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Conseil national des imams : que faut-il en penser ?

Mercredi 18 novembre, le président Macron réunissait les membres du CFCM pour parler de la mise en place d’un conseil national des imams. De quoi est-il question ? Retour sur les faits.

« A la demande d’Emmanuel Macron, qui les a reçus, ce mercredi, les dirigeants du Conseil français du culte musulman (CFCM) ont présenté les grandes lignes d’un conseil national des imams. Cette nouvelle instance sera chargée de labelliser les imams sur le territoire, et détiendra la possibilité de retirer à ces derniers leur agrément en cas de manquement à la charte et à un code d’éthique qu’elle devra élaborer. Le CFCM et les neuf fédérations qui le composent devront également présenter, d’ici une quinzaine de jours une « charte des valeurs républicaines » sur laquelle ils s’engageront pouvait-on lire sur Public Sénat et plus largement dans la presse française.

L’information a été confirmée dans les grandes lignes par le Conseil Français du Culte musulman.

Le CFCM précise que « la création du Conseil National des Imams » a été « décidée à l’unanimité par les composantes de l’instance représentative du culte musulman » (CCMTF, CIMG, FFAIACA, Foi et Pratique, GMP, AISD-Réunion, MF, RMF, UMF) dans un communiqué.

Une méthode autoritaire

Le CFCM a aussi détaillé ce que sera la fonction du CNI. « Le CNI met en place une procédure d’agrément des imams au niveau national en fonction de leurs connaissances religieuses, compétences pédagogiques et leurs qualités humaines. »

Ses missions seront de :

– Proposer des formations aux imams agréés.

– Assister les imams agréés dans le cadre de la prévention de la radicalisation.

– Élaborer des recommandations pour harmoniser les pratiques cultuelles sur l’ensemble du territoire national.

– Favoriser la cohésion sociale et le respect du pluralisme.

-Délivrer des agréments pour les femmes en charge de l’enseignement religieux dans les lieux de culte musulman.

Un premier mot tout d’abord sur la méthode : le président de la République, assisté par le ministre de l’intérieur, a fait clairement le choix du passage en force dans ce dossier.

« Nous allons nous-mêmes former nos imams et nos psalmodieurs », avait déjà déclaré Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux.

« C’est une pression immense que nous allons exercer sur eux (les membres du CFCM, ndlr) », a-t-il poursuivi, avec cette mise en garde : « Si certains ne signent pas cette charte, nous en tirerons les conséquences », cité par LCI.

On se souvient aussi des mots inquiétants du ministre de l’Intérieur qui justifiait certaines fermetures de mosquées, de débits de boissons ou de salles de sports par le fait d’envoyer un message. Donc une méthode faite de tentation autoritaire, de passage en force et de pression.

Une violation du cadre laïque

Un mot maintenant sur les principes : la mise en place de ce Conseil national des imams, les conditions dans lesquelles ce projet a émergé et les orientations concrètes qui lui sont fortement suggérées nous font clairement sortir, il faut le dire, du cadre laïque.

Tout comme l’avait été la création du CFCM en 2003, déjà décidée à l’initiative du ministère de l’Intérieur, et de ce point de vue-là nous avons une cohérence politique dans la gestion du dossier islam avec la même méthode et les mêmes acteurs au service du même objectif : favoriser l’émergence d’un islam d’état français, un islam des Lumières selon l’expression consacrée.

Nous rappelons tout de même que la laïcité est un principe de séparation des Eglises et de l’Etat.

C’est d’ailleurs le titre officiel de la loi du 9 décembre 1905.

Convoquer des ministres du culte et des présidents de fédérations musulmanes pour exiger d’eux la mise en place d’une instance de contrôle selon une feuille de route définie par le gouvernement est une violation fondamentale de la laïcité.

Sauf qu’en réalité, la laïcité a plusieurs dimensions. Il existe une dimension juridique, philosophique, idéologique et politique (institutions politiques) de la laïcité.

La dimension juridique fait référence à la séparation institutionnelle des ordres politique et religieux, la garantie de la liberté de conscience et du culte, la neutralité religieuse de l’Etat.

La dimension philosophique de la laïcité concerne le concept, l’idée laïque, c’est-à-dire cette idée que la cohésion et la coexistence pacifique des religions dans la société implique un Etat séculier, neutre sur le plan doxastique, et la mise en œuvre d’une culture de la tolérance et du pluralisme des croyances.

La dimension idéologique de la laïcité fait référence, elle, à ce qu’on appelle le laïcisme.

Le laïcisme est un courant idéologique qui considère que la laïcité doit combattre les religions, les repousser intégralement dans la sphère du privé.

Le laïcisme prône par exemple l’extension du régime de neutralité religieuse à l’ensemble des citoyens.

Le laïcisme défend une laïcité non pas de neutralité mais de neutralisation du religieux.

Des mesures exceptionnelles ?

La dimension politique de la laïcité concerne enfin la modalité institutionnelle et pratique de sa gestion par les pouvoirs publics.

