Jusqu’où ira le désamour entre la France et le Maroc ? Des hésitations de Paris pour la reconnaissance du Sahara occidental à la couverture médiatique sur le terrible séisme au Maroc en passant par l’affaire Pegasus où encore la crise des restrictions de visa, les tensions entre les deux pays n’en finissent plus. Retour sur les origines des frictions entre Rabah et Paris.
Après la vague antifrançaise en Afrique de l’Ouest, le Maroc sera t-il le prochain état à tourner définitivement le dos à la France ? Les récentes postures entre les deux états ne sont assurément pas de nature à apaiser les esprits.
Que s’est-il donc passé entre les deux pays pour que le média marocain 360 consacre sa une, du 21 septembre, à des attaques personnelles contre Emmanuel Macron sous la forme d’un titre satirique « Un peu homme, un peu femme, il n’assume rien : qui est vraiment Emmanuel Macron ? ».
Les multiples conflits diplomatiques entre les deux états ne cessent de se multiplier depuis 2014. Le dernier en date concernant la couverture médiatique française sur le séisme au Maroc, survenu en septembre, n’a fait qu’envenimer une situation déjà tendu.
Une condescendance paternaliste et postcoloniale
Le séisme qui a frappé le Haut Atlas, le 8 septembre, aurait dû, en toute logique, solidifier les liens. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. Le choix « souverain » de n’avoir retenu l’offre d’assistance que de quatre Etats – Espagne, Royaume-Uni, Qatar et Emirats arabes unis – en ignorant la France, a frustré.
« Le Maroc peut-il s’en sortir sans l’assistance de la France ? » titrait une certaine presse parisienne. Une condescendance paternaliste qui a assurément choqué de l’autre côté de la méditerranée.
La presse marocaine ne s’est pas privée d’exploiter ces accents paternalistes pour disqualifier l’ensemble de la presse française, décrite comme un bloc hostile parce qu’elle s’interrogeait sur les retards des secours ou sur la réaction de Mohammed VI. La prise de parole du président Emmanuel Macron, sur le sujet, n’a fait qu’envenimer la querelle.
Son message vidéo maladroit, s’adressant « directement aux Marocains et aux Marocaines » , a été perçu comme une violation des usages protocolaires, « défiant le roi ». Un couac qui a définitivement irrité le royaume du Maroc.
Un long hiver diplomatique
La crise est profonde. Le Maroc n’a plus d’ambassadeur à Paris depuis le 19 janvier. Une date correspondant à une résolution, du Parlement européen, critiquant les atteintes à la liberté de la presse au Maroc. L’organe marocain Hespress constate :
« Le fossé qui sépare les autorités françaises et marocaines se creuse et s’approfondit à vue d’œil. (…) Les deux pays vont devoir gérer un long hiver dans leurs relations. »
Le texte est porté par le groupe Renew qui est présidé par Stéphane Séjourné, proche d’Emmanuel Macron. Il n’en faut pas plus pour que la France soit désignée comme responsable.
Autre source de friction : la position de la France quant à la marocanité du Sahara occidental. L’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, avait reconnu, en décembre 2020? la souveraineté marocaine sur ce territoire en échange de la normalisation diplomatique du royaume avec Tel Aviv.
Paris avait préféré rester prudent sur ce sujet afin d’éviter de se mettre en porte à faux avec l’Algérie. Une hésitation qui avait hérissé le Maroc. Ali Bouabid, figure historique de la gauche marocaine, souligne cette fébrilité :
« Là où, pour le Maroc, le Sahara occidental est l’affaire d’un peuple et de son roi, en Algérie, il n’est qu’un enjeu d’équilibre entre les clans au pouvoir. Il est temps que la France se prononce sans se sentir obligée de ménager l’Algérie. »
La crise migratoire : une source perpétuelle de conflit
En septembre 2021, le gouvernement français annonce une réduction drastique de l’octroi des visas aux ressortissants des pays du Maghreb. Une mesure de représailles présentée comme une réponse à la mauvaise volonté de ces Etats de récupérer leurs migrants en situation irrégulière sur le sol hexagonale.
Cette décision sera vécue au Maroc comme une véritable « humiliation ». La crise des restrictions de visa débute et va durer plus d’un an. Paris admettra une maladresse et le dispositif restrictif dans les trois pays du Maghreb ne sera levé qu’en décembre 2022.
L’affaire ne sera toutefois pas oublié, on parlera même d’une « mesure vexatoire ». Cet énième couac s’accompagne d’un malentendu permanent autour de la figure et des activités du roi Mohammed VI sujet redondant de la presse française. Taoufiq Boudchiche, économiste et diplomate, analyse cette incompréhension :
« Il y a une incompréhension en France autour des liens entre les Marocains et le roi. La monarchie est une institution perçue ici comme un recours, une entité qui sécurise. Offenser le roi, c’est offenser tous les Marocains. »
Le statut sacré du roi « commandeur des croyants » inspire au Maroc une sensibilité bien différente qu’en France où on ne voit aucun inconvénient à critiquer ses activités dans la presse. Un autre symptôme du fossé psychologique et émotionnel entre les deux pays.
Une rupture définitive est-elle envisageable ?
Du côté de l’Elysée, on a reproché surtout au Maroc son déni dans le scandale de l’affaire du logiciel Pegasus., Pegasus est le nom de ce logiciel espion israélien grâce auquel les services marocains auraient notamment sélectionné le numéro d’Emmanuel Macron pour un potentiel piratage.
Cet épisode reste la source d’un conflit personnel entre les deux chefs d’Etat. Le gouvernement français n’a jamais compris le « déni » marocain sur le sujet malgré les dénégations du roi. Les Marocains, quant à eux, s’indignaient de ces accusations.
En définitive, malgré la liste non négligeable de sujets conflictuels, une rupture totale des relations est peu envisageable. La relation économique et culturelle entre les deux pays restent forte et ancrée.
Le Maroc envoie 45 000 étudiants en France faisant de l’hexagone le premier contingent d’étudiants étrangers. En outre, le royaume est devenu le lieu de résidence de 51 000 Français enregistrés auprès des consulats et la diaspora d’origine marocaine en France s’élève à environ 1,3 million de personnes.
Sur le plan économique, la France reste le premier investisseur étranger au Maroc.
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