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Aïd 2018 : «Les conditions objectives pour un sacrifice licite ne sont pas réunies»

aïd 2018

Yamin Makhri est président de l’Union Française des Consommateurs Musulmans. Il est également chargé de mission sur les question de formation sur le halal pour l’organisme de certification AVS (A Votre Service). A la suite de la décision d’AVS de se retirer, cette année, de la certification des ovins pour l’aïd al adha prévu autour du 22 août, nous avons voulu en savoir plus sur les raisons de fond qui ont dicté cette décision, sur l’avenir de cette pratique en France et plus généralement sur la problématique de la certification halal dans une économie de type industriel. Entretien.

Mizane.info : le communiqué d’AVS indique que les élevages ne proposent pas de moutons âgés d’un an mais seulement des agneaux d’environ six mois, pour des raisons de rentabilité. Est-ce à dire qu’en France, on ne trouve plus aujourd’hui de moutons dans les fermes, les abattoirs et les boucheries ?

Yamin Makhri : On peut en trouver, mais cela reste rare. Ce n’est pas ce type de bêtes qui est vendu. De la même manière que dans une boucherie on peut trouver de la viande de vache, mais cela est très rare. Un mouton d’un an n’est plus rentable pour l’éleveur. AVS est rentré en contact avec les éleveurs et leur a demandé s’il était possible d’obtenir des moutons. Les conditions posées sont si draconiennes qu’il est quasiment impossible d’en avoir. Il faut les commander et les payer très en amont (à l’âge de trois mois) et si certaines bêtes sont malades, cela se fera au détriment de l’acheteur. Sans compter le prix : un mouton d’un an ou plus se chiffre à 400 euros en raison de son poids au lieu de 150 euros pour un agneau. De plus, les prix doublent pour l’aïd al adha. Le vrai problème de fond est que l’on n’est plus habitué à manger du mouton. La viande d’un mouton d’un an est très forte au goût. Les consommateurs français n’ont plus l’habitude de cette viande, contrairement aux pays d’Afrique du Nord.

Savez-vous ce que les autres organismes de certifications vont décider cette année ? Etes-vous en contact avec eux ?

Non, nous ne savons pas ce qu’ils comptent faire. Le fait est que cette problématique n’est pas nouvelle entre les vendeurs et les distributeurs qui nous ont prévenu que cela deviendrait de plus en plus difficile d’obtenir le profil de bête recherché. Il y a un aspect de ce problème qui est le respect de l’impératif religieux, de la norme qui est demandée, à savoir un mouton chez lequel les deux premières dents définitives apparaissent. Cela correspond souvent à des bêtes de 14 mois, parfois 12 mois. Cet âge est la norme la plus répandue dans les écoles jurisprudentielles. Les malikites exigent une bête d’un an. Certains avis hanbalites minoritaires acceptent des agneaux de six mois.

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Des avis hanafites acceptent des agneaux s’ils ont l’apparence massive d’un mouton, ce qui ne veut pas dire grand-chose dans le cadre d’un élevage industriel qui s’appuie notamment sur les hormones de croissances. Un autre aspect du problème est la traçabilité. Il n’est pas normal d’avoir des agneaux dont on ignore l’âge et la provenance. La question s’est posée au moment de la crise sanitaire de la vache folle. Le manque de confiance des consommateurs était devenu si crucial qu’une règlementation a imposé une sorte de passeport bovin. L’équivalent n’existe pas pour les ovins car il n’y a pas eu de crise sanitaire comparable. Or, sur une échelle industrielle, on ne peut pas contrôler la provenance, ovin par ovin. Avec des passeports de traçabilité, la question serait réglée.

La non-traçabilité des ovins ne constitue pas d’infraction à la loi ?

C’est bien cela. Ce qui explique qu’on se permet n’importe quoi. C’est l’une des raisons pour lesquelles AVS a suspendu la certification de bêtes ovines pour l’aïd al adha car il y a eu des fraudes, certains trichant sur l’âge réel des bêtes. La logique commercial a pris le pas sur l’éthique professionnelle. Une législation serait la solution. Les discussions que nous avons avec les éleveurs est une étape de ce processus car un énorme marché va leur passer entre les doigts, d’autant que le marché de la viande ovine, décroît de manière considérable en France, y compris chez les musulmans.

Dans la mesure où la législation se joue à présent au niveau européen et plus au niveau national, quelle peut-être encore la marche de manœuvre pour les acteurs de ce secteur ?

S’il s’agit d’aller vers le mieux en terme de traçabilité et de transparence pour le consommateur, l’Europe ne s’y opposera pas. Il faudrait voir également comment cette problématique musulmane est gérée dans les autres pays européens, d’autant que la viande est importée. La traçabilité est une garantie de transparence et permet d’éviter les fraudes pour ce qui concerne la qualité de la viande, l’hygiène, etc.

Si l’on s’appuie sur le communiqué d’AVS, les moutons qui seront sacrifiés cette année pour l’aïd al adha ne seront donc pas licites sur le plan islamique ?   

