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Charte des imams : les difficultés posées par le texte

Le texte dit charte des principes, publié en intégralité sur Mizane.info, comporte dix articles qui encadreront la fonction des imams. Validé et présenté au président de la République, ce texte comporte certaines mentions problématiques qui pourraient poser des difficultés aux acteurs associatifs musulmans. L’analyse de la rédaction.

La charte des principes est un document de dix articles qui a fait l’objet de plusieurs négociations, tensions et compromis entre les responsables des neuf fédérations représentées à l’intérieur du Conseil français du culte musulman.

Présenté au président de la République, ce texte, qui a pour objectif de poser les fondements de la mission des acteurs associations de confession musulmane qui en seront les signataires, porte les marques de son élaboration historique et politique récente.

Un lecteur qui se pencherait sur ce texte dans 50 ou 100 ans sans avoir une explication détaillée des conditions de son élaboration et des objectifs qu’il poursuit n’en comprendrait certainement pas grand-chose.

Le fait est qu’en lisant une charte des principes encadrant l’action et la mission des acteurs associatifs musulmans et celle des imams puisque la charte établira le cadre du fonctionnement du Conseil national des imams, on s’attendrait à lire des règles orientant le travail des clercs musulmans et à leur permettre de faire face aux défis qu’ils affrontent dans leur quotidien.

Or, il ne s’agit pas de cela.

La République d’abord, le Coran ensuite

En lisant la charte des principes, on ne trouvera aucun élément directeur sur les valeurs ou les principes islamiques qui conduiront cette mission, étant entendu qu’il s’agit d’imams et de clercs religieux.

Ceci, malgré le fait que la charte mentionne des versets du Coran. Expliquons-nous.

En réalité, la référence à cinq versets du Coran dans cette charte n’est pas première mais seconde.

Le texte de la charte des principes hiérarchise les références : il y a d’abord les principes ou les valeurs républicaines et seulement ensuite dans un second temps peut-il y avoir des valeurs islamiques dérivées, et dérivées seulement, de ces principes républicains.

La référence coranique ou prophétique ne peut pas être fondatrice, elle ne peut être que médiatrice, instrumentale et cosmétique.

Ainsi, l’article 3 de la charte est commandé par l’énonciation suivante : « La liberté est garantie par le principe de laïcité qui permet à chaque citoyen de croire ou de ne pas croire, de pratiquer le culte de son choix et de changer de religion. »

Simple rappel de certains éléments présents dans la loi de 1905 qui, quoi que ne mentionnant pas la laïcité, établit la séparation des Eglises et de l’Etat et garantit la liberté de conscience.

Notons au passage qu’aucune précision n’est donnée sur la lecture précise de la laïcité faite par les auteurs du texte étant donné les lectures plurielles qui se sont développé en France, en dehors de l’article 8 très limité et assez peu ambitieux en la matière

L’apostasie n’existe plus

Mais c’est d’abord et avant tout au nom de cette règle de droit que « les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda), encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion. »

Si la seconde moitié de l’article est parfaitement justifiée à propos des appels à la violence, celle consistant précisément à interdire la simple mention de l’apostasie relève purement de la censure.

Rappelons que l’apostasie se définit comme la « renonciation publique à une confession, plus particulièrement abandon de la foi » (source : CNRTL).

Ce terme est en son sens premier purement descriptif. L’apostat (celui qui sort d’une religion) est l’antithèse du converti (celui qui y entre).

Condamner la simple qualification de ce terme est un excès de zèle manifeste et injustifié, et qui plus est néfaste à partir du moment où il provoquera une autocensure d’ordre psychologique qui entravera la liberté de parole sur les questions religieuses. Eliminer le terme n’éliminera pas le phénomène. Passons.

Dans cet article, ce n’est qu’à un troisième niveau que la référence au Coran est usitée pour, comme qui dirait, islamiser cosmétiquement un raisonnement qui ne repose pas fondamentalement sur lui, qui peut même parfaitement s’en passer dès lors que la hiérarchie axiologique de la charte s’est construite sur un autre choix référentiel.

Ce verset est le suivant : « Dieu a donné aux Hommes la Liberté de choisir leurs voies et leurs convictions à l’abri de toute contrainte : « Nulle contrainte dans la religion » (Coran, 2 : 256), et en a fait une expression de Sa volonté : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi donc de contraindre les gens à croire ? » (Coran, 10 : 99). »

Cette référence est pourtant importante, et même essentielle pour construire une théologie du choix.

Une telle théologie ne peut néanmoins être édifiée que par des théologiens et certainement pas par des acteurs politiques.

Le même schéma se poursuit article 4.

« L’islam de France s’inscrit pleinement dans le respect de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (NDLR : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits »). Les signataires s’engagent ainsi à faire respecter ce principe à travers l’ensemble de leurs activités cultuelles. Cette Égalité est également consacrée par le corpus islamique : « Certes, Nous avons rendu dignes tous les enfants d’Adam » (Coran, 17 : 70). L’égalité Femme-Homme est un principe fondamental également attesté par le texte coranique : les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle (voir Coran, 4 : 1). »

La morale islamique est-elle homophobe ?

On pourrait adopter une autre lecture et considérer que les auteurs de la charte tentent de proposer une approche convergente des sources, ce qui en soi est une très bonne chose ou en tous les cas n’est pas une mauvaise chose dès lors qu’elle n’est pas une convergence de façade, communicationnelle, etc.

Nous verrons plus loin en quoi elle peut difficilement l’être.

L’article 5 faisant mention d’une éthique religieuse condamnant toutes les formes de discriminations soulève, lui, une question.

