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Comprendre le sens de la notion de oumma

Quels sont les différents aspects et finalités de la notion de oumma ? Dans ce texte de The Maydan, traduit par Mizane.info, Mohammed Hashas expose les différentes étapes et significations d’un concept fondamental pour la compréhension de l’islam.

Le sens du terme « communauté » change à mesure que les sociétés humaines développent de nouveaux ordres sociaux et politiques. Cela est vrai pour n’importe quel terme : une partie reste liée à des significations passées, et une partie grandit en réponse à de nouveaux développements et à de nouveaux contextes. La langue est porteuse de la mémoire humaine, et la foi est une partie importante de cette mémoire, d’où les intersections entre la langue, la foi et le politique au sens large. Si le contexte n’est pas pris en compte, la foi reste immobile, tout comme la langue. Ils doivent tous être perpétuellement réinterprétés pour être remplis de nouvelles énergies et de nouvelles idées. 

Le célèbre hadith rapporté par les imams Bukhari et Muslim qui fait la distinction entre l’islam, l’imān et l’iḥsān est ici constructif et peut être utilisé pour réinterpréter le sens de la communauté (oumma) de l’Islam dans notre moment historique . Premièrement, le hadith assimile le sens fondamental de l’Islam à ses cinq piliers ou rituels : le shahāda ( témoignage de l’unicité de Dieu/Allah), les prières obligatoires, le jeûne du Ramadan, l’aumône obligatoire de la Zakat et le Hajj pèlerinage.

Deuxièmement, il définit les six piliers de la foi qui sont la croyance en : Dieu, ses anges, ses livres, ses messagers, le jour dernier (c’est-à-dire le jour du jugement) et le destin . Enfin, l’iḥsān , qui est souvent traduit par bienveillance ou excellence, est défini comme le service adoratif rendu à Dieu comme si nous pouvions le voir avec la conscience que Lui le peut. Al iḥsān est le point culminant de ces rituels de base qui nous guident dans ce monde physique, et des croyances fondamentales qui nous guident dans le monde métaphysique, à travers des actes qui partent du sujet pour servir la Création divine. 

Si l’Islam et l’Iman sont tournés vers l’intérieur et orientés vers l’individu et la société, l’Ihsan est entièrement tourné vers l’extérieur. Il dépasse les frontières du foyer et du quartier pour atteindre des espaces et des contextes plus vastes. L’ihsan amène la foi dans sa dimension universaliste, voire cosmique.

La oumma familiale

L’individu est la pierre angulaire de la foi. Mais l’individu isolé n’a pas d’importance ; pourquoi un individu qui se retrouverait seul sur une île aurait-il besoin d’éthique ou de lois ? Le foyer, cependant, est important, car c’est là que les valeurs sont mises à l’épreuve et que les désaccords doivent être gérés. La maison, c’est avant tout la famille et les amis. C’est avec eux que nous apprenons les bases de la vie, du langage et de la foi. L’Islam se développe d’abord à la maison. 

C’est l’épouse du Prophète, Khadija, qui a cru pour la première fois en Muhammad lorsqu’il lui raconta les premiers moments de révélation qu’il a vécus dans la grotte de Hira’. L’excellence éthique de Muhammad avant sa révélation à l’âge de quarante ans était déjà un témoignage de sa bonne moralité. Il était déjà respecté et connu sous le nom de « amīn » , le digne de confiance, avant même la révélation.

La oumma locale

Le Prophète a prêché en silence pendant dix années complètes au sein de sa tribu à La Mecque avant de s’exiler à Médine pour construire la première communauté (oumma) pluraliste et officielle de croyants. Bien qu’il soit intolérable pour une tribu de répudier l’un de ses membres, en raison du fort sentiment de parenté et d’honneur qui régnait en Arabie à cette époque, la plupart des membres de la tribu des Quraysh ont discrédité le Prophète, ont tenté de l’assassiner et ont torturé ses compagnons pour les empêcher de prêcher la nouvelle religion. 

C’est l’ imān ( la foi) qui a fourni au Prophète et à ses compagnons l’immense énergie nécessaire à la résistance et à la persévérance dans ces circonstances difficiles. Ils vivaient leur foi dans un contexte hostile et y faisaient face de manière non-violente, à travers un grand jihād intérieur, avant que le jihād extérieur de la résistance légitime ne soit autorisé (bien qu’avec une extrême prudence et des règles humanitaires strictes ).

La oumma cosmopolite

Bien que les musulmans soient devenus majoritaires à Médine, avec le Prophète comme chef de la ville et les enseignements islamiques guidant ses principales lois (mais pas seulement), l’esprit multiculturel de la ville est demeuré intact. Les clans juifs résidant dans la ville étaient considérés comme faisant partie de cette oumma ou « communauté de croyants » nouvellement composée. Ce droit à la coexistence a été étendu plus tard aux chrétiens en tant que peuple du Livre, ainsi qu’aux zoroastriens et aux hindous lorsque les musulmans dirigeaient respectivement la Perse et l’Inde.

Être reconnu comme une minorité religieuse par la communauté religieuse majoritaire était à l’époque un modèle proprement révolutionnaire de tolérance et de respect, qui renforçait généralement les communautés gouvernées par des musulmans. Pour que la foi puisse résister aux épreuves difficiles de l’histoire, elle avait besoin d’une communauté plus large. La foi avait d’abord besoin de croyants, de mosquées, d’églises ou de temples et d’œuvres caritatives pour prospérer au sein de la communauté, sinon elle ne pouvait pas se maintenir. 

