A Nanterre, la mobilisation des jeunes lycéens pour protester contre la mutation d’un professeur syndicaliste est devenu dans les colonnes de certains médias, une pression islamiste pour imposer la ‘abaya. Mizane.info revient sur les ingrédients de cette vieille recette alchimique transformant une contestation sociale en mobilisation islamiste. Le billet de la rédaction.
Pour noyer son chien, on dit qu’il a la rage. Et la plus grande rage de notre temps, c’est bien connu, est l’islamisme. Un mélange d’obscurantisme religieux et de volonté de puissance exercé contre la Cité, un épouvantail diffus, puissant, et insaisissable car il siège là où nul ne peut le déloger : au fin fond de l’esprit paranoïaque qui le cultive en quête de sensations fortes, la peur étant la dernière émotion dont un tel esprit soit capable, celle qui lui rappelle qu’il vit encore. Retour au sujet. Au lycée Joliot-Curie, des jeunes se sont mobilisés avant-hier pour manifester leur colère et leur soutien après la mutation sans motif du professeur et syndicaliste Kai Terada dans les Yvelines. Et c’est alors que l’ombre funeste d’une ‘abaya fut aperçue..
A Nanterre, haro sur la ‘abaya révolutionnaire
La police intervient, les manifestants leur reprochent d’exacerber les tensions, l’agitation est palpable, 14 jeunes sont mises en garde à vue. La presse se bouscule et dans certains articles voici ce qu’on peut lire : « Les élèves ont lancé cet appel au blocus pour réclamer notamment le rétablissement de l’aide aux devoirs dans toutes les matières, la levée de l’interdiction de port de tenues amples, type abayas, assimilés à des vêtements religieux et pour soutenir le professeur de mathématiques suspendu « sans raison ». »
Evidemment, ce qui retient immédiatement l’attention du lecteur, biberonné en continu par des centrales où la fabrique sélective de l’information est reconnue pour son savoir-faire, est la référence à l’islam via la ‘abaya. La motivation de ces jeunes n’est pas prioritairement la défense de l’enseignant mais avant ça, la levée de l’interdiction de ces tenues larges portées par des jeunes musulmanes (‘abaya).
Dans un contexte de répression académique du fait islamique, initiée par le politique, il n’est pas surprenant que la jeunesse, ivre de liberté, réclame la fin de la répression vestimentaire et religieuse d’une politique qui trace toujours en profondeur les lignes les plus sombres de l’histoire française de ce 2e millénaire.
Qu’une partie de ces jeunes le fassent parce qu’eux-mêmes sont de confession musulmane est tout aussi légitime, puisqu’ils vivent mieux que les autres les conséquences désastreuses sur le plan psychologique, identitaire et social de cette répression symbolique de l’islam sur le territoire français. Mais venons en au propos.
Une ficelle lointaine
La mention de l’islam dans un phénomène de contestation de l’ordre social est une vieille recette française. L’islamisation de la contestation sociale est une méthode dont le but est de discréditer et délégitimer la force morale et juridique d’une mobilisation, de détourner l’attention sur les motifs réels qui ont engendré cette mobilisation et in fine, de renverser la culpabilité et la responsabilité de la situation en transformant les acteurs sociaux en agitateurs dangereux, et la problématique sociale en problématique sécuritaire de défense de l’ordre public. Et la ficelle fonctionne toujours.
La diabolisation radicale de l’islam en France, alimentée par le traitement à charge, partial et partiel des chaînes d’info en continu et par les déclarations fallacieuses et tonitruantes d’une classe politique en quête de fauteuil et de strapontins, crée un phénomène épidémique par capillarité. Le moindre rattachement à l’islam contamine sa victime par simple contact.
Gaston Deferre en son temps évoquait « des grèves saintes d’intégristes chiites » 1 pour désigner ce que Sylvain Lazarus nommera les « grandes grèves en particulier dans l’automobile, à la fois sur les conditions de travail, sur les salaires et contre l’encadrement (Citroën Aulnay, Renault Flins en 1982), contre les licenciements et la mise en place de l’aide au retour pour les ouvriers étrangers (Talbot Poissy en 1983-1984) » 2.
Le parfum de la révolution iranienne était toujours respirable à cette époque et la France avait hébergé des années durant le guide spirituel des révolutionnaires chiites, l’ayatollah Khomeyni.
Trente ans plus tard, en 2013, le patron de l’UDI Jean-Christophe Lagarde s’en souviendra certainement lorsqu’il parlera à propos de la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay sous-bois d’une « omniprésence religieuse et […] des exigences religieuses au travail » 3.
La problématique de l’islamo-gauchisme à l’université relève de la même logique de disqualification des alliés politiques et sociaux des couches de la population française issues de l’ex-empire colonial. La question est : à quel moment la ficelle atteindra le bout du rouleau ?
Notes :
1-« Monde du travail : islam plébiscité puis diabolisé », Ehko, Warda Mohammed.
2-« Anthropologie ouvrière et enquêtes d’usine : état des lieux et problématique », Ethnologie française 2001/3 (Vol. 31), Sylvain Lazarus
3- Ibid, 1.