Le communiqué dit qu’AVS, avec tous les moyens, l’expérience et les contacts avec les éleveurs et les distributeurs dont il dispose s’estime incapable de vérifier le caractère licite des bêtes pour toutes les raisons objectives et religieuses mentionnées. Notamment le fait que les naissances d’agneaux dans le cadre d’un élevage industriel sont en France (et dans les principaux pays producteurs) concentrées durant le premier trimestre de l’année civile. Or, vu que chaque année l’aïd al adha se rapproche de cette période, il devient de plus en plus difficile aux éleveurs de proposer des agneaux qui auraient atteint l’âge minimal requis des six mois avant l’Aïd.

A deux mois de l’évènement, il n’est plus possible de mettre en place des alternatives institutionnelles si ce n’est de se rabattre sur les bovins comme nous l’avons suggéré. Il faudra une concertation avec les organismes du culte musulman pour l’aïd 2019

Il faut savoir que les années précédentes, il est arrivé qu’AVS refuse à la dernière minute tous les ovins lorsqu’il a été constaté que les bêtes avaient largement moins de six mois ! Raison de plus pour que cela ne se reproduise plus. Les conditions objectives pour un sacrifice licite pour la masse des consommateurs ne sont pas réunies cette année, à l’exception des démarches individuelles et contractuelles prises et garanties par des éleveurs ou des fermiers locaux, ce qui est très minime. Cela relève de la mission impossible et le problème risque de s’accroître dans les prochaines années.

AVS a-t-il approché des institutions du culte musulman comme le CFCM, le Conseil théologique musulman ou des fédérations comme l’UOIF ou le RMF, afin de diffuser cette information et d’accompagner au mieux la gestion de l’aïd al adha 2018 ?

Pour cette année, il est trop tard. A deux mois de l’évènement, il n’est plus possible de mettre en place des alternatives institutionnelles si ce n’est de se rabattre sur les bovins comme nous l’avons suggéré. Il faudra une concertation avec les organismes du culte musulman pour l’aïd 2019, avec les éleveurs, les autres organismes de certification, les distributeurs, les bouchers, etc. Ce n’est pas AVS seul qui va régler le problème. Des réunions sont déjà prévues. Nous allons également en débattre avec le Conseil Français du Culte Musulman.

Y compris avec des représentants de l’Etat ?

Oui, s’ils sont à l’écoute. Je pense que si nous avons l’accord des éleveurs, les représentants de l’Etat soutiendront cette démarche. Seul ce type de réunion avec plusieurs parties permettra de régler ce problème.

Cette décision d’AVS ne va-t-elle pas, dans les faits, pousser les consommateurs musulmans dans les bras d’acteurs du marché peu scrupuleux sur la licéité des bêtes qu’ils commercialisent ? 

Le risque peut toujours exister. Mais en l’occurrence je pense que cette décision d’AVS va permettre de poser le débat, d’ouvrir des réflexions et de trouver des alternatives. C’est ce que l’on espère. Il y a quelques mois, le débat ne se posait même pas. Aujourd’hui, AVS le soulève. Il était important de poser les problèmes sur la table et d’acter le fait qu’il faut trouver des solutions durables. Ceux qui sont peu scrupuleux sur le halal, l’étaient déjà auparavant et continueront dès lors qu’ils considèrent que ce n’est pas une chose importante pour eux.

Ceux qui, au contraire, sont attachés à la fidélité religieuse et au respect de l’éthique religieuse et alimentaire vont pouvoir participer à la réflexion et devenir force de proposition. Le sujet est la question de la contradiction entre les exigences religieuses et les méthodes d’élevage industriel. C’est un dilemme de fond qui dépasse le champ de la certification et doit être pris en charge par les associations de consommateurs. Mais il faut trouver des solutions alternatives pour la question cultuelle.

Sur le plan intracommunautaire, AVS se sent il isolé sur ces questions ?

Au niveau des organismes de certification, non. Nous n’avons pas eu de réactions. Au niveau des bouchers, cette décision a été comprise même si ce n’était pas une bonne nouvelle commerciale pour eux. Le fait que l’aïd sera autour du 22 août atténuera le problème car beaucoup de fidèles seront en vacances, certains le célébrant dans les pays d’origine. Des bouchers avaient déjà prévu de ne pas le faire en raison de la période estivale. Nous pensions que la décision allait faire office de coup de massue. Elle a été relativement bien reçue. N’oublions pas que l’aïd n’est pas un achat de viande mais un acte religieux qui comporte des conditions à respecter. Si ces conditions ne sont pas réunies, le sacrifice ne doit pas se faire jusqu’à trouver des solutions.

Etant donné les difficultés pratiques que soulève le sacrifice de l’aïd al adha, ne s’achemine-t-on pas finalement vers une lente disparition de cette pratique en France ?

