Le guide de la laïcité proposé dans les écoles a fait l’objet d’une analyse du Collectif contre l’islamophobie en France qui nous en livre quelques éléments clés, positifs comme négatifs.
Le conseil des sages de la laïcité a publié mercredi dernier un vademecum de la laïcité à l’école. Cette version de plus de 80 pages vient remplacer le Livret Laïcité de 30 pages édité il y a deux ans par Najat Vallaud-Belkacem. À part quelques cas de figure qui n’étaient pas abordés dans la version 2016, ce nouveau guide de la laïcité n’apporte rien de véritablement différent, si ce n’est dans son format, sa vision globale et surtout dans le ton employé, principalement offensif et excluant, en regard avec les débats récents réenclenchés par la politique Macron.
Si certains laïcistes radicaux s’attendaient précisément à ce que la laïcité « se ressaisisse » et qu’elle s’affirme et s’affermisse à nouveau face à ce qui a pu être décrit comme un relâchement de la part de Macron, qui avait eu l’audace — faut-il l’admettre — de mettre en garde contre la « radicalisation de la laïcité » (ce qui en a fait sursauter certains ; voir par exemple cette émouvante tribune publiée dans Marianne), ils sont peut-être sur le point d’être servis.
Le nouveau vademecum semble en effet installer et normaliser une approche de la laïcité ferme, voire fermée, qui insiste davantage sur les sanctions, les rappels à l’ordre voire les dispositifs d’exclusion comme solutions paradoxales au vivre-ensemble prôné par le principe de laïcité et sa finalité : un espace qui se veut au départ ouvert, où des personnes de confessions et de convictions différentes peuvent échanger, dialoguer, coopérer et contribuer à la vie en société.
À plusieurs endroits, ce guide de la laïcité avance des arguments équivoques, qui montrent que s’il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour le moment (c’est déjà peut-être un exploit d’avoir pu mettre d’accord Laurent Bouvet et Jean-Louis Bianco ; d’où la sensation, dans certains passages, qu’il y a un tiraillement ; on y revient plus bas), une direction est peut-être en train de se dessiner : un grignotage progressif des libertés, qui prépare le terrain pour de nouvelles lois ou pour de nouvelles prises de position politiques (les signes religieux à l’université par exemple, ou même dans l’espace public, qui sait…). Voici quelques-uns de ces passages :
LES POINTS POSITIFS, D’ABORD
À plusieurs reprises quand même, et nous nous en réjouissons, c’est le dialogue et la pédagogie qui sont privilégiés (p. 10), avant le rappel à l’ordre ou la sanction. Nous espérons que cette proposition sera bien respectée par les personnels.
La citation de certains articles qu’il est bon de rappeler : « Chaque élève a droit au respect de son intégrité physique et morale, au respect de sa liberté de conscience, au respect de son travail et de ses biens, à la liberté d’expression. Chacun doit user de ces droits dans un esprit de tolérance et de respect d’autrui » (article R. 421-5 du Code de l’éducation). (p. 16)
Le rappel — car certains ne le savent peut-être pas — qu’il est possible d’accorder une autorisation pour un élève de s’absenter pendant un jour d’une grande fête religieuse (p. 42)
Le rappel que les collectivités territoriales peuvent librement mettre en place des repas différenciés dans les établissements scolaires dont elles ont la charge.
La confirmation de la décision du Conseil d’État concernant les mamans qui portent le foulard et qui souhaitent être accompagnatrices pendant les sorties scolaires (p. 68) ; de quoi questionner sérieusement la recommandation de Blanquer, qui clairement avait dépassé le cadre de ses fonctions. Le vademecum rappelle malgré tout que « lorsque les circonstances l’exigent », les directeurs d’établissement peuvent recommander aux parents de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse. Position relativement équivoque, et qui a précisément laissé une brèche à Blanquer pour sa recommandation. Au fond, quand on peut, sauf quand on ne peut pas, est-ce encore de la liberté ?
UNE EXTENSION DE LA DÉFINITION DE « SIGNE RELIGIEUX »
Point un peu plus surprenant et audacieux pour qui n’est pas familier avec la jurisprudence sur ces questions : ici il est question — et c’est une proposition inquiétante, sinon complètement insensée, puisqu’elle propose une véritable police de la pensée — où le chef de l’établissement est amené à interroger l’élève sur son intention (ou de la déduire lui-même à partir du comportement de l’élève…) : « Soit les signes ou tenues ne sont pas, par nature, des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, auquel cas il convient de s’interroger, au regard de son comportement, sur l’intention de l’élève qui arbore un tel signe ou une telle tenue, pour déterminer si son port est compatible avec les dispositions de la loi du 15 mars 2004. Un signe ou une tenue qui n’est pas, à proprement parler, religieux peut ainsi être interdit si son usage est détourné et s’il est porté, non pas par simple souci esthétique, mais pour manifester ostensiblement une appartenance religieuse. Dans cette hypothèse, il doit être étudié au cas par cas si le signe ou la tenue que porte l’élève démontre sa volonté, au travers de son comportement, de manifester une appartenance religieuse. Plusieurs éléments d’appréciation peuvent être pris en compte tels que la permanence du port du signe ou de la tenue, ou la persistance du refus de l’ôter quelles que soient les circonstances ». Bandanas ou jupes longues, nous avons malheureusement connu, au CCIF, des épisodes traumatisants pour les élèves qui ont vécu ce rapport policier à leur tenue vestimentaire comme un véritable harcèlement.
