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A quoi sert un imam ?

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A l’heure où l’imam est devenu un personnage public, où il est successivement courtisé ou banni par le pouvoir, et où il réunit ses coreligionnaires autour de lui ou contre lui, il peut être utile de s’interroger sérieusement sur ce qu’est ou ce que devrait être la fonction d’imam. Terme polysémique, l’imam recouvre plusieurs significations dans les sources de l’islam et en particulier dans le Coran. Retour sémantique sur une des fonction-clés du dernier Livre révélé.

En préambule, disons au lecteur que nous n’aborderons pas dans cet article les problèmes que rencontrent les imams de France, que ce soit entre autres celui de la non reconnaissance sociale de leur statut, de leur rémunération, du problème du bilinguisme et du biculturalisme, des considérations liées à l’exercice de leur imamat, ou bien encore du contenu doctrinal professé dans les mosquées.

Nous nous pencherons particulièrement et de manière non exhaustive sur quelques éléments qui définissent et caractérisent dans les sources de l’islam, la fonction de l’imam, et en particulier le rapport qu’il entretient avec ses coreligionnaires.

L’imam comme direction

L’imam (plur. a-imma, de l’arabe amama, se mettre devant) n’est pas seulement celui qui dirige la prière. Le terme recouvre plusieurs sens, à la fois dans le Coran et dans la tradition prophétique.

Nous faisons immédiatement remarquer que la racine trilitère du mot imam, amama, a donné naissance à d’autre notions centrales de l’islam : oumma (communauté ou nation), oumm (mère, principe, prototype), oummi (vierge, innocent, pur de toute influence culturelle, et par dérivation, analphabète), et donc, imam.

Pour ne pas nous éloigner du sujet, nous ne reviendrons pas sur le rapport pourtant essentiel qu’entretiennent toutes ces notions entre elles.

Dans le Coran, le terme imam et ses dérivés peut désigner tout à la fois la notion de dirigeant préposé, de chef ou de responsable d’un groupe (nation, communauté, famille, etc), de guide, de modèle, de sentier, de Livre révélé ou de Livre céleste de registre des actes.

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Le mot est polysémique et peut faire référence à un être humain, un livre ou un chemin.

L’une des occurrences coraniques les plus fréquentes du mot imam fait toutefois référence à la fonction de direction.

Ce sens peut désigner de manière générique la direction d’un groupe indéfini, qu’il soit religieux ou non religieux.

Ainsi du passage 28.5 désignant les Fils d’Israël : « Nous voulions favoriser ceux qu’on avait affaibli sur terre et en faire les dirigeants (a-imma) et en faire les héritiers. » 1

Un autre passage coranique, de nature eschatologique, est plus large et englobe cette fois toutes les catégories humaines.

17.71 : « Le jour où Nous ferons appeler par leur meneur (bi immamihim) chaque groupement d´hommes, alors ceux à qui on remettra leur rôle (forme de rouleau, ndlr) dans la main droite liront leur rôle. » 2

Si la guidance spirituelle est incarnée formellement par le prophète, c’est avant toute chose parce qu’elle est enseignée et exprimée, dans sa substance même, par le Livre révélé dont il est le porteur, le messager et l’accomplisseur.

Dans la même veine eschatologique de ce dernier passage, citons cette tradition prophétique évoquant sept catégories de personnes qui bénéficieront de l’ombre de Dieu, le jour (celui du Jugement dernier) où ne subsistera que Son ombre, la première d’entre elles désignant le dirigeant juste (immamoun ‘adiloun).

Cette dénomination n’a pas ici un sens restrictif. Elle ne concerne pas seulement l’autorité politique, mais toutes les fonctions de direction (père ou patriarche, responsable juridique, leader, etc.).

Dans un autre registre, le passage coranique qui suit mentionne cette-fois des « imams » (au sens de chefs) de la négation (ou de la mécréance, terme de l’ancien français mécroire, refuser de croire) qui violeraient leurs serments et combattraient ouvertement la religion.

9.12 : « Et si, après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent votre religion, alors combattez les meneurs de la mécréance (a-immata al kufri) – Non, pas de serments pour eux – peut- être cesseront ils ? » 3

L’imam comme guide spirituel

Il est à observer qu’indexée à la fonction religieuse, la direction de l’imam est accompagnée d’une autre mission, celle de la guidance. Elle est ici le fait même des prophètes.

21.72 : « Et Nous lui donnâmes de surcroît Isaac et Jacob, lesquels Nous désignâmes gens de bien.

