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Abu Hanifa l’incompris

@Sarrazins.

Né le 5 septembre 699 à Koufa, Nuʿmān ibn Thâbit ibn Zūtā ibn Marzoubān, alias Abu Hanifa, est le fondateur d’une école juridique islamique qui a fait postérité. Souvent critiqué par l’école traditionnaliste (athar), Abu Hanifa a été également persécuté par le pouvoir politique de son temps. Retour sur la vie exceptionnelle d’un homme qui influença le cours de l’histoire des idées.

Nuʿmān ibn Thâbit ibn Zūṭā ibn Marzoubān (en arabe : نعمان بن ثابت بن زوطا بن مرزبان), connu sous la kunya de Abu Hanifa (en arabe : أبو حنيفة) ou respectueusement sous le nom d’Imam Abu Hanifa est une figure centrale de l’islam sunnite.

Surnommé « le plus grand imâm » (al-Imâm al-A’zam) et « la lampe des Imams » (sirāj al-aʾimma), il fut un éminent théologien du IIe siècle de l’hégire (VIIIe siècle du calendrier julien) et un juriste d’origine perse. Abu Ḥanifa est surtout connu comme le fondateur de l’école de jurisprudence sunnite hanafite, qui est devenue l’une des plus influentes dans l’islam. Aujourd’hui, environ un tiers des musulmans dans le monde suivent cette école, ce qui en fait la plus répandue dans la tradition sunnite.

Des origines afghanes et perses

Abu Hanifa est né en 699 dans la ville de Koufa, un centre important de l’apprentissage islamique de l’époque, où il a passé la majeure partie de sa vie. Durant sa jeunesse, il a voyagé dans la région du Hedjaz, en Arabie, pour étudier sous la direction des enseignants les plus réputés de La Mecque et Médine. Son ascendance est généralement reconnue comme étant d’origine persane, comme le montrent les noms de son grand-père (Zouta) et de son arrière-grand-père (Mah).

Cette origine persane est également confirmée par des récits historiques, notamment une déclaration de son petit-fils, Ismaïl ibn Hammad, rapportée par l’historien Al-Khatib al-Baghdadi.

La divergence dans les noms du grand-père et de l’arrière-grand-père d’Abu Ḥanifa est généralement attribuée à l’adoption d’un nom arabe (Nou’man) par Zouta après sa conversion à l’islam. Mah et Marzoubān, quant à eux, sont considérés comme des titres ou désignations officielles en Perse, « Marzoubān » désignant un margrave, ce qui suggère une ascendance noble liée aux Marzoubans sassanides. Il est donc largement accepté qu’Abu Ḥanifa était d’origine persane.

Le hadith où le Prophète Mahomet dit : « Si la science était attachée à la plus haute étoile, un homme parmi les Persans l’atteindrait » est souvent interprété comme faisant référence à Abu Ḥanifa. Le juriste shâfi’îte As-Suyûtî va même jusqu’à affirmer qu’il est unanimement reconnu que ce hadith fait allusion à Imâm Abu Ḥanifa.

Selon les sources historiques, les ancêtres d’Abu Hanifa venaient de Kaboul. Lorsque les armées du califat des Rachidoune envahirent le Khorassan, son grand-père, Zouta, fut fait prisonnier et emmené comme esclave de Kaboul à Koufa, en Irak. Il fut libéré contre une faible rançon et choisit la tribu arabe des Banu Taym comme protectrice (mawlâ). À Koufa, Zouta rencontra Ali, cousin du prophète Muhammad, qui y avait établi sa capitale.

Ils se lièrent d’amitié, et Thabit, fils de Zouta, devint également un proche d’Ali et de sa famille. Avant de mourir en martyr, Ali aurait invoqué Allah pour que la descendance de Thabit soit bénie, et cette prière se réalisa avec la naissance d’Abu Hanifa à Koufa sous le règne du calife omeyyade Abd al-Malik, alors que le gouverneur local était Al-Hajjaj ben Yusef.

Enfance et apprentissage

Dès son enfance, Abu Ḥanifa montrait une grande intelligence. Fakhreddine ar-Razi rapporte dans son tafsir qu’Abū Hanīfa, encore jeune, interrogea le savant Qatadah de passage à Koufa au sujet du sexe de la fourmi qui avertit ses congénères de l’arrivée de l’armée de Salomon dans le verset 18 de la sourate 27 (An-Naml) du Coran. Qatadah ne put répondre, mais Abu Hanifa expliqua qu’il s’agissait d’une fourmi femelle, se basant sur l’expression « Qālat namla » utilisée dans le Coran, qui aurait été « Qāla namla » si c’était un mâle, conformément à la grammaire arabe.

Abu Hanifa, élevé dans la religion musulmane (il mémorisa le Coran), parlait à la fois persan et arabe. Destiné à suivre les traces de son père, commerçant à Koufa, il fonda avant l’âge de 20 ans un atelier de tissage de la soie (khazza) et développa un commerce de vêtements.

