La Bible a ignoré la filiation ismaélite d’Abraham pour ne considérer que celle du fils « élu », Isaac. Dans la seconde partie de sa chronique, Ahmad Kanté nous en explique les raisons et, de La Mecque à Jérusalem, les conséquences tragiques de cette occultation majeure.
Le premier verset de la sourate 17 mentionne clairement un lien entre la Mosquée de la Mecque et celle de Jérusalem. Et ce n’est pas par hasard car la phase céleste du voyage nocturne pouvait amener le prophète (PBDSL) ailleurs sur terre. Mais du Coran même, il ressort que cette terre de Canaan et ses alentours sont bénis. Dans les hadiths, il a été fait mention de la prière en commun que tous les prophètes (paix sur eux) ont accompli à cet endroit sous la direction du dernier des prophètes (PBDSL).
Jusqu’à preuve par une source scripturaire, l’on est fondé à supposer que c’est lors de la réception de la prescription des prières obligatoires, au ciel, que le prophète (PBDSL) a reçu ordre de s’orienter avec ses compagnons vers Jérusalem pendant presque une année et demie qu’ils étaient à Médine.
Lorsque le Prophète (PBDSL) reviendra en l’an 8 de l’hégire à la Mecque, se concrétisa alors la promesse qu’il a reçue à travers une vision de la « conquête » (Coran 48 : 27) pacifique de cet espace fortement symbolique pour l’Alliance universelle que Dieu a conclue avec Abraham et Ismaël (paix sur eux).
L’ignorance de l’Ancien Testament
Toute cette partie, cette séquence, de l’Alliance universelle que Dieu a conclue avec Abraham (paix sur lui) qui se déroule dans ce désert de l’Arabie sèche est « ignorée » par l’Ancien Testament en raison de la croyance erronée au « peuple élu » adoptée par les fils d’Israël.
Selon cette croyance « nationaliste » et chauvine, seule la lignée de Jacob fils d’Isaac (paix sur eux) est élue par Dieu et sera définitivement le pivot de l’Alliance Abrahamique universelle.
Cette marginalisation voire l’exclusion de la lignée d’Ismaël de l’Alliance Abrahamique universelle fait que pour le judaïsme rabbinique, la Kaaba et tout ce que le Coran rapporte sur ce qu’il s’est passé en Arabie entre Abraham, Hâjar et Ismaël (paix sur eux) n’a pas de fonction significative dans l’histoire de l’Alliance Abrahamique universelle.
C’est ainsi qu’il ressort du récit de la Bible, un certain nombre de choses qui participent de la dévalorisation d’Ismaël (paix sur lui)[1] :
-Agar est la cause des malheurs de Sara car elle lui manquait de respect depuis qu’elle a eu son fils Ismaël (paix sur lui) ;
-Ismaël « rigole » d’Isaac tout petit ;
-Ismaël vivra dans le désert, sera comme un âne sauvage et belliqueux[2] ;
-Ismaël finit tireur d’arc dans un désert (dont le lieu géographique n’est pas identifié) ;
-Sara est considérée comme la vraie et légitime femme d’Abraham ;
-Isaac est l’enfant qu’Abraham aime et qui sera proposé au sacrifice ;
-Isaac est l’enfant bien-aimé par qui se fera l’Histoire de l’Alliance à travers son fils Jacob (Israël) et sa lignée élue[3].
Le voyage nocturne du prophète (PSLF) de l’enceinte de la Kaaba vers celle de la Mosquée de Jérusalem, la prière en commun y accomplie avec tous les prophètes (paix sur eux), l’accomplissement des premières prières obligatoires en direction de Jérusalem viennent confirmer la commune participation de la lignée d’Ismaël et de Jacob à la fonction de pivot relativement à l’histoire de l’Alliance Abrahamique universelle.
D’ailleurs, c’est en premier avec son fils Ismaël que Dieu conclut l’Alliance originelle avec Abraham par le truchement de la circoncision[4] alors qu’Isaac n’était pas encore né (paix sur eux).
La famille prophétique comme pivot
De con côté, combien de fois le Coran n’associe-t-il pas Abraham (paix sur lui) à la descendance de ses deux premiers fils. Par exemple, dans les premiers versets suivants, Abraham (paix sur lui) fait son testament à ses fils, sans distinction, et dans ceux qui suivent, la mention d’Ismaël par les fils de Jacob (paix sur eux) indique une fonction pivot de cette famille à travers ses deux lignées (Ismaël et Isaac) dans l’histoire de l’Alliance.
Cette Alliance Abrahamique universelle n’est autre que l’islam comme nous avons eu à l’expliquer dans un autre écrit. (Coran 2 : 132-134).
