Dans une chronique, traduite par le site Chroniques de Palestine, le journaliste Palestinien Tareq S. Hajjaj – en collaboration avec Hassan Suleih – nous livre un reportage bouleversant sur le froid glacial et intense qui s’abat actuellement sur les tentes de Gaza dont les premières victimes sont les enfants.
Le 26 décembre, le ministère de la Santé de Gaza a confirmé le quatrième cas de mort de bébé en 72 heures. Le lendemain, un médecin de 28 ans est également décédé d’hypothermie. Tous ces décès ont un dénominateur commun : ils vivaient dans des tentes.
« Ils meurent de froid, de faim et de peur »
Mahmoud Al-Fasih marche dans les couloirs du complexe médical Nasser à Khan Younis en portant sa fille Sila, âgée de deux semaines. Sila n’est plus en vie. Mais contrairement à la plupart des enfants tués à Gaza au cours de l’année écoulée, Sila n’a été touchée ni par une bombe ni par une balle. Sila est morte de froid.
Le jeudi 26 décembre, Al-Fasih et sa femme se sont blottis avec leurs enfants dans leur tente dans la zone de Mawasi, dans la bande de Gaza. C’était l’une des nuits les plus froides et les plus glaciales qu’ils aient connues depuis le début de l’hiver, avec des températures descendant jusqu’à 8 degrés Celsius, et les bâches de leur tente ne les protégeaient guère de l’air froid.
Sila étant blottie contre sa mère, la famille s’est endormie. Lorsqu’ils se sont réveillés, ils ont vécu un cauchemar. « Sila s’est réveillé au milieu de la nuit, sa mère l’a allaitée, puis elle s’est rendormie. Le matin, sa mère est venue la chercher pour l’allaiter à nouveau, mais elle l’a trouvée morte de froid », a raconté le père de Sila à Mondoweiss.
Berçant le corps froid de son nouveau-né, al-Fasih s’écrit : « Nous dormons sur le sable. La tente dans laquelle je vis n’est pas adaptée à la vie. L’eau coule sur nos têtes. Je ne peux rien offrir à mes enfants à cause de la guerre. Ils meurent de froid, de faim et de peur. Notre vie est tragique et la guerre nous a détruits. »
Quatre enfants meurent de froid en 72 heures
Sila n’est pas la première enfant à mourir de froid dans la bande de Gaza. Selon le ministère de la Santé, elle est la quatrième enfant à mourir de froid en 72 heures. A l’intérieur de l’hôpital, le Dr Ahmad Al-Farra, chef du service pédiatrique du complexe médical Nasser, allonge Sila sur le lit et explique la cause de son décès.
« Nous sommes aujourd’hui confrontés à l’une des tragédies de cette guerre injuste. Cette enfant innocente a deux semaines. Elle ne souffrait d’aucune maladie, elle était en bonne santé et sa naissance s’est faite naturellement. Mais à cause du froid intense dans les tentes, sa température corporelle a fortement chuté, ce qui a entraîné la défaillance des organes vitaux de cette enfant et sa mort ».
« C’est un exemple frappant des conséquences de cette guerre injuste sur la population de Gaza, en particulier sur les nourrissons qui ne supportent pas les basses températures. La guerre doit cesser et les familles doivent rentrer chez elles. Il est inacceptable que des enfants vivent dans des tentes… en plein air »
Depuis le début de l’offensive génocidaire d’Israël contre Gaza en octobre 2023, on estime que 1,9 million de Palestiniens ont été déplacés selon l’ONU, la grande majorité vivant dans le sud du pays dans des abris de fortune et des tentes. Selon certaines estimations, avant le début de la saison hivernale de cette année, environ 135 000 tentes étaient utilisées comme abris à Gaza.
