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Culte musulman : «La réforme ne peut venir que des conseils départementaux»

Lettre ouverte suite aux excuses présentées par Michel Houellebecq aux musulmans de France
Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman. 

Président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui a répondu aux questions de Mizane.info sur le contentieux qui s’est ouvert avec la coordination à propos du Conseil national des imams, dans un entretien exclusif.

Mizane.info : Comment sortir de la crise institutionnelle du culte musulman ouverte par le conflit entre le CFCM et la Coordination ?

Mohammed Moussaoui : La seule manière de sortir de cette crise est de créer les conseils départementaux qui permettront à leur tour de renouveler les instances du culte musulman, y compris le Conseil national des imams. La question de la départementalisation fait partie des préoccupations des autorités publiques. Il nous faut une forme de Conseil national des imams légitime pour tous les départements. Dès novembre 2020, le président de la République parlait de l’exigence d’une reconnaissance la plus large possible. Il faut convaincre les acteurs locaux, autrement nous aurons une institution hors-sol.

L’exécutif vous a-t-il informé de sa position dans ce conflit ?

Non. Je ne pense pas qu’il la donnera tout de suite. Il va sans doute réunir tous les éléments de ce dossier et voir comment les choses vont évoluer avant de se positionner. Pour l’exécutif français, la crise dépasse de loin le seul Conseil national des imams et concerne le culte musulman en général.

En dehors de l’UMF que vous présidez, les autres fédérations présentes dans le bureau du CFCM ont refusé de signé la charte des principes, préalable jugé indispensable pour le président de la République et le ministre de l’Intérieur. Cette situation ne risque-t-elle pas d’affaiblir votre position ?

Le fait que la signature de la charte soit posée comme une condition préalable n’est pas un problème pour nous. Même les trois fédérations non signataires (CIMG, CCMTF, Foi et pratique, ndlr) constatent à quel point cette situation est préjudiciable à tous. Demander par ailleurs que l’on rediscute des points de la charte sur des aspects qui relèvent du détail serait risqué dans ce climat de tension. Il faut d’abord un geste d’apaisement. Raison pour laquelle j’appelle cordialement les trois fédérations à un compromis consistant à signer la charte et à la considérer comme un document perfectible. Le 17 janvier, nous étions parvenus à un premier compromis qui aurait prévu que le bureau du CFCM signe cette charte sur une base majoritaire, les fédérations favorables y étant plus nombreuses, sans que les trois fédérations apposent leurs noms. Ces trois fédérations étaient néanmoins d’accord pour reconnaître le caractère officiel de ce document du CFCM qui leur aurait été opposable. D’autant qu’il fallait rendre ce document le 18 janvier, ce qui ne leur laissaient pas le temps de consulter leurs bases sur ce document.

Pourquoi ce premier compromis ne s’est pas fait ?

Cela ne s’est pas fait car l’Elysée a souhaité que toutes les fédérations signent de manière solennelle cette charte. Aujourd’hui, le contexte a changé. Les trois fédérations ont pris conscience qu’une situation préjudiciable au culte musulman s’est créée à cause de la non signature d’un texte qui est pourtant perfectible, qui n’est pas immuable, avec toute la division que cela a entraîné et qui nous affaiblit tous, offrant un spectacle que les musulmans ne méritent pas. J’ai le sentiment qu’ils considèrent que la question de la signature de cette charte a été surdimensionnée. La disproportion entre leur décision et le résultat actuel me fait espérer que leur souci de l’intérêt général les conduira à faire preuve d’abnégation et à signer ce document.

Une abrogation de certains chapitres de la charte est-elle envisageable ?

Dans le climat de tension actuelle, il n’est pas possible de demander un changement des statuts de la charte pour la signer. Mais d’une manière générale, n’importe quel document peut être amené à changer lorsque le contexte change.

La signature éventuelle de la charte par la CIMG, le CCMTF et Foi et pratique permettrait-elle, selon vous, un retour de la coordination dans le bureau du CFCM ?