Par sa Sagesse jamais totalement saisissable, le Coran nous conduit à comprendre que pendant des siècles, Dieu fait connaitre à la lignée d’Ismaël une sorte d’état de « dormance » en Arabie désertique lors que celle de Jacob est active et assure une fonction de pivot dans l’histoire de l’Alliance Abrahamique depuis qu’elle a été libérée du joug égyptien et reçu la Torah au Sinaï.
Selon la tradition musulmane, cette Mosquée de Jérusalem a été construite ou reconstruite par le prophète Ya ‘qûb (Jacob dans la Bible – paix sur lui) puis par le prophète Salomon (paix sur lui).
Comme pour la Kaaba à propos de laquelle il y a une thèse disant que c’est Adam (paix sur lui) qui en est le premier constructeur, il existe une opinion selon laquelle, Adam (paix sur lui) est aussi le premier à édifier la Mosquée la plus éloignée (al aqsâ) de Jérusalem. Il existe aussi une opinion selon laquelle ce sont les anges qui ont été les premiers à construire et la Kaaba et la Mosquée éloignée de Jérusalem.
Salomon et la Maison sainte de Jérusalem
Interrogé par son compagnon Abû Dhar sur la première Maison (Mosquée) construite et dédiée à Dieu sur terre, le prophète Muhammad (PBDSL) répondit : « C’est la Mosquée Sainte (la Kaaba), et ensuite ? Il répondit : « C’est la Mosquée al-Aqsâ » Combien de temps entre les deux ? Il répondit : 40 ans (Bukhârî).
Dans un hadith authentifié par les oulémas en la matière, il est dit : « Lorsque Salomon, fils de David eut terminé l’édification de Bayt al-Maqdis[5] (la Mosquée sainte de Jérusalem), il demanda à Dieu trois choses : un jugement (qu’il donne sur une affaire) qui soit conforme au Sien (Celui de Dieu), une royauté telle que personne après lui n’en aura de pareille et que Dieu efface tous les péchés de toute personne qui entreprend un voyage vers cette mosquée juste pour y accomplir la prière, en le rendant aussi pur que le jour où sa mère l’a mis au monde. Puis le prophète (PBDSL) dit :’les deux lui furent accordées, quant à la troisième, j’espère qu’il en sera de même » (an-nasâ-i, ibn mâjah et autres compilateurs de hadiths).
Qui a édifié pour la première fois « baytul maqdis » (la Maison sainte) sise dans l’espace de cette Mosquée la plus éloignée dont parle le premier verset de la sourate 17 ? Le hadith n’y répond pas.
Mais sur la base de cette réponse du prophète, on retient que Salomon n’a fait que rebâtir cette Maison à son emplacement originel. Peut-être que Salomon (paix sur lui) n’a pas eu une réponse favorable à sa troisième invocation afin que la Mosquée de la Mecque garde une certaine précellence sur toutes les autres.
En tout état de cause, cette Maison sainte de Jérusalem reconstruite au Xe siècle av. J.-C par Salomon sera détruite en 587 av. J.-C par les troupes babyloniennes de Nabuchodonosor II après moult actes de profanation commis par les fils d’Israël eux-mêmes et de défiance à l’égard de leurs prophètes notamment Jérémie (paix sur lui).
Cette Maison sainte qui était au cœur de la vie cultuelle des fils d’Israël installés en terre de Canaan sera rebâtie des dizaines d’années plus tard sous la direction de Zorobabel et Néhémie sans que rien ne se passe pour témoigner de la présence de Dieu comme la fumée qui s’en dégageait au temps de Salomon (paix sur lui). C’est Hérode Ier qui va l’agrandir, environ 20 ans av. J.-C, et lui bâtir des annexes juste pour gagner la sympathie des juifs. Mais après la violente révolte juive notamment des Zélotes en 66, les troupes romaines conduites par Titus détruisent complétement le « Temple de Salomon » en 70 et déportent la plus part des juifs qui y résidaient.
L’utopie religieuse de la reconstruction du Temple
C’est ainsi que depuis 2000 ans, les fils d’Israël n’ont pas pu reconstruire le « Temple » de Salomon. Mais sur la base notamment de la vision du prophète Ezéchiel, certains courants théologico-idéologiques juifs croient fermement que le « Temple » de Salomon sera reconstruit dans cet espace du mont Moria où se trouve actuellement la Mosquée al aqsa.
