Gilles Clavreul (au centre) à l’occasion d’une intervention sur l’antisémitisme.
Le rapport d’une quarantaine de pages remis par l’ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme Gilles Clavreul confirme la tendance dure, en France, d’une ligne favorable à l’établissement d’une religion d’Etat laïque. Focus.
Après deux années au service de l’ancien Premier ministre Manuel Valls, avec lequel il partage la vision d’une laïcité de combat, Gilles Clavreul récidive avec la présentation d’un rapport d’une quarantaine de pages sur la laïcité. Un rapport proposant des mesures chocs pour défendre selon son auteur une laïcité qui serait menacée par des groupes religieux rigoristes et radicaux, musulmans pour la plupart, suivis loin derrière par des « catholiques intégristes », « des évangélistes et des juifs orthodoxes ». Les zones urbaines sensibles destinataires des politiques de la ville sont pointées du doigt. « Dans les lieux où la population de confession musulmane est présente, parfois de façon très majoritaire, le rapport à la République se tend sous l’effet d’une foi de plus en plus ouvertement revendiquée », est-il ainsi écrit dans ce rapport.
Un dispositif de contrôle social laïciste
Pour y remédier, le docteur Clavreul propose un florilège de mesures pour une thérapie de choc : « conditionner le soutien de l’État (attribution de subvention, agrément, soutien à un événement) à l’engagement de respecter et promouvoir » les valeurs républicaines, «faire signer une charte», «conditionner l’examen de subvention ou d’un emploi aidé à l’engagement de suivre une formation sur les valeurs de la République et la laïcité », « inciter le soumissionnaire ou le partenaire à conduire certaines actions, à contribuer à un événement, ou à faire figurer la thématique ‘laïcité et valeurs de la République’ dans un document partenarial ». Instaurer «une formation laïcité pour tous les agents de l’État d’ici à 2020 », « élargir encore l’assiette des publics formés pour l’année en cours», en ciblant «les adultes-relais, les membres des conseils citoyens, les agents des collectivités locales, les éducateurs sportifs, les intervenants dans le secteur périscolaire, les professionnels de la petite enfance, les acteurs de la prévention spécialisée, les agents du service public de l’emploi, ou encore les personnels de la fonction publique hospitalière».
Sur le plan économique, sur le plan financier, sur le plan social et politique, des mesures de mises en quarantaine sont donc proposés pour empêcher l’expression libre de la foi dans l’espace publique et sa contagion ou tout simplement pour la dissuader sous la forme de l’intimidation et de l’autocensure
« Renforcer les exigences de formation à la laïcité et aux valeurs de la République du brevet d’aptitude à la fonction d’animateur (Bafa) et au brevet d’aptitude à la fonction de directeur (BAFD) », « conditionner l’agrément des centres de formation au respect de cette exigence ». Mettre en place « au niveau national, des diagnostics fiabilisés des incidents relatifs à la laïcité, à la contestation des valeurs républicaines, et au non-respect des exigences minimales de la vie en société ». « Mieux établir un “corps de doctrine” s’agissant des atteintes à la laïcité », « transformer» les Comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Cora) en «comités départementaux pour la laïcité pour la promotion de la laïcité et des valeurs de la République» et «constituer, au niveau régional, une instance auprès de laquelle toutes les administrations pourraient évoquer des situations conflictuelles ou problématiques et solliciter un avis de sa part », « présidée par un magistrat de l’ordre administratif ».
En marche vers une religion laïque d’Etat
En relayant cette information, la presse s’est contentée de mettre en épingle l’œuvre d’un homme déjà sorti de sa réserve dans le passé à plusieurs reprises contre des ONG telles que le CCIF, un homme proche de l’organisation « Printemps Républicain » aux méthodes pour le moins nauséabondes et qui regroupe un réseau d’individus réunis par la haine et la phobie de l’islam en France. Or, il y a beaucoup plus dans ce rapport, critiqué par l’Observatoire de la laïcité, espèce d’Eglise officielle de la laïcité française. Rien moins que la théorisation pratique d’un régime extrémiste laïc d’embrigadement de la société française à coups de lois et de dispositifs policiers, judiciaires et administratifs étatiques. La laïcité de Clavreul est une anti-laïcité en acte, une arme de combat anti-islamique qui pour fonctionner correctement se doit de serrer son étau social contre ses cibles.
