Retrouvez sur Mizane.info la seconde partie du texte de l’imam et essayiste sénégalais Ahmadou Makhtar Kanté consacrée à la Vierge Marie. Un texte inédit qui décrypte et analyse la fonction de la mère de Jésus à la lumière du Coran.
Le christianisme a par ailleurs négligé de s’intéresser de plus près aux parents de Marie. Cette erreur aux lourdes conséquences dans l’interprétation chrétienne de l’Histoire de l’Alliance et du Salut s’explique principalement par trois choses :
1-L’alignement sur le judaïsme relativement à l’attente d’un Messie, fils de David ;
2-La christologie est telle que le christianisme vient à Marie comme à Jean (paix sur eux) par Jésus (paix sur lui) dont la fonction « hypertrophiée » finit par « absorber » celle de ces deux personnes dans l’Histoire de l’Alliance et du Salut ;
3-La doctrine tardive de l’incarnation qui a fait croire que Marie est seulement la jeune fille qui a dit oui afin que Dieu envoie son fils se faire chair et humain dans ses entrailles.
Ces erreurs d’interprétation sont confirmées par les dires du théologien et ancien Pape, Benoît XVI :
« La filiation divine de Jésus ne repose pas, d’après la foi de l’Église, sur le fait que Jésus n’ait pas eu de père humain ; la doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas remise en cause si Jésus avait été issu d’un mariage normal. Car la filiation divine dont parle la foi n’est pas un fait biologique (…), elle se situe dans l’éternité de Dieu »1
Les propos de ces deux autres auteurs vont dans le même sens :
« Les premiers chrétiens ont découvert que Dieu s’est manifesté dans notre condition humaine en cet homme Jésus. Ce qu’ils ont découvert d’abord à partir de sa vie et de sa mort, ils l’ont exprimé ensuite aussi à partir de sa naissance et de son origine »2 .
A lire également : Comprendre la fonction de Marie dans l’Alliance Abrahamique à la lumière du Coran 1/2
« C’est parce que Jésus, fils de Marie, a été reconnu Fils de Dieu qu’on a parlé de la virginité de Marie. En nous replaçant ainsi dans le mystère du Père et du Fils, il me semble, Élodie, que nous pourrons nous dégager des débats stériles autour de la conception de Jésus. »3
Ces citations d’éminents érudits chrétiens illustrent bien ceci que le christianisme peine à comprendre le sens de la maternité virginale que Marie a connue. Il en fait juste le constat, mais croit et fait croire depuis des siècles que cela importe peu, et que seule la filiation divine de son fils Jésus doit être retenue.
L’expression si répétée par le Coran « Jésus, fils de Marie » n’a pas une signification particulière pour le christianisme ni de sens singulier dans l’Histoire de l’Alliance et du Salut. Pourtant, dès les premières lignes des récits de Luc et Jean, la mention d’une Marie qu’aucun homme n’a touchée précède ce qui est dit de la naissance de Jésus.
Or, les théologiens chrétiens n’en font pas un décryptage conséquent et nous disent que c’est après avoir pris connaissance de la nature divine de Jésus que la virginité de Marie a été mentionnée ! D’autres auteurs chrétiens ont à cœur de préciser que la maternité virginale chez Marie n’est pas une ou la preuve de la filiation divine de Jésus. Ce qui est vrai.
Mais ce n’est certainement pas par hasard que les récits des Évangiles s’accordent avec celui du Coran sur la maternité virginale que Marie a connue. Il y a là un signe à décrypter. En effet, il est impertinent de croire un seul instant que Dieu a juste voulu démontrer Sa Toute-puissance par le truchement de la maternité virginale que Marie a connue si l’on sait comment ce fait venant de Lui a bouleversé la vie de celle-ci et de son entourage, et au-delà, de toute la lignée de Jacob (paix sur lui).
Surtout que Dieu a déjà créé Adam sans père ni mère et en droite ligne de l’adage « qui peut le plus peut le moins », Il peut créer Jésus sans père et sans mère ! Si Jésus est créé sans père mais avec mère, cela veut dire qu’il y a quelque chose à décrypter du côté de ce qui se transmet de père en fils.
Aussi, il faut se poser la question de savoir pourquoi ce qui serait une « nouvelle » démonstration de la toute-puissance divine se manifesterait-t-elle dans la lignée d’Israël et pas ailleurs. Cet événement qui a mis Marie dans un tel état qu’elle a souhaité plutôt mourir que de donner naissance à un fils dans de telles conditions :
« Les douleurs de l’enfantement la poussèrent jusqu’au tronc du palmier-dattier. Elle dit : « Malheur à moi ! Que je fusse morte avant cet instant, et que je fusse totalement oubliée ! » (Coran 19 : 23).
Quand nous disons que cette maternité virginale dépasse Marie, le Coran en témoigne en rapportant les mots des dignitaires israélites qui la voient venir avec l’enfant Jésus (paix sur lui) dans un berceau :
« Puis elle vint auprès des siens en le (l’enfant Jésus) portant. Ils dirent : ‘Ô Marie, tu as fait une chose affreuse ! Ô sœur d’Aaron, ton père n’était point quelqu’un de mauvais ni ta mère une femme de mauvaises mœurs. » (Coran : 19 : 27-28).
