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De Bordeaux à Tafraout, récit

Écrivain et professeur, chercheur à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication, Mahdi Amri publie sur Mizane.info un récit tiré d’une expérience biographique. Récit de Bordeaux à Tafraout.

Les événements sont réels, mais les détails sont inspirés de l’imaginaire… Notre histoire est un pont entre l’Orient et l’Occident, un dialogue entre les religions, et un lien entre le ciel et la terre.

1 Le narrateur dit :

Je n’ai jamais été opposé à la voix de la vérité. Je suis né dans une famille non religieuse… certes, mais elle n’était pas déconnectée des valeurs morales.

Ma famille ne mentionnait jamais Dieu dans ses conversations quotidiennes… Pourtant, depuis mon plus jeune âge, je me souviens que mon père aidait les pauvres, accomplissait son travail avec un grand sérieux, nous traitait, mes deux frères et moi, avec beaucoup de gentillesse, et vouait un amour profond et romantique à Katy… je veux dire Catherine, ma mère.

Nous étions une famille soudée, issue d’un héritage catholique. Mais, au fil du temps, nous avons oublié la messe du dimanche, les visites à l’église, et même une simple lecture de la Bible.

Dieu n’était pas un sujet de discussion chez nous, ni pour être affirmé, ni pour être nié. Était-ce une forme d’indifférence à nos racines chrétiennes ? Ou une simple adaptation à la laïcité à la française ?

Peu importe… peut-être reviendrai-je sur ce point plus loin dans ces mémoires…

Très bien.
Mais qui suis-je ?

Mathieu. 25 ans. Né et grandi dans la campagne française, à quelques kilomètres de Bordeaux, près de Pessac, dans le sud-ouest. Notre maison était modeste, élégante, confortable, bien rangée, mais il n’y avait jamais une seule allusion, explicite ou implicite, au Royaume de Dieu.

Je vivais comme beaucoup de jeunes de ma génération : sans ancrage spirituel, sans lien avec l’Absolu, sans sens clair à la vie. Je me levais chaque matin, allais à la fac à vélo, lisais des bribes de Nietzsche, Camus, Spinoza, Sartre… Écoutais beaucoup de jazz et de blues, et compatissais profondément avec les opprimés, partout : en Ukraine, au Soudan, en Palestine… partout. Parce que nous sommes tous humains.

Mon cœur vibrait pour chaque être en détresse, quelle que soit sa foi, sa couleur ou son sexe…

Comme beaucoup d’autres jeunes, je vivais des amours passagers, je sortais, je dansais, je faisais la fête… Je profitais de la vie sans faire de mal à personne…

C’est du moins ce que je pensais.

Et pourtant, au cœur de cette existence, je passais d’instants de joie brève à de longues périodes de mélancolie. Des jours, des semaines, parfois des mois entiers.

Je n’avais besoin de rien sur le plan matériel… mais un vrai mal me rongeait de l’intérieur : en apparence, je goûtais à tous les plaisirs ; en réalité, j’étais vide, fissuré, habité d’un gouffre insondable.

Je me demandais alors :
— Je ne manque de rien, alors pourquoi ce vide me ronge-t-il ?
— Je mange sainement, je dors bien, je m’amuse… alors pourquoi ce malaise m’écrase-t-il ?

Et puis, les choses ont commencé à changer…

2 À la fac, au département d’études orientales, j’ai rencontré Abdeslam à plusieurs reprises dans notre laboratoire de recherche. Très vite, une amitié sincère nous a liés. Peut-être à cause de traits communs, de goûts artistiques partagés. Abdeslam étudiait lui aussi à l’université, quatre ans plus âgé que moi, venu de Tafraout, dans le sud marocain, pour préparer sa thèse de doctorat.

Il n’était ni prêcheur, ni moralisateur, mais simplement un jeune homme africain, jovial, généreux, le visage rayonnant et le cœur ouvert.

J’apprenais alors l’arabe et la civilisation islamique. Je débutais tout juste, mais j’étais poussé par un désir intense d’explorer cette langue fascinante.

Abdeslam est vite entré dans mon cœur. Naturellement, sans forcer.

Il était poli, modeste, drôle, posé comme s’il portait un secret.

Il ne défendait pas l’islam : il le vivait. Ce qui, pour moi, valait tous les discours.

Il m’a invité plusieurs fois chez lui, au Maroc. J’ai hésité, puis accepté, poussé par une intuition : cette invitation cachait peut-être le début de quelque chose…

Je voulais découvrir l’autre rive de la Méditerranée, ce pays dont j’admirais le peuple simple, proche de la nature…

Et nous voilà arrivés à Tafraout. Un village unique. Un calme rare, loin du tumulte de nos villes occidentales.

Les montagnes l’entouraient de tous côtés, et le ciel semblait infini au-dessus d’elle.

La maison d’Abdeslam était modeste, chaleureuse. Sa mère, Saadia, m’a accueilli comme si j’étais son propre fils revenu d’un long voyage. Je me souviens encore du pain d’orge, de l’huile d’olive, de l’argan, du thé à la menthe…

Une femme inoubliable.

Quant à El Haj Mokhtar, le père d’Abdeslam, c’était un paysan fondu dans sa terre. Il m’a accueilli d’un simple :

« Bienvenue chez toi, mon fils. »

J’ai passé une semaine entière avec eux. C’était comme une pause pour l’âme. Une trêve sucrée après une longue guerre intérieure.