Les bébés prématurés sont les plus vulnérables
Le Dr al-Farra a souligné les conditions difficiles auxquelles sont confrontés les enfants et les mères dans la bande de Gaza. Non seulement le corps des enfants est naturellement incapable de supporter l’exposition aux éléments, comme le froid extrême, mais les mères ont du mal à allaiter leurs enfants en raison de leur propre malnutrition, alors que le lait maternisé est peu disponible en raison du siège israélien.
Dans le service de pédiatrie du complexe médical Nasser, des dizaines d’enfants sont arrivés à l’hôpital avec des symptômes apparents d’hypothermie. Les couloirs sont remplis de mères affolées, qui ont appris que des enfants étaient morts de froid et qui craignent que leurs enfants ne soient les prochains.
La docteure Fidaa Al-Nadi, pédiatre au sein du complexe médical, explique que ces derniers jours, le nombre d’admissions à l’hôpital a considérablement augmenté en raison de l’hypothermie et d’autres symptômes liés au froid.
« Le froid entraîne des hospitalisations répétées pour cause d’hypothermie et, récemment, des décès sont arrivés à l’hôpital pour cause d’hypothermie… en raison du manque de couvertures, de chauffage ou d’électricité »
Elle a souligné que les bébés prématurés comptent parmi les plus vulnérables et que le taux de naissances prématurées a considérablement augmenté pendant la guerre en raison du stress et de l’absence d’une alimentation adéquate pour les mères.
« Il est devenu bleu à cause du froid »
Samar Abu Zeid, mère de trois enfants, est assise, son fils en bas âge sur les genoux. Son enfant, âgé d’un mois, est né prématurément et est resté dans la pouponnière de l’hôpital pendant deux semaines. Lorsque son bébé est sorti de l’hôpital, Elle est retournée avec son enfant dans la tente où elle vivait.
Trois jours plus tard, elle est revenue à l’hôpital, après que son bébé a commencé à montrer des signes d’hypothermie et d’infection thoracique. « Il ne supportait pas du tout le froid ».
« Il devenait bleu la nuit et j’étais terrifiée pour lui, sa voix s’étranglait à cause du froid et il tremblait violemment. Après l’avoir emmené à l’hôpital, les médecins ont dit qu’il n’allait pas mieux à cause du froid dans lequel il vivait. »
« Ce sont des conditions difficiles. Nous craignions que nos enfants meurent à cause des bombardements et de la faim. Maintenant, nous avons peur de nous réveiller et de trouver l’un d’entre eux gelé par le froid après qu’il soit mort dans son sommeil. »
Les températures glaciales touchent aussi les adultes
Le froid n’a pas fait de différence entre les jeunes et les personnes âgées dans les « villes-tentes » de Gaza. Vendredi matin, le Dr Ahmad Al-Zaharna, 28 ans, membre du personnel de l’hôpital européen dans le sud de Gaza, est décédé.
Son corps a été retrouvé dans sa tente dans le quartier de Mawasi à Khan Younis, mort de froid. « Après enquête, l’équipe de médecine légale a déclaré qu’il était mort de froid. Ce froid glacial et la vie sous les tentes sont difficiles, et personne ne peut les supporter », a déclaré le Dr Alaa Al-Zaharna, le frère d’Ahmad.
Le ministère de la santé a déclaré dans un communiqué de deuil : « Le Dr Ahmed Al-Zaharna, qui travaillait avec nos équipes à l’hôpital européen de Gaza, est décédé des suites du froid glacial dont souffrent les habitants de la bande de Gaza ». Al-Zaharna vivait dans une tente dans la zone de Mawasi depuis plus d’un an après avoir été déplacé de la ville de Gaza.
De retour au complexe médical Nasser, le Dr al-Farra s’est adressé aux peuples du « monde libre » avec un message : « Si cet événement s’était produit dans un endroit comme l’Ukraine, le monde aurait été bouleversé, mais cela se produit dans la bande de Gaza tous les jours, et personne ne fait rien », a-t-il déclaré.
Tareq S. Hajjaj
Auteur Palestinien et journaliste correspondant pour le média Mondoweiss
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