Il en vient que c’est dans le cadre du plan de Dieu que Marie va connaître une maternité virginale unique dans la lignée d’Israël et dans l’humanité. Tout est fait pour que Marie ne soit pas la mère d’un fils du peuple d’Israël ni d’un autre peuple et pour que Jésus (paix sur lui) ne soit le fils que de sa mère.
Dieu a élu Marie comme les anges le lui ont annoncé et l’a préparée à une fonction unique dans l’Histoire de l’Alliance et du Salut. De son côté, Marie se met en toute confiance à Sa disposition, surtout qu’elle n’a pas pu oublier comment s’est manifestée Sa Toute-puissance à travers le don de la subsistance qu’elle recevait dans le temple au « Saint des Saints ».
Marie montre son étonnement mais jamais ne pose la question du pourquoi. Elle a un respect révérenciel des Paroles et Décisions de son Seigneur4. Au groupe d’anges venu lui annoncer la naissance d’une Parole venant de Dieu du nom de « Le Messie, Jésus fils de Marie », Marie répond par cette question-exclamation « Ô mon Seigneur ! Comment aurai-je un enfant alors qu’aucun homme ne m’a jamais touchée ? » (Coran 3 : 47).
Elle s’étonne de cette annonce insolite tout en restant sereine relativement à sa chasteté impeccable comme en atteste l’emploi de la particule « lam » (une particule qui implique une négation définitive), d’où le (jamais) que nous rajoutons là où la traduction la plus répandue se limite à dire « alors qu’aucun homme ne m’a touchée ».
Dans son échange avec l’ange Gabriel (paix sur lui) qui lui fait face à l’improviste et à l’abri des regards de son entourage, Marie adresse à Dieu par son nom sublime de « Rahmân » (le Miséricordieux), une prière de protection contre toute turpitude pouvant venir de cet ange à l’apparence d’un homme parfaitement constitué, beau et attirant. Puis, Marie rajoute une seconde preuve de sa parfaite chasteté : « Comment aurai-je un enfant alors qu’aucun homme ne m’a jamais touchée et que je n’ai jamais été une prostituée ? » (Coran 19 : 18-21)
Selon les commentateurs qui nous semblent être les plus convaincants à ce propos, Marie voudrait dire qu’aucun homme ne l’a jamais touchée ou connue ni dans les liens du mariage ni parce qu’elle se serait prostituée. Le Coran nous oblige à nous interroger sur la façon dont le plan de Dieu s’est déployé afin que la jeune Marie soit acceptée (une première dans la tradition cultuelle du peuple israélite) dans le Temple, et de surcroît au « Saint des Saints ».
De ce qui précède, il vient que tout ce processus est un plan de Dieu qui visait à « isoler » ou à mettre Marie à l’abri de tout contact humain avant que l’ange Gabriel (paix sur lui) ne lui fasse don, de la part de Son Maître, de ce garçon pur qui n’est autre que le Messie, Jésus fils de Marie (paix sur lui).
À cette étape de notre discussion, il faut noter que Marie échappe aux trois possibilités d’avoir un enfant :
1) mariage 2), prostitution (mœurs légères) et 3) commerce charnel imposé.
Pour le dernier cas de figure, Marie s’en protège par une invocation de protection qu’elle adresse à Dieu quand elle fait face à l’improviste et loin de son entourage à ce bel homme qu’elle ne sait pas être l’ange Jibrîl (Gabriel – paix sur lui) avant que ce dernier ne lui révèle son identité.
La maternité virginale que Marie a connue n’est pas une anecdote, ni un événement qui relève du superflu ou qu’on devrait s’interdire de décrypter sous prétexte de tomber dans de pures spéculations ou dans le domaine de l’humainement inconnaissable.
Marie qui collabore par sa foi et sa chasteté au plan de Dieu ne peut pas étant donné son ancrage dans sa temporalité propre, avoir le « recul » nécessaire pour connaître le sens de ce qui est en train de lui arriver et d’arriver au peuple d’Israël relativement à l’Histoire de l’Alliance et du Salut.
Par contre, l’étude de l’histoire du peuple d’Israël et de l’humanité ainsi qu’un décryptage minutieux et méthodique du Coran relativement à cette naissance miraculeuse de Jésus, fils de Marie (paix sur lui) permettent de donner un sens à cet événement unique dans l’Histoire de l’Alliance et du Salut.
La maternité virginale que Marie a connue nous conduit à admettre qu’il y a là un signe de quelque chose de grandiose à décrypter dans la lignée d’Israël qui passe par « Amram » de Palestine, père de Marie, mère de Jésus (paix sur lui) lointain descendant et homonyme de « Amram » d’Égypte, fils de Lévi, fils de Jacob (paix sur lui) qui a donné, par la grâce élective de Dieu, Moïse et Aaron (paix sur eux) à l’Alliance Abrahamique universelle.