Le Ramadan touchait à sa fin. L’été était brûlant. La famille jeûnait avec une patience admirable.

Un jour, je demande à Abdeslam :
— D’où vous vient toute cette générosité ?
Il me regarde longuement et me répond :

« L’argent n’est pas notre problème. On vit de la bénédiction et de la miséricorde de Dieu. »

Je n’ai pas compris.
Moi, cartésien, je voulais des explications logiques, des chiffres. Lui parlait paix intérieure.

Puis vint l’Aïd.

Abdeslam insista pour que je l’accompagne à la prière collective.
Il plaisanta :

« Ne t’inquiète pas, tu ne deviendras pas musulman pour autant… Vis juste l’instant, et je m’occupe du reste. »

Sa phrase, simple en apparence, contenait une sagesse profonde. Il voulait que je vive les choses, pas que je les observe de l’extérieur.

Il m’enseigna les ablutions, les gestes, les paroles, le sens des prières…

Et je l’ai suivi.

Des centaines de fidèles, silencieux, concentrés. J’étais purifié, en état de prière. J’ai prié avec eux. Personne ne me l’avait demandé. Je l’ai fait.

Je comprenais la moitié des paroles, mais le cœur comprenait mieux que la tête.

J’étais en présence de quelque chose de sacré.

3 Après la prière, les gens se saluaient avec joie.

Je demande à Abdeslam :
— Ils se connaissent tous ???
Il rit, puis me dit :

« Mathieu… tu es au Maroc. Ici, tout le monde est une seule famille. »

Et de retour à la maison, malgré leur simplicité, la table était abondante.

Je n’ai plus pu retenir mes questions :

Quelle belle religion, si simple et profonde !

Mais si l’islam est si beau, pourquoi les musulmans sont-ils si mal en point dans le monde ?

Guerres, pauvreté, déclin, migrations… Plus d’un milliard et demi de musulmans… mais si peu d’impact… Pourquoi ?

J’ai partagé mes doutes avec Abdeslam – ou plutôt Aassou, comme je l’appelais là-bas – mais il resta silencieux…

Pour moi, ces questions furent la porte d’un nouveau chemin.

De retour à Bordeaux, j’ai lancé un défi de 30 jours : lire chaque jour sur l’islam. Les textes fondateurs, l’histoire, la pensée.

Je ne l’ai dit à personne. Ni à Aassou, ni à mes amis.

Je lisais pour chercher, pas pour débattre. Je lisais le Coran en français, parfois en arabe.

Je m’arrêtais sur des versets. Le premier mot révélé fut « Lis ». Pas « crois », ni « prie », mais « lis ». Un appel à la réflexion.

« Je ne sais pas lire » disait le Prophète.
Quelle humanité dans cette phrase…

Il était pauvre, analphabète, berger… Il est devenu le plus grand des hommes.

J’ai lu la Sîra, les miracles, la poésie du Coran, les récits des soufis…

Rabia al-Adawiyya, Junaid, Ibn Arabi, Rûmi…

Ils aimaient Dieu par amour. Leur islam était un feu sacré.

Et plus je lisais, plus je m’interrogeais :

— Pourquoi l’Occident ignore-t-il cette lumière de l’islam ?
— Pourquoi si peu de récits sur sa beauté ?
— Pourquoi les musulmans vivent-ils un cauchemar alors que leur religion prêche l’amour et la miséricorde ?

Et chaque soir, je relisais :

« Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé. »

4 Les semaines passèrent…
Après mon dernier rendez-vous avec Aassou, un autre Aïd arriva.

Un matin froid, à la mosquée Al-Houda, quartier Saint-Michel de Bordeaux, j’ai prié avec la foule.

Cette fois, j’étais au bout du chemin.

Ou peut-être… au tout début.

Plus tard, Aassou m’a confié avoir reçu un message WhatsApp de ma part, après le sermon :

« La ilaha illa Allah, Muhammad rasoul Allah.
Aassou, je suis devenu musulman. Après une longue quête, après le doute, j’ai trouvé une certitude que je ne peux décrire. Je t’écris les larmes aux yeux.
C’est une victoire.
C’est un miracle… Non, un heureux séisme qui bouleverse ma vie. »

Aassou n’a pu retenir ses larmes. Il m’a répondu :

« Alhamdulillah, Mathieu… Le Vivant qui ne meurt jamais a exaucé ma prière, que seul mon Seigneur avait entendue.
Je voyais l’islam dans ton cœur et tes belles manières, et je priais : Ô mon Dieu bien-aimé… montre-lui le chemin !
Tu es né de nouveau. »

Puis, avec humour :

« Mon ami… tu as toujours été sur la voie de l’islam. Tu sais que Matthieu était un disciple du Christ ? Il semble que, depuis toujours, tu cherchais la vérité. Et la Vérité… est un des plus beaux noms de Dieu.
Et Dieu ne laisse jamais sans récompense ceux qui font le bien. »

Oui…
Dieu ne laisse jamais sans récompense les bienfaisants.

Et ce jour-là, mon téléphone trembla dans mes mains.
Je ne pouvais plus répondre.
Je restai silencieux, absorbé dans ses mots.
Puis mes larmes chaudes tombèrent sur l’écran du téléphone.

Mahdi Amri

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