21.73 : Nous les désignâmes comme des dirigeants (a-imma) qui guideraient par Notre ordre. Et Nous leur révélâmes de faire le bien, et d’établir l’Office (la prière, ndlr) et d´acquitter l’Impôt (zakat, ndlr). Et ils étaient Nos adorateurs. » 4

32.24 : « Et Nous avons désigné parmi eux (les Fils d’Israël, ndlr) des dirigeants (a-imma) quand ils eurent enduré avec constance. Ils guidaient (les gens) par Notre ordre et croyaient avec certitude en Nos signes. » 5

Dans ces versets, la fonction d’imam est étroitement corrélée à la prophétie, bien que le dernier passage en question ne mentionne pas nominativement de prophètes.

Ce verset (32.24) est à comprendre à la lumière des versets 21.72/73 (Isaac et Jacob) ainsi que du verset 28.5 qui n’évoque pas la fonction connexe de guidance (certains dirigeants israélites étaient rois sans être prophètes, à l’instar de Talut).

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Le passage « bi amrina » (par Notre Ordre) renforce cette lecture évoquant le Décret divin explicite de la prophétie, et une allusion à l’archange Gabriel (Jibril) qui est par excellence le véhicule d’accomplissement de l’Ordre divin tant sur le plan phénoménal du Cosmos que sur le plan de la Révélation (la notion coranique de Ruh – esprit – qui est une autre allusion à Gabriel parachève cette compréhension, l’esprit étant la faculté de mise en ordre du monde).

Dans le même fil, une tradition notoire du Prophète rappelait cette règle générale en vigueur chez les juifs : « Les fils d’Israël étaient gouvernés par les prophètes. Chaque fois qu’il en mourrait un, un autre lui succédait. Or, nul prophète après moi ».6

Si la guidance spirituelle est incarnée formellement par le prophète, c’est avant toute chose parce qu’elle est enseignée et exprimée, dans sa substance même, par le Livre révélé dont il est le porteur, le messager et l’accomplisseur.

Ainsi, dans le passage suivant, de la Torah et du Coran.

46.12 : « Avant ce Coran, il y a eu l’Écriture de Moïse qui fut tout à la fois un guide et une bénédiction. Et ce Coran confirme en langue arabe les Écritures anciennes et constitue un avertissement pour ceux qui font preuve d’injustice et une bonne nouvelle pour les bienfaisants. » 7

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Il est à mentionner qu’à cette fonction prophétique de guidance, correspond aussi, par inversion, celle d’égarement.

En effet, tout comme il est des dirigeants qui impriment la bonne direction au groupe dont ils ont la responsabilité, il en est d’autres qui les conduisent vers l’égarement, c’est à dire vers l’éloignement radical de toute voie menant vers Dieu.

C’est le sens du passage suivant :

28.41 : « Nous avons fait d’eux des prédicateurs qui appellent les hommes à l’Enfer, et qui, le Jour de la Résurrection, ne bénéficieront d’aucun secours. » 8

L’imam comme modèle

Outre la direction et la guidance, l’imam est également celui qui sert de modèle (spirituel, éthique) à ses proches, ses coreligionnaires, ses compatriotes, et au-delà, à la postérité.

Cette fonction n’échoit pas seulement aux prophètes ou messagers, mais aussi aux pieux et vertueux, et plus particulièrement, dans le verset suivant, à ceux que le Coran appelle les serviteurs du Tout-Miséricordieux (‘ibadou ar-rahman):

25.74 : « Ceux qui disent : « Seigneur, fais que nos épouses et nos enfants soient pour nous une source de bonheur (littéralement, « fraîcheur des yeux ») ! Daigne faire de nous des modèles de piété pour ceux qui craignent le Seigneur ! » 9

Si l’exemplarité invoquée dans ce passage est nominativement destinée à une élite spirituelle et éthique (al moutaqqin), notons qu’elle n’est pas non plus sans lien avec la notion de famille, et plus exactement de joie et de bonheur familial, qui précède.

L’imam est donc convié à se mettre devant pour indiquer la direction et orienter, par une mise en ordre spirituelle exemplaire, la pratique des Hommes. Se mettre devant et non se mettre en avant.

2.124 : « Souvenez-vous lorsque Dieu, voulant mettre à l’épreuve Abraham, lui édicta certaines prescriptions dont il s’acquitta avec bonheur, et que Dieu lui dit alors : « Je ferai de toi un guide spirituel pour les hommes. » 10

On observera dans ce dernier passage que l’exemplarité abrahamique est un statut accordé au terme, et au terme seulement, d’une série d’épreuves réussies (l’épreuve du sacrifice de son fils, l’épreuve du bûcher de Nemrod, etc), qui désignent Ibrahim comme le modèle de la foi par excellence.

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Plus que tout autre humain, le prophète/messager est donc invité à se transcender dans sa foi et son exemplarité.

La dialectique prophétique entre Abraham et Muhammad est sur ce point particulièrement forte et mériterait une analyse à part entière.

Le sentier de l’imamat

La révélation étant close (khatam an nubuwwa), la prophétie étant achevée, l’islam inaugure pour l’Homme une ère ultime de maturité spirituelle, éthique et sapientale marquée par son statut universel.