On est fondé à soupçonner que ce qu’il est justifié d’appeler l’erreur d’interprétation de la théologie chrétienne relativement à la maternité virginale que Marie a connue est consacrée par la doctrine ou le dogme de l’incarnation qui sous-tend la croyance à la filiation divine de Jésus, fils de Marie (paix sur lui).
Cette doctrine somme toute assez tardive enseignée par l’Église opère en quelque sorte comme une chape de plomb qui empêche le christianisme de donner le sens qui sied au miracle qui s’est manifesté lorsque que la jeune Marie qu’aucun homme n’a jamais touchée donne naissance à un enfant sans père. Le « vide interprétatif » relativement à la maternité virginale que Marie a connue a fait le lit de la doctrine de l’incarnation.
Pourtant, à y réfléchir de près, on se rend compte de ce qui suit :
- Si Marie avait eu un commerce charnel avec un homme que ce soit dans les liens du mariage ou pas, et donnait naissance à un enfant, parler de miracle n’aurait pas de sens.
- Si Marie n’a jamais eu de commerce charnel avec un homme, d’expérience humaine, elle ne peut pas donner naissance à un enfant ;
Il en vient que le signe se trouve dans cet indissociable lien entre Marie et son fils Jésus ou Jésus et sa mère Marie (paix sur eux) comme l’indique le Coran « Jésus, fils de Marie ». La « combinaison » ou l’association qui fait miracle, c’est : « Marie, qu’aucun homme n’a touchée et mère d’un garçon ».
Comme déjà dit, le Coran règle définitivement la question de la filiation de Marie en mentionnant à travers ‘imrân, le nom coranisé de son père (Amram de la Bible), homonyme de « Amram » d’Égypte (il s’est écoulé environ 13 siècles entre les deux), son identité Lévite. Cela rend non avenue toute tentative d’en faire une fille de la tribu de Juda, celle à laquelle appartient le roi David comme le font certains évangiles apocryphes notamment le Protévangile de Jacques.
Aucun des quatre évangiles canoniques ne mentionne la généalogie de Marie. On ne peut pas ne pas soupçonner le christianisme de croire dur comme fer à une filiation Davidique de Marie dans le dessein d’être en phase avec la croyance du judaïsme selon laquelle le Messie devait appartenir à la maison de David. Cette option consiste donc à donner à Jésus, fils de Marie (paix sur lui) une filiation Davidique par sa mère, étant donné qu’il est né sans père.
En naissant fille alors que sa mère souhaitait un garçon, la jeune Marie (paix sur elle) est quand même installée5, chose unique dans la lignée d’Israël, au sein du Temple et de surcroît dans son lieu le plus saint. Toute la biographie coranique de Marie révèle un plan de Dieu à travers lequel celle-ci est mise à l’abri de toute intervention humaine jusqu’à l’enfantement du Messie, Jésus, fils de Marie (paix sur lui).
La fonction emblématique et unique de Marie a été d’enfanter le Messie, Jésus, fils de Marie (paix sur lui) lequel événement marque la fin de l’Alliance israélite du Sinaï et le couronnement de l’Alliance Abrahamique à travers l’avènement de « Ahmad » (le plus loué) qui représente la part d’Ismaël (paix sur lui) dans celle-ci.
A côté de cette fonction principale, Marie a donné au monde entier des leçons de foi, d’obéissance et de confiance en Dieu à commencer par sa réponse à Zacharie (paix sur lui) sur la provenance de sa nourriture jusqu’à ses questions aux anges et à l’ange sur le comment de sa maternité virginale : elle se soumet à Dieu, s’abandonne à Lui, accepte ce qu’Il veut sans vouloir savoir pourquoi Il le veut comme Il le veut.
Face à l’ange Jibrîl (paix sur lui) qui se présente à elle sous les traits d’un bel homme parfaitement constitué, Marie donne une leçon de chasteté indépassable à toutes les femmes du monde.
Ahmadou Makhtar Kanté
Notes :
1 Joseph Ratzinger, « Foi chrétienne hier et aujourd’hui », Mame, 1969.
2 « arras. catholique.fr », Dogme de la virginité de Marie.
3 « croire.la-croix .com » pourquoi le dogme de la virginité de Marie.
4 (Coran : 66 : 12) : ce verset infirme ce que disent certains auteurs chrétiens à savoir qu’une des différences significatives entre la Marie de l’Évangile et celle du Coran, c’est que la première dit « oui » alors que la seconde est passive !
Il nous parait plus correct dans le contexte qui est celui de ce verset, de comprendre le terme « kalimât » (paroles) dans le sens de commandements que Dieu lui envoie à travers les anges. Voir ce terme dans (Coran 2 : 124). Pour le terme « kutub », le contexte nous fait aussi pencher pour la traduction en Décisions ou Prescriptions en lieu et place de Livres.
5Ni les Evangiles, ni le Coran ne donne des indications précises sur ce qui a motivé les dignitaires israélites à accepter la jeune Marie dans le Temple. On sait que dans a tradition israélite le « Naziréat » qui consiste, par un vœu, à mettre son enfant au service du Temple ne valait que pour les garçons.