« Nous rejetons toute discrimination fondée sur la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique, l’état de santé ou le handicap et appelons à ce que tout citoyen puisse être respecté pour ce qu’il est et pour ce qu’il croit. Toutes les formes de racisme, de discrimination et de haine de l’autre, notamment les actes antimusulmans, les actes antisémites, l’homophobie et la misogynie sont des délits pénalement condamnés. Ils sont également l’expression d’une déchéance de l’esprit et du cœur qu’aucune foi sincère ne saurait accepter. »

Cette question concerne le rapport spécifique de la morale religieuse à l’orientation sexuelle qui est l’expression en usage pour désigner le plus souvent, bien qu’elle ne s’y réduise pas, l’homosexualité.

La question est : comment les auteurs de la charte définissent-ils le terme d’homophobie mentionné dans la charte ?

Cette question n’est pas anodine et se distingue des autres formes de discrimination citées qui, à partir du moment où elles ne sont pas instrumentalisées pour désigner autre chose que leur objet, sont condamnables sans aucune ambiguïté.

La définition de l’homophobie est large et générale. Le Robert la définit comme la « crainte et (le) rejet des homosexuels et de l’homosexualité ».

Elle ne se réduit donc pas à la violence physique ou à l’injure contre les homosexuels, qu’il faut rejeter, mais implique la condamnation morale de l’homosexualité en tant qu’opinion.

Dans ces conditions, la position du CFCM heurte de plein fouet la morale religieuse de l’islam qui à l’instar de la morale juive, chrétienne ou bouddhiste, condamne la pratique de l’homosexualité comme étant contre-nature, déviante et illicite.

La morale religieuse rejette clairement et sans ambiguïté la pratique de l’homosexualité, ce qui n’est pas sans poser une redoutable question sur le sens de la formule qualifiant cette position de « déchéance de l’esprit et du cœur qu’aucune foi sincère ne saurait accepter » !

Le CFCM va-t-il interdire aux fidèles de poser des questions sur le statut de cette pratique et va-t-il interdire aux imams d’y répondre en relayant la position de l’islam sur cette question ?

Ou le CFCM va-t-il statuer par un avis juridique sur l’homosexualité en la rendant licite en cohérence avec l’article 5 de la charte, ce qui, au-delà du fait que cette institution ne dispose pas d’un collège de muftis ou d’autorités compétentes en la matière, impliquerait un débat et à tout le moins une argumentation et une contre-argumentation sérieuse sur la question ?

La polémique ne manquera pas de se manifester à un moment ou à un autre, imposant une clarification du CFCM.

La charte des principes, une commande politique

La charte des principes apparait au final comme un texte déséquilibré, ses auteurs n’ayant pas su se saisir de l’opportunité qui leur était offerte de définir une orientation théologique, éthique et intellectuelle claire pour les imams en France.

La condamnation du takfir, l’appel à une ouverture théologique des différentes écoles et à un débat apaisé entre elles, l’harmonisation de la religiosité avec la raison et le libre-arbitre, la nécessité de coupler le français à la langue du Coran, étaient de bonnes choses qui auraient mérité autre chose qu’une mention succincte.

Ce n’est pas le choix qu’ont fait ses auteurs. D’ailleurs, avaient-ils le choix ?

Le texte de la charte, comme il l’indique lui-même, n’avait pas pour vocation de fournir une orientation principielle d’inspiration islamique destinée à concilier une vie religieuse authentique avec une authentique citoyenneté.

Ce texte répondait à une autre commande, de nature politique.

C’est ce que dit clairement l’article 6.

« La présente « charte des « principes », a pour objectif, clairement énoncé, de lutter contre toute forme d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et/ou idéologique. Les signataires s’engagent donc à refuser de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation « islam politique ». Nous luttons avec détermination contre tout mouvement ou idéologie dont le projet détourne notre religion de son véritable objet et tente de créer des rapports de force et des fractures dans notre société. »

Cet objectif a été effectivement préalablement défini par le président de la République au cours de son discours des Mureaux et formalisé par la loi confortant les principes républicains ou loi contre le séparatisme, qui n’a pas encore été voté.

La même remarque peut aussi être faite sur l’islamophobie et ce qu’en dit le chapitre 9. Là-encore, cette exigence répond à une demande politique des autorités.

Le texte de la charte verbalise, selon une exigence à la fois implicite et explicite des autorités, la reconnaissance par les signataires de cette charte de la suprématie inconditionnelle de la République sur toute religion, toute croyance, toute divinité.

Cette suprématie n’est plus seulement temporelle mais s’aventure dorénavant sur le terrain du spirituel.

Une lecture raisonnable centré sur l’article 1 de la loi de 1905 pouvait laisser penser aux fidèles que la séparation annoncée entre l’Etat et les Eglises leur permettrait de conserver des libertés religieuses.

Il n’en sera rien. Désormais, l’Etat (et non la République, c’est-à-dire la chose publique et par extension les citoyens) dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur les religions, sur leurs doctrines et par incidence sur les croyances des fidèles.

Dans une démarche pas très éloignée du spinozisme, l’Etat peut s’ingérer et définir la norme, c’est-à-dire ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, au sein des canons religieux et au nom de cette suprématie républicaine et de la hiérarchie qu’elle impose.

Si les Textes religieux autorisent cette lecture, ce sera tant mieux car cela facilitera l’exercice de cette souveraineté.

Autrement, les responsables du culte auront la charge délicate de procéder à une modification et à une mise en règle des pratiques, des préceptes et des croyances religieuses conformément à la volonté du Souverain, et le souverain en exercice réel dans la cinquième République, c’est le chef de l’Etat (et non le peuple qui n’est qu’un faiseur de rois).

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