Cela dépend d’eux. De toute manière, je pense que le CFCM dans son format actuel n’est pas viable à long terme car l’Assemblée générale peut bloquer toutes les réformes possibles. La coordination dont les membres sont toujours présents dans l’Assemblée générale peut donc bloquer les réformes comme ils l’ont fait en avril dernier. Or, les musulmans de France rejettent ce statu quo. Il est ubuesque de voir que la moitié de la composition de l’Assemblée générale peut être choisie par huit personnes (les représentants des fédérations, ndlr). Cette situation n’est pas viable car le CFCM ne peut pas se réformer de l’intérieur, de lui-même. Il est bloqué par une majorité artificielle. La réforme ne peut venir que de l’extérieur, des conseils départementaux. Une fois que ces conseils départementaux seront mis en place, ils se réuniront en congrès pour statuer sur l’avenir de la représentation du culte musulman.

Vous estimez donc que la coordination s’efforce d’empêcher cette réforme pour protéger ses privilèges dans la nomination de la composition de l’Assemblée générale ?

Exactement. Ils se sont prononcés contre la départementalisation du culte et contre toute élection dans ce sens, prérogative qui doit rester selon eux entre les mains des fédérations historiques. Leur argument a été de dire que les élections favorisent les divisions entre musulmans. Je trouve cet argument insultant pour les musulmans.

Si les volontés semblent convergentes entre l’exécutif français, qui soutient la départementalisation du culte comme le prouve l’organisation des assises, et le CFCM, sur le plan national, en revanche, les choses sont plus compliquées. Le durcissement de la position des autorités sur la charte et le blocage pour le moment au sein du CFCM sur cette question ne laisse pas augurer d’une sortie de crise immédiate, alors même que les autorités ont besoin d’un interlocuteur institutionnel sur le plan national…

Oui et non. Il y a tout de même quelques perspectives qui se présentent. La sortie de cette crise est envisageable et les trois fédérations ont les moyens de nous y emmener. Un changement de position, conscient de l’évolutivité de cette charte, devrait être possible.

Un mot tout de même sur la laïcité. La position des autorités publiques a été problématique pour le respect de la laïcité française. L’immixtion volontaire de l’exécutif et l’imposition de la signature de cette charte ont traduit un certain malaise sur le respect du régime de séparation entre l’Etat et les religions…

Il est vrai que sur le plan strictement juridique, les pouvoirs publics n’ont pas à demander à tel ou tel culte de s’organiser d’une manière ou d’une autre. C’est le principe de séparation laïque. D’un autre côté, l’Etat considère que son interlocuteur doit s’engager sur les principes républicains. Cela avait déjà été fait au moment de la création du Conseil français du culte musulman. Des accords-cadres avec la République avaient été proposés. Entretemps, le climat politique dans le pays a changé. Il y a eu les attentats et la considération qu’il nous faut un outil pour empêcher ceux qui ne partagent pas les valeurs de la République d’officier dans les mosquées, de diffuser des prêches, s’est manifesté. La responsabilité de la protection de l’ordre public leur impose d’exiger des garanties en ce sens. C’est la fonction de la charte de mettre à l’écart ceux qui ne partagent pas ces principes républicains.

Cela jette du coup une grande suspicion sur les fédérations du CFCM qui ne sont en rien comptable des attentats qui ont frappé la France…

Oui, raison pour laquelle à aucun moment nous n’avons mis la charte comme moyen de sélection des membres et des fédérations siégeant au CFCM. Même les fédérations de la coordination n’ont pas cherché à intégrer dans les statuts du CFCM la signature de cette charte. Du coup, leur exigence manquait de cohérence car on ne peut pas demander l’exclusion d’un membre sans une base légale.

Dans votre dernier communiqué, vous évoquez une possible saisie de la justice contre la coordination à propos du Conseil national des imams….

Pour le moment, nous demandons à nos interlocuteurs de respecter un minimum de déontologie. Les documents du CNI ne sont pas la propriété des quatre fédérations. Ils n’ont pas à être utilisés pour leur compte. Les statuts du CNI ont été conservés, les trois fiches sur l’imam sont les mêmes. Les modifications qu’ils ont apportées sont minimes. La seule différence est la signature de la charte des principes. Je ferais tout ce qui est possible pour faire cesser une situation préjudiciable aux musulmans de France. La question devra de toute façon être tranchée juridiquement quand les deux Conseils seront annoncés publiquement. L’antériorité des documents se trouve du côté du CFCM.  La coordination ne peut pas utiliser des documents qui appartiennent à toutes les fédérations pour en exclure certaines. L’opinion publique jugera sur ces procédés d’un autre temps.

Propos recueillis par la rédaction.

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