Abu Hanifa possédait un grand bâtiment avec des ouvriers et des artisans, ce qui lui procurait une indépendance financière, lui permettant de se consacrer pleinement à l’étude. Un jour, il rencontra l’imam Ach-Cha’bi, qui reconnut en lui une grande intelligence et l’encouragea à poursuivre la science religieuse auprès des oulémas. D’abord attiré par la philosophie et le kalâm, il les abandonna ensuite pour se concentrer sur la littérature, la généalogie, l’histoire de l’Arabie, et surtout sur les sciences du fiqh (jurisprudence) et du hadith.

Abu Hanifa rencontra de nombreux savants et tabi’îne (disciples de compagnons du Prophète), parmi lesquels Ja’far al-Sâdiq, Zayd Ben Ali, ainsi que l’Imam Mâlik ibn Anas, lors de ses nombreux voyages destinés à approfondir sa connaissance.

Au début de sa carrière, Abu Hanifa se consacra à la théologie, où il acquit rapidement notoriété et prestige à Koufa, rassemblant autour de lui un cercle d’étudiants. Il influença fortement le courant théologique du murjisme. Son œuvre théologique est notamment préservée dans le Musnad Abou Hanifa, une collection de hadiths.

Plus tard, il se tourna vers la jurisprudence islamique (charia), où il fut formé par Hammad ibn Abi Sulaiman, en hommage à qui il nomma son fils aîné. Il aurait aussi assisté aux cours d’Ata ibn Abi Rabah à La Mecque et rencontra les imams Muhammad al-Bāqir et Ja’far al-Sâdiq, fondateurs de l’école jafarite Parmi ses élèves les plus notables figurent Abu Yusuf, al-Shaybani et Zufar Ibn al-Hudhayl, qui jouèrent un rôle clé dans la diffusion de l’école hanafite.

La choura, une méthode juridique

Abu Ḥanifa acquit principalement sa connaissance auprès de son maître Hammad ibn Abi Sulayman, lui-même successeur d’Ibrahim an-Nakha’i, qui avait étudié sous son oncle Alqamah ibn Qays an-Nakha’i, disciple d’Abdullah ibn Mas’ud. Ce dernier avait été envoyé à Koufa par le calife Omar ibn al-Khattâb. Une métaphore célèbre illustre cette transmission du savoir : « Le Fiqh a été planté par Ibn Mas’ud, arrosé par Alqamah, récolté par Ibrahim an-Nakha’i, broyé par Hammad et moulu par Abu Ḥanifa. »

Abu Hanifa étudia pendant 18 ans sous la tutelle de Hammad. Bien qu’il fût déjà compétent pour enseigner, il resta son étudiant humble jusqu’à la mort de Hammad en 737, moment où il reprit la direction de l’enseignement à l’âge de 40 ans. Il donna alors ses cours au même endroit que ses prédécesseurs, dans la lignée d’Abdullah ibn Mas’ud.

Abu Hanifa avait une méthode d’enseignement originale fondée sur la choura (consultation). Lorsqu’il était confronté à une question juridique, il ne donnait pas immédiatement la réponse, mais exposait la question à ses disciples pour qu’ils proposent des solutions argumentées. Ensuite, il commentait leurs propositions, corrigeant les erreurs, avant de présenter les différents aspects du problème. Ce n’est qu’après la discussion qu’il donnait la réponse finale, qui était ensuite enregistrée. Cette approche interactive caractérise l’école hanafite.

Abu Hanifa est également reconnu pour avoir promu l’utilisation de la raison dans ses décisions juridiques (faqīh dhū ra’y) et dans sa théologie. Son école théologique a posé les bases de l’école maturidite de la théologie sunnite. Toutefois, certains savants hanafites, comme Ibn Abi al-Izz, ont adhéré au dogme atharite, qui rejette la théologie rationaliste (kalâm).

Torture et mort en prison

Le 15 Rajab 150 AH (15 août 767), Abu Hanifa décède en prison, mais les circonstances exactes de sa mort restent incertaines. Selon certaines sources, il aurait émis un avis juridique soutenant une insurrection contre le calife abbasside Al-Mansour, qui l’aurait fait empoisonner en représailles. Une autre tradition rapporte qu’en 146 AH (763), Al-Mansour lui proposa le poste de juge en chef de l’État, une offre qu’Abū Ḥanīfa refusa, préférant conserver son indépendance. Son élève, Abou Yusuf, fut plus tard nommé Qadi al-Qudat (juge en chef) sous le règne du calife Hâroun ar-Rachîd. Abū Ḥanīfa refusa également une proposition similaire faite par le gouverneur omeyyade d’Irak, Yazid ibn Omar al-Fazari.

