Auteure de plusieurs ouvrages dont « Méditations intimes, cœur à cœurs », Faouzia Zebdi-Ghorab rend hommage à Pierre Dortiguier, philosophe français, dans une chronique publiée par Mizane.info.
Pierre Dortiguier était bien plus qu’un philosophe. Il était un esprit brillant et singulier, nourri d’une
germanophilie profonde et d’une culture encyclopédique appréciable. Tout au long de sa vie, il a incarné
une curiosité ouverte sur le monde, et une capacité rare à tisser des liens entre les pensées
européennes, les grandes traditions orientales, et les questionnements contemporains. Il s’est éteint le
5 juillet 2022, dans sa ville natale, clôturant un parcours intellectuel riche et inspirant.
Pourquoi avoir attendu pour écrire ces quelques lignes ? Pourquoi ces mots se sont-ils imposés à moi
seulement maintenant ?
Peut-être que la réponse est peut-être déjà incluse dans cette deuxième question.
Peut-être que certaines choses demandent de laisser du temps au temps. Deux ans se sont écoulés
depuis la disparition de Pierre Dortiguier, et ce laps de temps peut en toute légitimité sembler long,
voire tardif pour un rappel au bon souvenir…
Peut-être qu’ à chaque fois qu’une personne quitte ce monde, la perception du temps change, tant
pour ceux qui restent que pour celui ou celle qui sont partis. Pour ceux qui restent, il oscille
singulièrement entre l’urgence de la perte et la lenteur nécessaire pour apprivoiser l’absence.
Pour ceux qui partent, le temps devient une notion obsolète, laissant place à l’éternité des oeuvres, des
pensées, et des empreintes laissées.
Cet écrit s’inscrit dans cette temporalité particulière. Il prend racine dans le fait, non pas de tourner la
page, mais de la relire à la lumière de ce qui nous a été légué. Il s’inscrit dans ce moment où la
disparition laisse place à la mémoire apaisée, où les idées et les échanges reviennent doucement, non
pas pour combler le vide, mais pour rappeler l’héritage laissé qui pour Pierre demeure intemporel dans
la profusion d’une vie comme la sienne.
J’ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises, dans des contextes toujours enrichissants. Après
des débats plus ou moins animés selon les thèmes abordés ; débats à l’issu desquels nous échangions de
manière simple et sincère, loin de la solennité et de la gravité de ces instants « officiels ».
Une autre fois, ce fut lors d’une table ronde où il y avait plus d’une douzaine d’intervenants. Pierre y
était invité en tant que membre honorable, Il n’a pas manqué d’apporter à ce débat son expertise en
histoire des civilisations, et son éclairage philosophique offrant des perspectives qui ont enrichi et
nourri la réflexion collective. » Il a d’ailleurs, à l’issu de cette journée, rédigé un article de synthèse avec une conclusion juste et éclairante et perspectiviste.
D’autres fois ce fut dans des cadres plus privés autour de thèmes sur lesquels je menais un travail de
recherche À ces occasions, son éclairage avisé, ainsi que ses précieux conseils bibliographiques
attestaient encore une fois de sa capacité à cerner rapidement les enjeux des sujets qui en l’occurrence
me préoccupaient.
Et puis, je me souviens de ces quelques lignes autour de mes « Méditations intimes, cœur à cœurs. »
pour lesquels après lecture de l’ouvrage il avait écrit ces mots : « Ces « Méditations intimes, Cœur à
Cœur » relèvent de l’intellectualité mystique, et sont stylistiquement dans la tradition française dévote,
ce qui anticipe déjà notre propos que l’effort du laïcisme actuel, ou des arrière-loges, est bien de
continuer l’œuvre de déracinement de l’esprit religieux français défendu aujourd’hui par l’esprit français
musulman »
Pierre n’était pas seulement un penseur, c’était un homme capable de créer des ponts entre les idées et
le monde, avec une élégance et une intelligence rares. Plus qu’un hommage, c’est ce souvenir vivant
que je souhaitais partager.
Nanterre le 13 décembre 2024
Faouzia Zebdi-Ghorab