Le militantisme juif porté par l’Institut du Temple et d’autres activistes est en train de faire des avancées significatives jusqu’ à pousser les autorités politico-administratives de l’Etat-nation d’Israël a de plus en plus envisager l’autorisation de reconstruction du troisième « Temple ». C’est dans cette optique qu’il faut comprendre tous les actes posés par Israël et ses soutiens, les Etats-Unis notamment, pour faire de tout Jérusalem, la capitale « éternelle » et « indivisible » d’Israël.
Donald Trump a posé un acte décisif dans ce sens le 6 décembre 2018 et fait déménager l’ambassade américaine à Jérusalem en correspondance avec le 70e anniversaire de la création de l’Etat d’Israël.
Et ce n’est pas par hasard qu’il a mentionné le bonheur des évangélistes messianiques de son pays. En effet, ces évangéliques considèrent qu’il faut soutenir de façon inconditionnelle l’Etat-nation d’Israël en prélude à la seconde venue de Jésus fils de Marie, le Messie que les fils d’Israël pourront alors reconnaitre après leur conversion.
Pour le courant juif porté par l’institut du « Temple » et d’autres nationalistes juifs, la création de l’Etat d’Israël en 1948 est une opportunité politique décisive depuis 2000 ans à saisir pour engager la reconstruction du « Temple » dans les meilleurs délais. Ce courant fait fi des divergences profondes qu’il y a au sein du judaïsme rabbinique sur : qui doit reconstruire le Temple, quand et dans quelles conditions, l’interdiction de se rendre dans ce lieu pour ne pas souiller le « Saint des Saint »[6], etc.
Sa posture beaucoup plus idéologique que théologique est de soutenir que c’est aux juifs de reconstruire le « Temple » pour hâter la venue du Maschia ‘h (le Messie fils de David attendu). Toujours pour ce courant, le temple reconstruit, signe de fin des temps, sera un lieu de pèlerinage pour toutes les nations du monde.
L’eschatologie sur le devant de la scène
On voit comment ce Temple entre en concurrence avec la Mosquée de la Mecque qui n’est pas un édifice significatif dans l’histoire de l’Alliance Abrahamique pour le judaïsme comme nous l’avons déjà dit.
Hélas, pour ce courant, car les choses pourraient se passer autrement et de façon tragique pour les juifs. En effet, le contrôle de l’espace de la Maison sainte de Jérusalem à l’époque du 2e calife des musulmans, Umar ibn al khattab (634-644) marquait un signe de la fin des temps mentionné dans le hadith : « compte six choses avant l’Heure : ma mort puis la conquête de la terre sainte (Jérusalem)… » (Bukhari).
Ce forcing pour la reconstruction du Temple augure de choses terribles qui vont se passer dans l’espace de la Maison sainte de Jérusalem à la fin des temps, où Jésus fils de Marie, à côté du Mahdi et ceux qui se reconnaitront sous la bannière de l’islam à cette époque vont confronter le faux Messie (l’Antéchrist).
En effet, ce dernier va tromper la plus part des juifs en leur faisant croire qu’il est le Messie fils de David qu’ils attendaient. Dans le nouveau Testament, il est dit que l’homme du péché (l’Antéchrist) s’assoira dans le Temple et se proclamera Dieu[7].
Les versets fort énigmatiques de sourate 7 « banû isrâ-îl » donnent des indications sommaires sur une deuxième destruction intégrale de quelque chose qui sera construit dans cet espace de la Maison sainte de Jérusalem (Coran 17 : 4, 5, 7, 104).
C’est seulement à la Maison sacrée de la Mecque que Dieu a béni et agrée le Hajj pour lequel, définitivement, Il a demandé à Son ami Abraham de lancer un appel à toutes les nations du monde.
Ahmad Kanté
Notes :
[1] Pourtant, il est bien mentionné dans le Bible qu’Abraham aime Ismaël, qu’il a prié Dieu en sa faveur et a été exaucé, qu’il a été circoncis pour marquer son appartenance à l’Alliance Abrahamique, qu’il sera père d’une grande nation, et de douze princes, qu’Esaü a épousé une de ses filles, et qu’il a enterré son père Abraham ensemble avec Isaac (paix sur eux).
[2] (Genèse, 16 : 12).
[3] (Genèse, 17 : 20-21).
[4] (Genèse 17 : 17.1-14)
[5] En hébreu Beit HaMiqdash, on note bien l’homophonie avec l’expression arabe. Il faudrait voir comment l’expression « Temple » de Salomon a fini par remplacer la première qui est plus authentique et répond plus à la fonction de cette Mosquée.
[6] C’est le lieu le plus saint au sein du Temple où ne doit accéder que le prêtre Lévite après s’être purifié.
[7] (2 Thessaloniciens 2.3-4)