La communauté non seulement maintenait des rituels religieux, mais s’engageait également dans les affaires publiques et construisait la société. L’éthos religieux n’est pas fait pour rester à l’intérieur ; il est enraciné dans des réflexions et une énergie intérieures, mais se développe ensuite vers l’extérieur pour partager l’énergie et la créativité qu’il nourrit dans tous les domaines de la vie. L’Islam a véritablement reconnu ce droit primordial aux autres religions et a établi un modèle de coexistence multiculturelle à l’époque médiévale.

La oumma universaliste

Les juristes musulmans classiques constituaient souvent une autorité indépendante des dirigeants politiques, ce qui leur donnait la liberté de suivre l’esprit éthique de la charia , basée sur le bien commun, et de répondre étroitement aux besoins du peuple tant que cela ne contredisait pas les principes éthiques de la nature humaine, al-fitra al-insā niyya , que défend la charia . 

Selon le célèbre penseur al-Ghazali (mort en 1111), les objectifs du Législateur divin, connus plus tard sous le nom d’ al-kulliy ā t al-khams (les cinq principales valeurs de la charia ), sont les suivants : la préservation de la religion, la vie, l’intellect, la filiation et la propriété. Depuis, les chercheurs ont développé ces cinq valeurs majeures, considérées comme universelles. 

Aujourd’hui, certains savants, lorsqu’ils font référence à ces valeurs, nomment d’abord la deuxième valeur (la vie), plutôt que la religion. Al-Ghazali, en tant qu’éminent philosophe et théologien, était certainement attentif à l’ordre qu’il présentait, et le fait de placer la religion avant la vie n’était pas de sa part une déformation littéraire. 

La religion est pour lui la source de la préservation de la vie et la protectrice de toutes les autres valeurs et de leurs dérivés. Sa compréhension de la religion était globale. En explorant ses connotations linguistiques, sa conception de la religion ( dī n ) se comprenait comme un « dayn » (dette), une dette existentielle ou un dépôt à protéger, à entretenir et à vivre. 

Autrement dit, dans cette perspective ghazalienne, la communauté peut subsister et s’épanouir lorsqu’elle possède un lien unificateur comme celui de la religion, qui donne un sens au soi, à la communauté et à l’humanité. Ces valeurs reflètent les fondements de la vision islamique du monde, et elles sont tout aussi importantes et pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à l’époque d’al-Ghazali.

La oumma aujourd’hui

Mais comment les interprétations mentionnées de la communauté peuvent-elles être viables dans notre monde pluraliste et numérique ? Le hadith sur l’islam, l’imān et l’iḥsān conserve ici toute son importance.  L’iḥsān, ou les actes de bienveillance et d’excellence, ne se limitent pas à la communauté familiale, ni à la communauté locale ou nationale du croyant . Cela ne s’arrête pas non plus aux frontières spirituelles de la communauté, c’est-à-dire uniquement aux croyants spirituels de foi musulmane. Il est facile de vivre en toute tranquillité parmi des croyants « semblables ». 

Le défi est de faire respecter cette norme éthique n’importe où, dans n’importe quel contexte socioculturel et politique. Lorsqu’un tel sentiment d’harmonie entre soi et son contexte peut être maintenu, malgré les différences et les difficultés humaines naturelles, on retourne alors à « l’Islam », puisque le but ultime de l’ iḥsān est la culture de l’ éthos islamique appliqué : l’éthique (Q. 99 : 7-8). 

En d’autres termes, lorsque le croyant passe d’une immersion dans le petit monde de sa personne et de sa maison à une communauté plus vaste et globale, immersion appuyée sur des manières et un comportement parfaits, comme l’enseigne le Coran et le Prophète, libre des idoles. et des obsessions, il atteint la véritable soumission à la Vérité. «Alors que la « plus petite » communauté musulmane constitue la base de la continuité de la tradition et de ses enseignements, la « plus grande » communauté des êtres humains est l’arène dans laquelle la foi de chacun et ses enseignements éthiques sont testés et mesuré. »

C’est cette « islamicité » universaliste qu’enseigne la foi islamique. Cela ne signifie pas que cet islam soit intemporel et sans espace. Le processus d’élévation de la foi prend du temps et nécessite une formation et une expérience, comme tout domaine ou discipline de travail. Ce processus du « devenir musulman » nécessite une communauté non seulement de croyants ou de musulmans mais aussi une communauté d’êtres humains. 

Toutes les créatures sont les créatures de Dieu, et le Coran s’adresse fréquemment aux Hommes en les appelant « Ô Peuple », et pas seulement « Ô Croyants ». Le Prophète Muhammad est considéré comme un Messager et une Miséricorde pour toute l’humanité (Q. 41 : 46). Défendant la diversité humaine et l’exigence de bonnes actions pour tous, le Coran dit : « Si Allah avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté [unie dans la religion], mais [Il avait l’intention] de vous éprouver dans ce qu’Il vous a donné ; alors accourez vers [tout ce qui est] bon » (Q 5 : 48). 

En termes simples, l’identité d’une personne en tant que membre vertueux de la communauté des croyants ou de sa foi n’est que la première étape pour connaître sa place dans le monde. Par la suite, le véritable test de sa foi et de ses idéaux consiste à contribuer à ce cosmos vaste et pluraliste. L’univers tout entier, et pas seulement le monde matériel que nous voyons, fait partie de la communauté spirituelle envisagée par le Coran et la tradition islamique.

Mohammed Hashas enseigne les études arabo-islamiques à l’Université Luiss Guido Carli de Rome. Il est également chercheur affilié au Leibniz-Zentrum Moderner Orient (ZMO) à Berlin. Ses domaines de recherche sont la pensée arabo-islamique moderne et contemporaine, la pensée islamique européenne et la pensée marocaine contemporaine.

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