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Amara Bamba : Langue du Coran et langue des musulmans

Si l’arabe est bien la langue du Coran, elle n’est pas majoritairement celle des musulmans. De la religion officielle à la religiosité réelle, Amara Bamba questionne sur Mizane.info cette différence et son impact sur la construction d’un islam ancré culturellement.

La langue du Coran se dit « arabe classique ». Une langue riche et stable que partagent les peuples arabes quelle que soit leur histoire locale. C’est l’arabe non vernaculaire. L’arabe des journalistes, des lettrés et aussi la langue de nos imams. C’est pourquoi, dit-on, « l’arabe est la langue de l’islam ». Cette idée se défend. Sauf que l’arabe n’est pas la langue des musulmans. A près de 80 %, nous ne parlons pas arabe. Si bien que maîtriser l’arabe est un atout précieux pour étudier l’islam, accéder aux sciences du Coran, aux sciences de l’islam.

Les excès de l’arabité

Cela vaut pour nos cadres religieux. Pour le commun des fidèles, la langue arabe et la culture des peuples arabes peuvent avoir une odeur de sacré. Parfois, c’est l’amour du Prophète qui s’étend à un ensemble confus où tout ce qui concerne Rassul devient alors spécifique à l’excès.

J’ai été marqué par le cas d’un imam de Côte d’Ivoire, le père d’un proche ami. Il était amoureux du Coran, amoureux du Prophète. Son rêve : « voir un vrai Arabe comme le Prophète avant ma mort ». Mais pas d’Arabe à l’horizon. En prenant de l’âge, il assortit ses prières d’une promesse à Dieu.

Et comme il forçait la main au destin sa prière fut exhaussée; un Arabe vint à passer. L’imam put le toucher de ses mains et lui parler à souhait. Restait la promesse à tenir. Il s’assied aux pieds du commerçant libanais. Il lui lava les pieds. Puis, en signe de gratitude à Dieu, il but l’eau du bain.

Autre cas à Paris. Aux débuts du Conseil français du culte musulman, les candidats présentaient des listes de mosquées. Une mosquée attira mon attention car sa présence à côté de certaines fédérations contredisait nos analyses. J’ai voulu comprendre, interviewer cet imam pour le journal Saphirnews.

L’imam était un vieux sénégalais rayonnant. Il avait été manipulé pour se retrouver sur la liste. Mais le fait était énorme. Comment un adulte peut-il avaler de si gros mensonges ? C’est alors que l’imam dit : « Ils sont venus me voir. Ils sont Arabes. Moi j’ai cru qu’un Arabe comme le Prophète lui-même était incapable de mensonges. » Et ça se passe à Saint-Denis, dans la banlieue parisienne !

Lire le Coran sans le méditer

Ce type d’excès se retrouve à un autre niveau dans la lecture du Coran. Une tradition est de lire tout le Coran durant le mois de ramadan. En branchant le turbo, on peut le faire en dix jours. Certains le font tous les trois jours. Puis il y a des cercles où l’exercice est quotidien, bien au-delà du bon sens.

Souvent, il s’agit de cercles d’études. Une fois réuni, le Coran est fractionné en raison du nombre de lecteurs présents. Au signal, chacun lit sa partie à haute voix dans un tohu-bohu où l’on ânonne son texte que personne n’écoute sinon, peut-être, les anges gardiens. Le souci est de finir de lire à temps.

Donc le Coran est lu, il n’est pas écouté. Le Coran est aimé, il n’est pas médité. Il est appris, mais pas compris. C’est un Coran sacré au lieu d’être saint. Voici comment, par extension, la langue du Coran devient sacrée pour être « la langue de Dieu », « langue des anges » ainsi que « langue du Paradis ».

Je ne sais plus si ces idées courent toujours, mais j’ai grandi avec. La logique était que le Coran est la Parole de Dieu. Et l’Auteur du Coran écrit dans Sa langue. Et ça débouchait sur une conclusion certes logique mais absurde.

Désethniciser l’islam

Ces excès sont facilités par la qualité littéraire du Coran lui-même. L’arabisant est ébloui. Même s’il n’est pas de culture arabe, il somnole dans ce doux piège. Mosquées, en France, « cours de Coran » et « cours d’arabe » c’est pareil, synonymie stratégique : qui peut le plus, peut le moins.

En plus d’ethniciser le religieux dans l’esprit des petits, nous peinons à penser l’islam en français. La séance de bénédiction est inspirante en arabe. Mais en français c’est toujours cahoteux. Pour glorifier Dieu la langue française sent le thé; on nous traduit l’arabe après l’avoir dépouillée de sa robe poétique.

Dans les années 1980, je trouvais ça plutôt normal. Pas aujourd’hui. Et une raison de la stagnation me semble le poids accordé à la langue du Coran sur la langue des musulmans. En anglais ou en dioula, les fidèles ont droit à mieux que le fidèle francophone de France. Je me demande pourquoi.

Le Coran en arabe s’explique. Il le dit lui-même en S.14 V.4 : « Nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer… » Rassul était Arabe. Ne parlait qu’arabe et n’a parlé, en Prophète, qu’à des gens de culture arabe. Mais sa mission, elle, n’était pas du tout arabe !

La traduction du Coran selon Muhammad Hamidullah

Le professeur Hamidullah explique : « il faut distinguer entre les besoins d’un prophète envoyé à une nation et un prophète comme Muhammad, envoyé à l’humanité. Pour ce dernier, il faut une langue non seulement précise mais aussi une langue stable qui ne change pas au cours du temps… »

L’arabe est un choix divin ; pas un hasard. Pour les spécialistes, elle offre des atouts pour préserver le dernier message de Dieu à l’humanité. Son peuple vit, à l’époque, à un grand carrefour du monde. Il possède une culture ancestrale du cheval et des chameaux, moyens de déplacements de l’époque.

Mais pour Hamidullah, si Rassul reçoit le message dans sa langue maternelle, il est du « devoir des générations de ses disciples de le traduire dans les diverses langues [des peuples] qui ne connaissent pas cette langue propre au dernier des Prophètes ». Dans ce sens, le Professeur a fourni des efforts.

Coran intraduisible ! Coran Parole infinie de Dieu ! Coran c’est arabe ! etc… Hamidullah savait tout ça mais il n’a pas écouté. Il a traduit le Coran en français, en anglais, en allemand. En turc aussi on retrouve son travail. La langue du Coran n’empêche pas la « guidance des pieux » (S.2 V2.)

Lire le Coran arabe sans rien comprendre ? Vous aurez des émotions audiophoniques. Lire le même Coran dans votre langue, ça ouvre l’intelligence à la guidance. Ma préférence est plutôt à « méditer le Coran ». Entrer en intimité, dans un espace qui va au-delà de la langue de lecture du Coran.

Amara Bamba

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