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Elle est loin de disparaître, et ce serait dommage qu’elle disparaisse. C’est un évènement et une commémoration religieuse du prophète Ibrahim et il est important de le commémorer. Sur un autre plan, le sacrifice de l’aïd instaure la notion de circuit court avant l’heure. Or, la consommation de masse ne supporte pas le circuit court. Le circuit court, très à la mode chez les partisans du bio, permet au consommateur d’aller voir de ses propres yeux ce qu’il consomme toute l’année, en prenant directement contact avec l’éleveur. Il s’agit de supprimer les intermédiaires commerciaux entre le consommateur et le producteur, notamment les grandes surfaces qui imposent leurs codes, leurs normes et leurs prix.

Une autre logique, celle du profit et de la rentabilité maximale, gouverne cet univers économique. Les bêtes sont aujourd’hui considérées comme des protéines sur pattes. Peut-on traiter le vivant comme on traite un objet ? C’est un vrai problème éthique et philosophique

Des normes qui ne vont pas dans le sens de la traçabilité ou de la qualité. Les éleveurs viennent donc eux-mêmes sur le marché pour vendre leurs produits et répondre aux interrogations des clients. Sur les problématiques de respect du travail des éleveurs, des producteurs, sur la qualité de ce que nous consommons et sur la traçabilité, la notion de circuit court est essentielle. Dans le circuit court, le consommateur se rend compte également que la viande dont il se nourrit provient avant tout d’un être vivant qu’il faut abattre et non d’une chose ou d’un objet aseptisé vendu dans une barquette en magasin. Il est important d’avoir une relation de proximité avec les animaux. Abattre une bête est une dérogation divine très encadrée dont il faut avoir conscience. C’est une exemption pour se nourrir. Autrement, abattre un animal est strictement interdit, que ce soit pour la chasse ou pour d’autres motifs. Dans le même esprit, la corrida est interdite. Il est tout aussi interdit de faire souffrir les bêtes destinées à l’alimentation. Le respect leur est due. Les contrôleurs AVS sont formés à ce respect du bien-être animal. Par exemple, une bête ne doit pas être abattue en présence d’une autre. Mais ces règles éthiques restent difficiles à appliquer dans une économie à échelle industrielle qui fonctionne à très forte cadence.

Précisément, comment garantir aujourd’hui une authentique certification halal alors que la production de viande se situe à un niveau industriel massif qui permet difficilement le contrôle individuel bête par bête, pour un marché potentiel se chiffrant en millions de consommateurs ?

C’est un vrai problème de fond car c’est une autre logique, celle du profit et de la rentabilité maximale, qui gouverne cet univers économique. Peut-on traiter le vivant comme on traite un objet ? Les bêtes sont aujourd’hui considérées comme des protéines sur pattes. C’est un vrai problème éthique et philosophique. Signalons qu’en islam, on sépare les pratiques cultuelles (al ‘ibadat) des affaires sociales (al mu’amalat) et que le sacrifice est l’une des deux affaires sociales où la règle « Tout est permis sauf ce qui est interdit par un texte » n’est pas appliquée. Il faut réfléchir à des alternatives et à d’autres modes de consommation.

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Il y a déjà un problème de surconsommation des viandes. Il faut également régler la question des fraudes sur la certification halal qui violent les règles du culte et le respect du consommateur musulman. Il faut arrêter de mentir à ces consommateurs. Que les vrais process de contrôle du halal soient mis en place par des organismes sérieux. Cela étant dit, la question du halal dans une économie industrielle reste entièrement posée. Proximité, circuit court, consommation raisonnée sont des premières solutions.

AVS préconise de recourir au bovin comme solution alternative. Le sacrifice d’un ovin n’est donc pas obligatoire ?

Les bovins, ovins, caprins et camélidés sont autorisés par toutes les écoles. L’usage des ovins est très présent dans la culture maghrébine. Mais chez les Turcs, c’est généralement le bovin. Chez les Comoriens, le bovin et le caprin. Je pense que le bovin va se généraliser de plus en plus car cela correspond au mode alimentaire. Le bovin peut être distribué en parts égales pour sept familles maximum. Il s’agit d’un bœuf de deux ans minimum. Ce recours ne contredit pas le process industriel mais il contredit la tradition culturelle maghrébine.

La France ayant plusieurs pays limitrophes à ses frontières, la solution ne passe-t-elle pas par l’importation pour les musulmans vivant à proximité de ces frontières ?

La plupart des ovins sont de toute manière importés par les éleveurs et revendus pour l’aïd al adha, deux ou trois mois avant. La solution passerait par une organisation des naissances ovines avec les éleveurs pour que les dates coïncident.

Quelle est la position d’AVS sur le sacrifice par procuration ?

AVS n’a pas de position sur ce sujet. Le sacrifice par procuration a été autorisé par des savants musulmans. D’autres sont plus réservés. Ce type de sacrifice est une alternative possible mais elle soulève la question de la fête de l’aïd elle-même car c’est un moment de convivialité, de partage familial et avec le voisinage. Un moment pour tisser du lien social et de proximité. C’est l’âme de l’aïd qui disparaît avec l’externalisation du sacrifice vers un pays étranger. Ce qui pose problème.

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