On voit bien que dans cette discussion la laïcité philosophique consacré par la laïcité juridique entre en conflit avec la laïcité idéologique parfois mise en œuvre par le politique.

Il est fréquent d’entendre deux arguments pour justifier cette rupture laïque presque assumée dans la gestion de l’islam.

Premier argument : le contexte des attentats en France rendrait nécessaire une reprise en main politique de l’institutionnalisation de l’islam en France.

Oui, la France est victime et a été victime de plusieurs attentats commis par des groupes ou des individus se réclamant d’une idéologie religieuse extrémiste incarnée par exemple par la violence de Daesh, une violence sans cesse condamnée par les musulmans et dont ils sont les victimes au même titre que tous les Français. Ceci est incontestable.

Ce qui l’est moins par contre c’est de laisser entendre que ce terrorisme serait un produit des lieux de culte musulman en France ou de discours d’imams tenus dans des mosquées qui justifieraient une mise sous tutelle du culte musulman.

Rappelons qu’il y a autour de 2500 lieux de culte musulmans en France, qu’ils sont étroitement surveillés depuis plusieurs décennies, surveillance en collaboration avec des états étrangers, comme quoi la gestion étrangère de l’islam a aussi ses avantages pour le gouvernement, et qu’aucun imam en fonction ou aucune mosquée n’ont appelé à soutenir le terrorisme.

Et si un imam se rendait coupable d’appel à la violence, il existe déjà, rappelons-le, des lois dans le code pénal pour sanctionner les individus déviants et nous en protéger.

Deuxième argument : l’anarchie institutionnelle de l’islam national imposerait cette reprise en main par l’exécutif, le président, le ministre de l’Intérieur, etc.

Cet argument, interne, pourrait être recevable si on entendait par là un accompagnement distancié de l’Etat, soucieux du respect de la laïcité, ouvert au pluralisme intracommunautaire de l’islam français, un accompagnement sans ingérence et qui ferait office d’hôte laïc des organisations musulmanes.

Hélas, toutes ces conditions visiblement ne sont pas réunies, ni dans le fond, ni dans la forme.

L’échec programmé d’une instance

Un mot à présent à propos de la charte des valeurs républicaines,

« Cette charte des valeurs républicaines devra affirmer la reconnaissance des valeurs de la République, préciser que l’islam en France est une religion et pas un mouvement politique, et stipuler la fin de l’ingérence ou de l’affiliation à des États étrangers. » apprend-on sur LCI.

Trois objectifs, trois nouveaux problèmes.

Premier objectif : la reconnaissance des valeurs de la République. Une sorte de témoignage, de profession de foi, une shahada républicaine, déjà réalisée à l’époque de Jean-Pierre Chevènement, pour ceux qui s’en souviennent. Apparemment ce n’était pas suffisant.

Mais le problème est le suivant : si la laïcité elle-même n’est pas respectée par l’exécutif dans la gestion de ce dossier, on voit mal comment le cadre de ces valeurs républicaines serait lui-même respecté.

Deuxième objectif : « préciser que l’islam en France est une religion et pas un mouvement politique ».

On connaît la détermination de l’actuel gouvernement à lutter contre l’islamisme.

Sauf que là encore on apprend qu’un tiers des fédérations du CFCM, donc 3 sur 9, n’auraient pas, selon l’Elysée, « une vision républicaine », c’est-à-dire dans le langage politique du gouvernement, seraient soupçonnées d’islamisme.

On voit mal comment une institution dont le tiers de la composition est soupçonnée d’islamisme, à tort ou à raison le débat n’est pas là, pourrait garantir cette condition.

Sauf à lui préférer un islamisme républicain. La formule pourra sembler provocante ou déconcertante mais pas tant que cela si l’on s’y penche de plus près.

L’islamisme ou islam politique désignant toute action ou initiative portée par des acteurs religieux au service d’un but politique précis, un conseil d’imams engagés religieusement au service d’une ligne politique d’état, fusse-t-elle républicaine (pourrait-elle l’être encore si elle n’est plus laïque ?) participerait incontestablement de cet islamisme républicain.

Dernier objectif : mettre un terme à la tutelle de l’islam en France vis à vis des pays étrangers.

Une nouvelle fois, comment mettre un terme à cette tutelle lorsque près de la moitié des fédérations musulmanes du CFCM sont liées de près ou de loin à des pays étrangers.

Que ce soit un lien financier, institutionnel ou l’exercice d’une influence politique.

Doit-on également rappeler que cette ingérence a été co-organisée par les précédents ministères de l’intérieur et que certaines initiatives nationales actuelles, comme la Plateforme des musulmans, ou d’autres sont souvent critiquées en raison précisément de leur autonomie politique vis-à-vis d’une telle gestion.

Conclusion : toutes ces contradictions internes et externes font que ce projet de Conseil national des imams semble plutôt mal parti.

Fouad Bahri

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