L’ISLAM ÉVIDEMMENT VISÉ, EN FILIGRANE
La plupart des cas, même si les auteurs du vademecum ont veillé à varier les appartenances religieuses dans les exemples, concernent en réalité ce qui semble être des écarts entre une vision de l’éducation telle qu’elle est prônée par l’école et une vision de l’éducation telle qu’elle est prônée par certaines familles musulmanes. Ainsi, les différents chapitres (les signes religieux, les tenues longues, les sorties scolaires, les repas différenciés, la contestation des programmes d’enseignement, les rites prolongés, la participation à certaines activités sportives) font automatiquement écho — et c’est regrettable pour un travail qui a été fait, imagine-t-on, avec un certain recul — à des cas principalement médiatiques instrumentalisés par la tradition des politiciens (du pain au chocolat de Copé jusqu’aux faux repas halal de Wauquiez) qui ont pris l’habitude de stigmatiser les musulmans pour booster leurs campagnes de communication.
Ce guide a pour effet insidieux de normaliser ce discours, nous faisant presque oublier à quel point ces questions ont joué un rôle dévastateur dans l’opinion publique à propos de la fameuse « compatibilité des musulmans avec la République ».
QUI DEVRAIT ÊTRE CONCERNÉ ?
Bien qu’il se présente comme étant « destiné aux chefs d’établissements, aux inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) du premier degré, aux directeurs d’école et aux membres des équipes pédagogiques et éducatives de l’enseignement public » (p. 4), ses dispositions sont principalement adressées aux élèves : on comprend alors que la consigne est moins d’élaborer un cadre laïc de vivre ensemble que de mettre au clair des interdictions qui étaient jusqu’ alors parfois timides ou floues.
Au fond, le principe de liberté a véritablement du mal à être énoncé. Toute autorisation dans ce guide est soumise à des conditions : c’est le cas des jupes, c’est le cas des étudiantes Greta, c’est le cas des accompagnatrices qui portent un foulard, et ainsi de suite. Ces libertés vestimentaires sont constamment envisagées comme pouvant (…) inquiéter le « bon fonctionnement des établissements »
C’est un « rappel de la loi » en même temps qu’une ouverture pour un dialogue « avec les familles ». Cette médiation ainsi présentée passe à côté des médiations que nous sommes amenés presque quotidiennement à établir au sein de notre association : celles où il s’agit de rappeler les principes de laïcité à certains chefs d’établissement eux-mêmes, qui, par excès de zèle ou mauvaise compréhension de la loi, inventent des dispositifs de restriction qui n’ont aucune source dans le droit.
Mais au fond, la laïcité n’est-elle plus qu’un cadre juridique ? N’a-t-elle pas été un idéal, un espace d’ouverture, d’échange ; un espace où le voile et la soutane ne sont concrètement que des vêtements parmi d’autres ? Si la loi du 15 mars 2004 a dû être édictée 100 ans après la loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation des Églises et de l’Etat, c’est qu’elle contrevient en réalité à cette législation. Comment parler de pédagogie, de dialogue, si nous sommes de plus en plus dans une logique de confiscation et d’exclusion ? Au fond, dans ce conseil des sages, où est véritablement la sagesse quand on ne tient compte que des règles et des stratégies pour les appliquer ?
Sur ce point, il est regrettable de noter que la laïcité continue d’être définie négativement, en creux, par ce qu’elle n’est pas, et à partir de questions en grande partie techniques et liées à la visibilité du religieux (donc pour des raisons d’apparence et non de fond…) Et à la lecture de ce vademecum, on retient finalement que la laïcité n’est pas un espace où des élèves, à partir de leur référentiel culturel ou à partir des enseignements qu’ils reçoivent à la maison, peuvent interroger la pertinence et la portée du programme scolaire.
Au fond, le principe de liberté a véritablement du mal à être énoncé. Toute autorisation dans ce guide est soumise à des conditions : c’est le cas des jupes, c’est le cas des étudiantes Greta, c’est le cas des accompagnatrices qui portent un foulard, et ainsi de suite. Ces libertés vestimentaires sont constamment envisagées comme pouvant — selon des cas non définis dans le vademecum, donc laissés à la libre interprétation des responsables d’école — inquiéter le « bon fonctionnement des établissements » (p. 23).
Au CCIF, nous savons à quel point cette « libre interprétation » peut être dirigée contre certains élèves. Ce vademecum se présente comme un dispositif de contrainte, usant de moyens évidemment pédagogiques et basés sur le dialogue, mais néanmoins poursuivant des objectifs globalement liés à la restriction des libertés. Une petite phrase, page 58, ouvre cependant un espace d’espoir, qui mérite un manuel à lui tout seul : « Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. »
CCIF
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