Fatih Sarikir (au centre) avec Kemal Ergün (à sa droite) et Chems-Eddine Hafiz (à gauche) le recteur de la Grande mosquée de Paris, à l’assemblée générale de la CIMG, en 2019.
L’actuel président de la CIMG France Fatih Sarikir a contesté l’assemblée générale du 2 avril au cours de laquelle l’instance européenne (IGMG) de l’association a désigné un nouveau président. Mizane.info a voulu connaître les dessous politiques de cette décision. Le focus de la rédaction.
Fatih Sarikir a-t-il été victime d’un putsch ? C’est la question qui se pose depuis sa mise « officielle » à l’écart par l’IGMG, le 2 avril dernier au profit de Emir Demirbaş. A cette date, deux assemblées générales ont été organisées dont l’une visait à le remplacer à la tête de la CIMG France.
Deux assemblées jugées « irrégulières » par l’actuel président de la CIMG qui a refusé d’y participer en raison de leur non conformité aux statuts de l’association. « Je condamne fermement ces méthodes en violation des règles statutaires, des principes de fraternité et de démocratie qui sont pourtant des valeurs fondamentales au sein de notre mouvement depuis plus de 60 ans », défend-il dans un communiqué consulté par Mizane.info.
Pour Fatih Sarikir, il s’agit tout bonnement « d’une tentative de destitution » comme il l’a confié à notre rédaction qui le questionnait à ce propos. Une mesure qu’il regrette et qu’il estime injuste et contraire « aux principes de fraternité et de démocratie » de la CIMG.
La tutelle allemande de la CIMG France
Pour comprendre la logique du contentieux qui oppose Fatih Sarikir à l’actuel président de l’IGMG, Kemal Ergün, quelques informations s’imposent.
La CIMG est répartie en 40 régions européennes. La France compte six régions de l’organisation et tous les présidents de régions sont choisi par le président de l’IGMG, la maison mère allemande qui centralise toutes les décisions européennes de l’institution.
Le budget de la CIMG repose très largement sur les fonds des fidèles octroyés par le pèlerinage (hadj) et les frais d’obsèques. Collecté en France, l’argent est néanmoins géré par la trésorerie allemande, ce qui accentue le décalage structurel.
L’IGMG est depuis trois mandats présidée par Kemal Ergün. Ce dernier reste le maître du jeu soutenant et destituant les différents présidents régionaux de l’organisation.
Après avoir siégé dix ans comme secrétaire général, Fatih Sarikir a été désigné président de la CIMG France le 29 novembre 2020. Quatre personnes venus d’Allemagne lui avaient été alors imposées dans le bureau de la CIMG France, selon ses informations. Au cours des assemblées tenues en avril, le chiffre est passé à 5, accentuant la mainmise allemande sur la structure française.
Ce fonctionnement, Fatih Sarikir l’a critiqué en interne et a appelé à une réforme qui permette un meilleur fonctionnement de la CIMG. « Ce mode de gouvernance et ce mécanisme de prise de décision ne sont plus en phase avec notre société », explique-t-il sur Mizane.info.
Dans son dernier communiqué, 7 propositions, trois au niveau national et quatre au plan européen ont été présentées. Des réformes jugées nécessaires pour la viabilité à long terme de l’institution.
Les premières mesures veulent renforcer l’ancrage français local et régional des associations et membres décisionnaires. Au niveau européen, une réforme du mode d’élection du président appuyée sur une double chambre (instance de concertation et commission indépendante) veut rompre avec la pratique du renvoi d’ascenseur. Des présidents de régions jusqu’à présent désignés par le président de l’IGMG et ce dernier choisis par eux.
La CIMG France, entre contestation et attentisme
Un fonctionnement qui aurait déjà eu des conséquences sur la qualité de la prise de décision de l’institution. L’actuel président de la CIMG France considère que la gestion des événements de l’année dernière (désaccord sur la charte des principes de l’islam, mise en place du conseil national des imams, tensions avec le ministre de l’Intérieur) a été précipitée par le QG allemand.
Il considère également avoir servi de bouclier au cours de la traversée d’une zone de turbulence où il a été « menacé de mort par la fachosphère » (un dépôt de plainte a été fait, ndlr).
« Je ne suis pas en train de dire que la CIMG France n’a rien à voir avec l’IGMG » précise Fatih Sarikir qui bat en brèche tout esprit de sécession avec son organisation. Il plaide néanmoins pour une réforme de la CIMG sur le modèle fédéral qui lui permette à l’image de l’Union européenne de choisir ses représentant nationalement. « C’est une évolution naturelle avant d’être un désaccord sur la concentration des pouvoirs ».
Il assure ne pas défendre un fauteuil et souligne qu’à plusieurs reprises dans le passé, il a proposé sa démission à l’IGMG, ce qui a été refusé. Il rejette par contre le caractère « absurde » d’un fonctionnement qui dépend d’une direction située en Allemagne et ignorant tout des réalités de terrain de la France.
Selon M. Sarikir, la plupart des membres de la CIMG France lui donneraient raison sur le fond. Mais pour le moment, la discipline et la retenue font toujours office de règle dans une institution qui a plus de 50 ans d’âge. L’attentisme prédomine concède l’actuel président en exercice. « En attendant que la situation se décante » ajoute le responsable associatif qui garde toutefois encore la porte ouverte vers une résolution interne du conflit.
Contacté par notre rédaction, le président de l’IGM Kemal Ergün n’a pas encore réagi à ces propos.
L’arbitrage des cadres de la CIMG France
Une double procédure judiciaire est en cours. M. Sarikir annonce avoir fait acté par huissier l’ensemble des irrégularités formelles de ces deux assemblées. Parmi elles, la participation de personnes non membres de la CIMG, ou la non-conformité des conditions de la convocation relativement aux statuts prévus.
La première procédure judiciaire a été lancée pour l’UECM, (Union européenne pour la construction et le soutien des mosquées) la fondation gestionnaire du patrimoine immobilier de la CIMG France. Une audience se tiendra vendredi 13 mai.
Concernant la CIMG, M. Sarikir espère encore convaincre en interne en se réservant néanmoins le droit de lancer des poursuites s’il n’obtient pas gain de cause.
La bataille risque d’être difficile. D’après nos sources, Kemal Ergün jouit d’une stature historique et d’une autorité certaine au sein du Milli Görüs. Il serait le dernier candidat à avoir été désigné par Necmettin Erbakan, le fondateur du mouvement, décédé depuis.
Mais le bon sens des réformes et la légalité semblent du côté de Fatih Sarikir. L’arbitrage de cette bataille sera donc à chercher du côté des cadres et responsables régionaux de la CIMG France. Avec comme enjeu principal l’autonomie réelle de la CIMG France sur un modèle fédéral ou le maintien d’une tutelle complète au profit de l’IGMG.
Affaire à suivre…