Sur le plan économique, sur le plan financier, sur le plan social et politique, des mesures de mises en quarantaine sont donc proposés pour empêcher l’expression libre de la foi dans l’espace publique et sa contagion ou tout simplement pour la dissuader sous la forme de l’intimidation et de l’autocensure. En effet, pour l’extrémisme laïc, l’adhésion à l’islam et son expression publique constituent des marques de provocation à la République puisque selon son auteur, « le rapport à la République se tend sous l’effet d’une foi de plus en plus ouvertement revendiquée ». Il n’est pas question ici d’individus qui pratiqueraient sur les autres une forme de harcèlement religieux en faisant pression verbalement sur eux pour les contraindre à quoi que ce soit : que nenni. Nous avons à présent en France un régime d’exception qui s’est mise en place prônant la dérogation à la liberté de conscience et à la liberté de culte, la dérogation à la neutralité religieuse de l’Etat, à l’impartialité et à l’égalité de traitement en ce domaine.
La laïcité épée et bouclier contre l’islam
Désormais, des lois sanctuarisent au nom de la laïcité ou de la lutte antiterroriste un espace laïc extensif à souhait dans lequel les non-laïcistes désignés doivent être exclus au risque de le profaner. L’école aujourd’hui, les mairies ou les cabinets de médecins parfois, les universités peut-être demain : la territorialisation d’une sorte d’application totalitaire de la laïcité est en bonne marche. La laïcisation et la sécularisation de la France depuis deux siècles ayant bouter le catholicisme hors de l’espace public, privant ses élites d’un soi-disant rempart contre l’islam, la laïcité est devenu le nouveau dogme républicain, tout à la fois épée et bouclier contre la présence de l’islam présentée ou vécue comme une invasion islamique.
Dans un contexte où la France a déjà basculé, avec l’état d’urgence permanent et toutes les dérives qu’il autorise, dans le camp des pays engagés dans une pente antidémocratique suicidaire, cette évolution appelle une réponse et une mobilisation consciente, responsable et à la hauteur des principes censés conditionner la vie dans l’espace public républicain
Pour ces nouveaux croisés du Royaume républicain, l’ensemble des Français de religion musulmane ne sont pas légitimes en France, leur identité ou leur foi étant tout juste tolérée et ayant vocation à disparaître de l’espace public, à devenir invisible ou discrète selon les termes de Chevènement. En gros, à longer les murs et à se cacher. Dorénavant, le dispositif prescrit par les nouvelles élites laïques françaises aura pour objectif de prévenir la socialisation, l’insertion et l’ancrage socio-économique des citoyens musulmans dans la fonction publique et/ou assimilée, puis par extension d’usage dans le privé. C’est ainsi que fut impulsées sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem de nouvelles procédures pour valider en amont les demandes de subvention publiques pour des écoles privées confessionnelles par des examens ou des inspections préliminaires, au nom de la prévention de l’extrémisme religieux et d’autres considérations sécuritaires. Au lieu de faire appliquer les lois existantes et de mobiliser les services naturellement astreints en ce domaine pour les exceptions statistiques concernées, de nouvelles procédures systématisent une politique de sélection non-naturelle des établissements confessionnels, on l’aura encore compris, musulmans.
Vers une nécessaire mobilisation citoyenne
La mauvaise foi des partisans de cette laïcité de neutralisation islamique est sans bornes puisque tout en faisant de ce principe de séparation des églises et de l’Etat une arme de combat contre l’islam, ils s’émeuvent ensuite que des musulmans réagissent parfois par une « remise en cause des principes républicains et plus particulièrement de la laïcité perçue comme une ‘arme contre les musulmans’ ». Pompiers pyromanes. Cette institutionnalisation d’une religion d’état laïque, paravent d’un agnosticisme français, cet appel à « établir un “corps de doctrine” » laïc qu’un corps de fonctionnaires néo-ecclésiaux seront chargés de faire appliquer est une dérive très inquiétante, dérive ancienne mais qui poursuit son chemin dans l’esprit et les politiques des élites françaises. Dans un contexte où la France a déjà basculé, avec l’état d’urgence permanent et toutes les dérives qu’il autorise, dans le camp des pays engagés dans une pente antidémocratique suicidaire, cette évolution appelle une réponse et une mobilisation consciente, responsable et à la hauteur des principes censés conditionner la vie dans l’espace public républicain.
Fouad Bahri
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