Coran est un ouvrage fleuve qui fait près de 6000 pages ! Cette œuvre va nourrir des générations de turcs. Nursi passe pour l’un des rénovateurs, mujaddid de l’islam. Il conceptualisa son idée d’activisme non violent avec l’expression « l’action positive » (Müspet Hareket). Menacé et persécuté par ses détracteurs, Nursi refusait de leur rendre la pareille et demanda à ses disciples de renoncer à toute vengeance. Les disciples de Saïd Nursi s’appelaient « les fonctionnaires de sécurité bénévoles » (asayış memurları).
Saïd Nursi : « Nous n’avons pas à nous mêler des œuvres de Dieu. Nous devons répondre avec patience et gratitude à toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés lors de notre service pour la foi. Un tel service protégera la société du désordre »
De 1926 à 1960, Nursi et ses partisans furent souvent emprisonnés. Malgré cela on ne trouve aucune prédication de haine dans ses écrits. En disant que l’épée matérielle ne doit pas être utilisée, Nursi présente la vérité coranique comme une épée en diamant, étincelante, qui annule l’épée matérielle. « Chers frères ! Si je finis par être assassiné par mes opposants, par égard pour les innocents et les vieillards, je vous demande de ne pas me venger. Le châtiment de la tombe et de l’Enfer leur suffira » écrit-il. Saïd Nursi a choisi la non-violence dans les principes théologiques et éthiques de l’islam. Il assimilait la politique au pouvoir et répétait souvent que lui et ses disciples n’avaient aucune intention de s’engager politiquement en raison des risques de l’usage de la force.
Le service et la lumière
Nursi avait dit : « Nous n’avons pas la massue de la politique entre les mains. Nos deux mains tiennent la lumière (nur). Quand bien même nous aurions cent mains, elles ne tiendraient rien d’autre que la lumière. » Dans ses enseignements, la lumière symbolise la paix, l’harmonie, l’intelligence et tout ce qui est positif. Pour lui, personne ne devrait s’opposer à la lumière puisqu’elle profite à tout le monde. Dans ses enseignements, l’amour et la haine ne peuvent pas se trouver en même temps dans le même cœur. Il dit encore : « Nous nous sommes sacrifiés pour l’amour. Il n’y a pas de place dans nos cœurs pour la haine. Chers frères, notre devoir est de nous engager dans l’action positive et non pas négative, et ce, afin de servir la religion selon ce qu’il plaît à Dieu. Nous n’avons pas à nous mêler des œuvres de Dieu. Nous devons répondre avec patience et gratitude à toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés lors de notre service pour la foi. Un tel service protégera la société du désordre. » Pour expliquer l’importance de la solidarité dans la société, il donne l’exemple des pierres du dôme : « Bien qu’il ne s’agisse que d’une pierre dans un dôme, aussitôt qu’elle sort des mains du maçon, elle obéit en inclinant la tête pour coopérer avec ses amies de sorte que toutes soient protégées contre le danger de tomber. Malheureusement, les humains n’ont pas compris le secret de la coopération dans leur société. Ils devraient au moins tirer une leçon de ces pierres. » Nursi avait, dit-on, une imagination débordante pour concevoir des alternatives non violentes tant pour ne pas en causer lui-même que pour ne pas donner l’occasion à ses détracteurs d’user de violences contre lui. C’est ainsi qu’il mit au point « la méthode du silence ». Quand il s’adressait à ses disciples étudiants, et que le sujet touchait quelque question politique délicate, il disait : « Il ne m’est pas permis de parler de cela. Maintenant, le silence est nécessaire. » Inspiré par le verset coranique « Personne ne portera le fardeau d’autrui », Nursi évitait toute généralisation. Il pratiquait ce principe dans sa relation avec le parti au pouvoir, qui lui en faisait voir de toutes les couleurs !
La non-violence contre l’anarchie
Une fois en Anatolie orientale, plusieurs chefs de tribus kurdes vinrent lui rendre visite. Ils lui demandèrent sa bénédiction, ou à tout le moins la permission de se révolter contre le nouveau gouvernement établi à Ankara. Ils s’estimaient injustement maltraités et ils voulaient rétablir la loi islamique, la charia. Ils se sont adressés à lui comme autorité savante, selon la tradition islamique pour qui l’opinion, le point de vue d’un savant est déterminant. Nursi leur expliqua que leur révolte causerait d’autres injustices de par le fait de réagir par la force et la violence et que la conséquence en serait une nouvelle escalade. Le risque serait l’instauration d’autres troubles, de chaos et d’anarchie. Il leur demanda d’abandonner leur plan de guerre s’ils ne voulaient pas s’avilir et causer d’autres injustices. Il préférait la voie du pardon, même pour ceux qui le torturaient. Nursi estimait que les moyens employés pour atteindre une fin juste devaient eux aussi être justes. Pour lui, la voie de la non-violence était la façon la plus sûre d’éviter les moyens vils et illégitimes. Il finit par se retirer de la vie politique pour adopter une vie d’ermite.
A lire aussi :
–« Le guide des femmes », Saïd Nursi
–« Les vertus de la foi et de la prière », Saïd Nursi
–« Traité de la résurrection », Saïd Nursi
–« Croyance et adoration », Saïd Nursi