Lorsqu’Al-Mansour proposa à Abu Hanifa le poste de juge en chef, ce dernier répondit qu’il ne se sentait pas à la hauteur pour cette fonction. Al-Mansour, soupçonnant les véritables raisons du refus, se fâcha et accusa Abū Ḥanīfa de mentir. Abū Ḥanīfa répliqua : « Si tu dis vrai et que je suis un menteur, cela montre clairement que je ne suis pas compétent pour le poste. Mais si c’est moi qui ai raison, alors je confirme ma propre incompétence. » Cette réponse provoqua la colère du calife, qui fit arrêter, emprisonner et torturer Abu Hanifa. Bien que privé de nourriture et de soins, Abu Hanifa continua d’enseigner à ceux qui pouvaient le visiter en prison.

Selon la tradition, environ 50 000 personnes assistèrent aux funérailles d’Abu Hanifa, et la prière funéraire dut être répétée six fois avant son enterrement. L’historien Al-Khatib al-Baghdadi rapporte que des prières funéraires furent récitées pendant vingt jours entiers. Plus tard, la mosquée Abū Ḥanīfa fut construite en son honneur dans le quartier Adhamiyah de Bagdad, près de sa tombe.

Abū Ḥanīfa avait soutenu les causes de Zayd ibn Ali et d’Ibrahim ibn Abdullah ibn al-Hassan, tous deux imams zaydites. En 914 AH (1508), la tombe d’Abū Ḥanīfa, ainsi que celle d’Abd al-Qadir al-Jilani, furent détruites par Ismaïl Ier, le chah des Séfévides. En 941 AH (1534), les Ottomans, après avoir reconquis Bagdad, reconstruisirent les tombes.

Les fondements de l’école hanafite

Abū Ḥanīfa est reconnu pour avoir établi un ordre juridique fondé sur une interprétation des sources qui intègre le jugement humain (rā’y), non pas pour remplacer la révélation, mais pour mieux exploiter les sources révélées. Sa méthode va au-delà de l’exégèse pour inclure une approche spéculative. Dans l’école hanafite, l’opinion personnelle du juge, ou istihsān (jugement préférentiel), est acceptée lorsque les sources traditionnelles (Coran, sunnah, ijma’, opinions des sahaba et qiyas) ne suffisent pas à résoudre un cas. Cette approche doit néanmoins être fondée sur un élargissement du qiyās (raisonnement analogique).

L’école hanafite est également connue pour aborder des problèmes hypothétiques de fiqh afin de les résoudre avant qu’ils ne se présentent réellement, ce qui lui a valu le surnom de « gens de la raison ». Parmi les élèves célèbres d’Abū Ḥanīfa se trouvent Abou Yusuf, Zufar Ibn al-Hudhayl et Muhammad al-Shaybani, ce dernier étant l’auteur du Grand recueil (Al-Djâmi Al-Kabīr) qui compile les traditions de l’imam. Certains considèrent Abū Ḥanīfa comme un des Tabi‘un, la génération suivante après les compagnons du prophète Mahomet, en raison de rapports affirmant qu’il a rencontré au moins quatre sahaba, dont Anas ibn Malik.

Héritage et influence du hanafisme

Le Hanafisme est l’école sunnite prédominante en Turquie, dans les Balkans, la Ciscaucasie, le Nord du Moyen-Orient, une grande partie de l’Égypte, en Asie centrale et dans la majorité du sous-continent indien. Abū Ḥanīfa est reconnu comme l’un des plus grands juristes de la civilisation islamique et un éminent philosophe juridique. Il est hautement respecté pour ses contributions à la théologie musulmane et est considéré comme un faqih de premier ordre par ses contemporains.

En plus de ses réalisations académiques, Abū Ḥanīfa est admiré pour ses qualités personnelles : il est vu comme un homme de vertus exceptionnelles, d’abnégation et de dévotion envers Allah. Sa tombe, surmontée d’une coupole construite en 1066 par des admirateurs, reste un éminent lieu de visite. Elle fut restaurée en 1535 par Soliman le Magnifique après la conquête ottomane de Bagdad.

Le titre honorifique d’al-Imām al-A’zam (« le plus grand guide ») lui a été attribué, et environ 41% des musulmans suivent l’école hanafite, selon John Esposito, tandis que Sami Aldeeb estime ce chiffre à environ 50%. Parmi les œuvres perdues d’Abū Ḥanīfa figurent :

Kitaab-ul-Aathaar, une compilation de près de 70 000 hadiths par ses élèves Abou Yusuf et Muhammad al-Shaybani.

Al-Fiqh al-Akbar, traitant de la croyance de l’imam Abū Ḥanīfa.

Kitaabul Rad ala-l-Qaadiriyah.

Al-‘Âlim wa’l-Muta’allim, un dialogue philosophique, dont l’existence semble perdue.

Musnad Abou Hanīfa, un recueil de hadiths compilé par Abou al-Mu’yid Muhammad ben Mahmûd al-Khwârezmî, basé sur divers recueils de hadiths traditionnels.

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