Selon une information révélée hier matin par le site de la VRT, l’imam marocain Mohamed Toujgani a reçu un ordre de quitter le territoire belge le 5 octobre dernier. Sammy Mahdi, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration en Belgique, a confirmé cette décision. Celle-ci a été jugée sans fondement par une partie de la communauté musulmane belge. Le focus de la rédaction.
En Belgique depuis 1982, l’imam Mohamed Toujgani prêchait dans la mosquée Al-Khalil à Molenbeek, gérée par la Ligue d’entraide islamique, plus grande institution musulmane de Belgique.
Un article publié par RTBF, le site de la Radio Télévision Belge Francophone, présentait l’imam comme « un danger pour la sécurité nationale« , selon un rapport de la Sûreté de l’Etat transmis à Sammy Mahdi, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration en Belgique.
« Oui, il y a un ordre de quitter le territoire et une interdiction de revenir sur le territoire belge pendant 10 ans. Je pense que c’est important de garantir qu’on vit dans un monde où on est en sécurité et où les influences extérieures sont minimalisées« , a déclaré le secrétaire d’Etat. Selon M. Mahdi, « les services de sécurité estiment que cet homme doit être considéré comme un danger actuel, réel et sérieux pour la sécurité nationale. On parle ici d’extrémisme et d’ingérence« .
Quels sont les fondements derrière cette décision ?
La principale raison évoquée dans l’article publié par RTBF remonte à des propos tenus par l’imam en 2009.
Dans une vidéo ressortie en 2019, on l’entend dire : « Seigneur, Maître des Mondes, déverse la frayeur dans le cœur des sionistes oppresseurs. […] Seigneur, fais que le sang des martyrs soit une arme sous les pieds des sionistes oppresseurs, et que ce sang soit un feu ardent qui les brûle et un vent qui les fustige. […] Ô Seigneur, démolis-les« .
Le secrétaire d’Etat a estimé qu’il s’agissait là d’ “une incitation à brûler les juifs.”
Georges-Henri Beauthier, l’avocat de Mohamed Toujgani, précise que celui-ci « réfute d’ailleurs avoir utilisé cette phrase qui appelle à brûler les Juifs« .
L’imam avait déjà présenté ses excuses et expliqué qu’à ce moment-là, il exprimait son soutien à Gaza qui se trouvait en situation critique face aux bombardements d’Israël.
L’hypothèse de l’ingérence marocaine sur le culte musulman belge
Une autre piste d’explication a été avancée pour justifier cette décision. En décembre 2020, le ministre de la justice Vincent Van Quickenborne avait refusé la reconnaissance de la grande mosquée de Bruxelles en raison de doutes sur une possible ingérence des services secrets marocains évoquée par la la Sûreté de l’Etat.
« Selon des sources bien informées au sein des services de renseignements, cette décision de retirer le permis de séjour de Mohamed Toujgani serait un signal donné par notre pays aux autorités marocaines. Une façon de mettre un coup d’arrêt à l’ingérence de leurs services secrets sur le culte musulman en Belgique » précise la RTBF.
L’avocat de Monsieur Toujgani se dit “révolté par cet ordre de quitter le territoire”. L’homme a appuyé sa position par un jugement du 1er octobre dernier présentant “Vingt-six pages dans lesquelles le tribunal estime que rien ne s’oppose à ce que son client soit reconnu comme Belge et que celui-ci ne poserait pas de danger pour la société“.
La bourgmestre de Molenbeek, Catherine Moureaux, espère pour sa part que “ Monsieur Mahdi dispose réellement d’un élément nouveau important pour expliquer la prise de cette décision.”
De son côté, l’Exécutif des Musulmans de Belgique ( EMB ), dans un communiqué datant du 13 janvier, a estimé que “ le retrait d’un titre de séjour de qui que ce soit est une affaire strictement privée sur laquelle notre institution n’a aucun commentaire à apporter”.
Le soutien d’Abdelmonaïm Boussena
Malgré cette distanciation de l’EMB, l’imam a reçu un soutien considérable en Belgique.
Le conseiller communal de Molenbeek, Ahmed El Khanouss, soutient l’imam et précise que celui-ci « a participé à de très nombreuses activités avec des catholiques et avec le grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui« .
Dans un communiqué de presse de la Ligue d’Entraide Islamique ce jeudi 13 janvier 2022, il est également précisé que Monsieur Toujgani « a été à maintes reprises sollicité par les pouvoirs publics en tant que représentant de la communauté des fidèles pour prendre la parole afin d’apaiser les tensions qui pouvaient surgir suite à des évènements internationaux, prouvant ainsi sa légitimité au sein de la commune qui abritait la mosquée dans laquelle il officiait en tant qu’imam« .
De plus, la LEI rappelle que l’imam ne prêche plus à la mosquée depuis un an déjà.
Même soutien pour la Ligue des musulmans de Belgique dans un communiqué.
Cette affaire a eu des retentissements jusqu’en France. Sur sa page Facebook, l’imam Abdelmonaïm Boussena, suivi par 809 000 abonnés, a pris la défense de M. Toujgani.
« Cet imam a toujours été très équilibré dans ses prises de position. Des milliers de personnes peuvent en témoigner (…) C’est une mode d’affubler n’importe qui de « radical » pour le discréditer en fait ? (…) Sammy Mahdi, s’enorgueillit d’avoir pris cette décision. Comme s’il avait quelque chose à prouver. Je crois que ce politicien a oublié que la Belgique était un pays de droit, qui ne laisse pas de place à l’arbitraire. J’espère que les avocats de l’imam Toujgani, ainsi que ceux des associations qui attaqueront cette « décision » lui rappelleront cette réalité. Il ne faut pas laisser passer cette avanie« , a-t-il écrit dans une publication postée le 13 janvier.