Les fonctions portées par les prophètes sont désormais transmises à l’élite spirituelle, éthique et eidétique de la communauté muhammadienne qui est appelé à s’élever par la connaissance (héritage prophétique léguée aux savants), à s’accomplir spirituellement et à briller éthiquement (pratique parachevée des valeurs morales muhammadiennes) en inscrivant ses pas dans la voie prophétique.

Connaissance, accomplissement, témoignage et transmission sont les maîtres-mots de cette initiation vers laquelle chaque Homme est appelé.

L’imam est donc convié à se mettre devant pour indiquer la direction et orienter, par une mise en ordre spirituelle exemplaire, la pratique des Hommes. Se mettre devant et non se mettre en avant.

L’imamat requiert de se tenir debout devant les Hommes, c’est-à-dire avec dignité. De rester droit, par son exigence de droiture.

L’imam se doit de se pencher en avant pour accomplir, devant Dieu, son inclinaison. Se pencher pour ne pas suivre ses penchants. S’incliner, pour mieux se libérer de ses inclinations.

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Pour l’imam, diriger signifie indiquer la direction et la prendre soi-même. Diriger implique de concentrer en soi toute la responsabilité d’une décision, d’une oraison, d’un engagement, ou d’un silence. Là où il y a rupture, il n’y a plus de direction. La confiance est la base de l’imamat.

Si l’imam est un guide, il l’est dans la mesure où il indique la bonne direction à ceux qui la recherchent, ou qui n’ont pas désespéré de la suivre. Et il ne le peut qu’autant que lui-même s’y est personnellement engagé. La guidance, chez l’imam, n’est pas la cause mais l’effet de sa propre fidélité à la Voie divine. Pour indiquer la direction, il faut savoir où elle mène, et pour le savoir, il faut l’avoir emprunté.

Cet engagement sincère et fidèle est le critérium de son exemplarité. Elle est la source de son amour et le gage de sa justice.

Si l’imam est un modèle, c’est parce que les Hommes peuvent s’identifier à lui. L’imam est celui qui les fréquentent, marche à leurs côtés, endure ce qu’ils endurent, écoute leurs sollicitations, pardonne leurs excès, leur livre conseils et prie pour leur salut. C’est sur la voie de ce sentier, et nulle part ailleurs, qu’il est possible de le trouver.

Fouad Bahri

Notes :

1-Traduction de Muhammad Hamidullah. Hamza Boubakeur et Mohammed Chiadmi ont conservé cette traduction de « dirigeants ». Dans la même idée de direction, Régis Blachère a fait le choix de « préposé », du latin praeponere « placer, mettre devant, mettre à la tête de », ce qui rejoint l’étymologie arabe de amama. Jacques Berque parle de « conducteurs », ce qui évoque à la fois la conduite personnelle (comportement) et le fait de conduire un groupe dans une direction. Maurice Gloton fait le choix de « modèles » pour ce verset.

2. Traduction de Hamidullah. Hamza Boubekeur conserve le terme de « dirigeant ». Chiadmi choisit celui de « chefs ». Gloton adopte le mot de « préposé ». Blachère opte pour l’ancien terme de « rôle ». Berque traduit par « conducteurs ».

3. Ce choix de traduction de « meneurs » par Hamidullah se retrouve chez Chiadmi, Gloton, et Berque. Blachère choisit l’expression de « guides de l’infidélité ». Hamza Boubekeur opte pour « chefs des infidèles ».

4. Traduction de Hamidullah conservée par Boubekeur et Chiadmi. Berque et Gloton choisissent « modèles », et Blachère « conducteurs ».

5. Trad. Hamidullah. Chefs de file (Berque). Chefs spirituels (Chiadmi). Guides spirituels (Boubekeur). Modèles (Gloton). Blachère conserve le terme d’imam.

6. On retrouve cette tradition prophétique dans le recueil de l’imam An-Nawawi traduit sous le titre « Le jardin des vertueux ».

7. Traduction de Mohammed Chiadmi, que l’on retrouve chez Blachère. Hamidullah opte encore pour « dirigeant », au sens de source de direction. Gloton choisit « modèle ». Boubekeur, « Guide spirituel ». Berque traduit ici par « précédent ».

8. Traduction de Chiadmi. Dirigeants (Hamidullah, Boubekeur). Préposés (Gloton). Prédicateurs (Chiadmi). Modèles (Berque). Conducteurs (Blachère).

9. Modèle (Chiadmi, Gloton, Berque et Blachère). Dirigeants (Hamidullah, Boubekeur).

10. Guide spirituel (Boubekeur, Chiadmi). Guide (Blachère). Modèle (Gloton, Berque). Dirigeant (Hamidullah).

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