« Comme le jeûneur qui doit contrôler sa tentation, peut-être pourrions-nous tous bénéficier de la maîtrise de notre appétit insatiable d’acquérir toujours plus ». Pour Nadeine Asbali – rédactrice pour The Guardian – les principes spirituels et sociaux qu’incarne le Ramadan doit être une source d’inspiration pour l’ensemble de la société avide d’un consumérisme sans limite.
Le Ramadan est là, et les musulmans du monde entier entament un camp d’entraînement spirituel d’un mois : des journées passées à s’abstenir de nourriture et de boisson, et des nuits passées à prier et à méditer. Les mosquées débordent subitement de vie.
Elles ouvrent leurs portes aux jeunes et aux vieux, aux visages familiers et aux nouveaux qui se tiennent côte à côte, récitant les mêmes mots que plus d’un milliard d’autres personnes à travers le monde. Alors que le Ramadan est célébré dans un pays plus divisé que jamais, les musulmans ne sont pas les seuls à avoir besoin de l’esprit bénéfique qui entoure ce mois.
On croit souvent à tort que le Ramadan est une question de nourriture. En réalité, il s’agit d’affamer le corps pour nourrir l’âme. En privant temporairement notre corps de ce dont il a besoin, nous créons un espace pour que la spiritualité, l’introspection, la générosité et la discipline s’épanouissent à sa place. Sans doute pourrions-nous tous faire davantage à notre époque où l’individualisme est prédominant.
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Partager l’esprit du Ramadan
Nous vivons à une époque individualiste où le « je » passe avant le « nous ». La pandémie du Covid-19 nous avait donné un bref répit, alors que nous applaudissions à nos fenêtres et discutions avec des gens que nous avions jusque-là ignorés. Mais cela ne fut qu’une parenthèse. Nous avons vite recommencé à éviter le contact visuel dans la rue et à croiser les sans-abris comme s’ils étaient invisibles.
Le Ramadan incite les musulmans à resserrer les liens sociaux. Nous partageons la nourriture avec nos voisins et faisons la charité selon nos moyens : que ce soit par un sourire à un inconnu ou par une aumône pour ceux qui sont dans le besoin.
Alors que la crise du coût de la vie est si extrême que beaucoup de gens doivent refuser des produits des banques alimentaires parce qu’ils n’ont pas les moyens de les cuisiner, imaginez donc si l’esprit qu’incarne le Ramadan était une norme sociale : donner discrètement et si généreusement que, comme l’a dit le prophète Muhammad ﷺ, même votre main gauche ne sait pas ce que votre main droite a dépensé.
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Imaginez qu’une famille contrainte de choisir entre se chauffer et manger ouvre sa porte et trouve sur le pas de sa porte un plateau de nourriture fait maison, livré par un voisin anonyme. Lorsque la pauvreté est infligée par l’État, fabriquée par des coupes budgétaires et des décisions politiques, il nous incombe de participer à des changements.
Une époque de consommation de masse
Un célèbre hadith nous rappelle que personne ne peut se dire musulman si son propre estomac est plein alors que son voisin a faim. Et si nous vivions tous selon ce ressenti ? La répartition des richesses est fondamentale dans la conception musulmane de la justice sociale. Au-delà d’un certain seuil, nous sommes obligés de faire don de 2,5 % de notre patrimoine à des œuvres caritatives.
Pouvez-vous imaginer le potentiel de changement si les milliardaires du monde entier faisaient don de 1 % de leur patrimoine chaque année ? Pendant le ramadan, la plupart des musulmans se concentrent sur la prière et la lecture du Coran. Beaucoup se rassemblent dans les mosquées pour le tarawih (prières de nuit durant le Ramadan) et récitent le Coran jusqu’au petit matin.
Lire sur le sujet : Le Ramadan 2025 est à nos portes : des bienfaits pour le corps et l’esprit
Dans notre société, la prière a été remplacée par un dérivé plus à la mode, la « revendication » : essentiellement la prière sans Dieu. Alors que la prière consiste à se soumettre à une puissance supérieure et à s’efforcer de s’améliorer, la revendication consiste à exprimer ce que l’on désire immédiatement dans la réalité. Mais à notre époque de consommation de masse, tout doit-il être axé sur ce que l’on désire ?
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Maitriser notre appétit insatiable
La poursuite effrénée de choses dénuées de sens détruit notre planète, fracture nos sociétés, remplit les poches des plus riches et asservit les démunis. Une petite minorité consomme tellement qu’il n’y en a pas assez pour le plus grand nombre. Comme le jeûneur qui doit contrôler sa tentation, peut-être pourrions-nous tous bénéficier de la maîtrise de notre appétit insatiable d’acquérir toujours plus. Lorsque notre corps est privé de nourriture, notre réelle nature se révèle.
Notre colère, notre jalousie et notre cupidité sont mises à nu, et nous sommes obligés de les affronter et de les surmonter. Le discours populaire sur le « soin de soi » affirme que nous n’avons pas besoin de changer nous-mêmes, que si les autres n’approuvent pas cet état de fait, nous les « écartons » pour notre propre satisfaction. Mais aucun d’entre nous n’est parfait : commettre des erreurs et s’améliorer sont ce qui fait de nous des êtres humains.
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Devenir meilleur
Lorsque tout tourne autour de nous-mêmes, nous cessons de prendre nos responsabilités et de nous efforcer de devenir meilleurs. Le Ramadan nous rappelle à tous que l’introspection est vitale et saine. Moins de « qu’est-ce que je désire ? » et plus de « comment puis-je devenir meilleur ? ».
En incarnant les principes fondamentaux du Ramadan, nous sommes obligés d’examiner la possibilité d’obtenir un changement personnel et collectif. Dans nos pays de plus en plus hostiles, polarisés et injustes, nous en avons plus que jamais besoin.
Nadeine Asbali
Professeur des écoles à Londres