Edit Template

De Pretoria à Gaza : la politique de Trump pour défendre l’apartheid

Dans un article, publié dans Middle East Eye, Soumaya Ghannoushi évoque les récentes sanctions édictées, par Donald Trump, contre l’Afrique du Sud en soutien à la minorité sud africaine blanche. Pour la journaliste, il s’agit « en vérité » de protéger les vestiges de l’apartheid. Une politique coloniale aussi mise en pratique pour le cas palestinien.

Le décret de Donald Trump suspendant l’aide à l’Afrique du Sud a été présenté comme une intervention « vertueuse ». Il s’est positionné en défenseur d’une minorité blanche (« Afrikaners ») en difficulté, imposant des sanctions au gouvernement sud-africain. Mais la vérité est bien plus insidieuse. Il ne s’agit pas de justice. Il s’agit de protéger les derniers vestiges de l’apartheid et de soutenir le colonialisme de peuplement.

Son objectif ? Une politique de réforme agraire visant à démanteler les inégalités économiques et structurelles profondément ancrées dans l’apartheid. Pour ses partisans, l’histoire était simple : des fermiers blancs assiégés, des terres confisquées sans raison, une autre bataille dans la soi-disant guerre contre la civilisation occidentale.

Donald Trump n’agit pas seul

Trump n’a pas agi seul. Derrière lui se trouvaient deux forces puissantes : un réseau de milliardaires libertaires liés à l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid et le lobby pro- israélien, tous deux investis depuis longtemps dans le maintien de systèmes de domination raciale et territoriale.

Parmi eux, Elon Musk occupe la première place. Plus que le simple visage milliardaire de Tesla et SpaceX, il est une figure clé de la « mafia PayPal », un cercle de libertariens dont beaucoup sont issus de l’élite blanche d’Afrique du Sud. David Sacks, autre figure majeure du cercle intime d’Elon Musk, est né au Cap et a grandi dans le monde privilégié de la diaspora sud-africaine blanche.

Roelof Botha, l’ancien directeur financier de PayPal, a un lien encore plus direct avec la vieille garde de l’apartheid : son grand-père, Pik Botha, était le dernier ministre des Affaires étrangères du régime d’apartheid d’Afrique du Sud. Ces hommes ne sont pas des marginaux. Ils sont les héritiers modernes d’un projet colonial qui n’a jamais été véritablement démantelé.

Donald Trump

Élevés dans un système qui considérait la hiérarchie raciale et économique comme une loi naturelle, ils utilisent aujourd’hui leur richesse et leur influence pour protéger cet héritage. Leur opposition à la réforme agraire en Afrique du Sud n’a rien à voir avec l’équité. Il s’agit de préserver un statu quo dans lequel la terre reste aux mains des Blancs, longtemps après la fin officielle de l’apartheid.

Elon Musk et le lobby israélien

Ironiquement, l’adhésion publique d’Elon Musk aux théories complotistes et à l’imagerie nazie n’a pas contribué à entamer sa réputation auprès des élites pro-israéliennes. Lorsqu’il a semblé faire le salut nazi lors d’un discours à Washington le mois dernier, l’indignation a éclaté – mais au lieu de condamner, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’Anti-Defamation League (ADL) l’ont défendu. 

Netanyahu a qualifié Elon Musk de « grand ami d’Israël », tandis que l’ADL – habituellement prompte à qualifier les militants pro- palestiniens d’antisémites – a minimisé l’incident en le qualifiant simplement de « geste gênant ». Cette indignation sélective n’est pas un hasard. Elon Musk flirte peut-être avec l’imagerie nazie, mais tant qu’il soutient l’apartheid israélien, il reste politiquement utile.

Aux côtés de cette classe de milliardaires se trouve Miriam Adelson, la plus grande source de financement de Trump et l’une des architectes de sa politique pro-israélienne. Dans une récente interview, elle a évoqué le « travail inachevé » de Trump en Israël, prônant ouvertement l’annexion de la Cisjordanie.

Elon Musk

Ce n’est pas une coïncidence si ces deux forces – les milliardaires libertaires d’origine sud-africaine et le lobby pro-israélien – se sont alignées sur la politique colonialiste de Trump. Leur alliance n’est pas nouvelle ; elle est profondément ancrée dans l’histoire.

La relation entre Israël et l’Afrique du sud de l’apartheid

Pendant des décennies, Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid ont été liés par une idéologie commune et des intérêts mutuels. Lorsque le monde a tourné le dos à l’Afrique du Sud, Israël est resté son allié le plus fidèle.

En 1976, le Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, a porté un toast à son homologue sud-africain, John Vorster, ancien sympathisant nazi, déclarant que les deux nations étaient confrontées à une lutte commune contre « l’instabilité d’origine étrangère ». Ensemble, ils ont développé des systèmes militaires, des réseaux de renseignement et, plus grave encore, le programme nucléaire de l’Afrique du Sud.

C’était un secret de polichinelle : Israël fournissait le savoir-faire, l’Afrique du Sud l’argent. Le gouvernement sud-africain de l’apartheid n’a fait aucun effort pour dissimuler sa vision du monde, déclarant dans une publication officielle qu’« Israël et l’Afrique du Sud ont avant tout une chose en commun : ils sont tous deux situés dans un monde essentiellement hostile, habité par des peuples noirs ».

Cette alliance ne s’est effondrée qu’avec la fin officielle de l’apartheid. Mais l’idéologie sous-jacente – la croyance en la supériorité raciale, le droit d’un groupe restreint à s’emparer de terres et à régner sur les autres – n’a pas disparu. Elle a évolué, trouvé de nouveaux défenseurs et gagné de nouveaux soutiens politiques.

Les Afrikaners restent une communauté privilégiée

L’attaque de Trump contre l’Afrique du Sud n’a rien à voir avec la liberté économique ou la justice. Il s’agit de défendre les conséquences de l’apartheid. Au cœur de son décret se trouve la loi sur l’expropriation de l’Afrique du Sud, une loi conçue pour corriger des siècles de dépossession de terres racialisées.

Pendant des générations, les Sud-Africains noirs ont été systématiquement chassés de leurs terres et contraints de s’installer dans des « homelands » arides, tandis que les colons blancs s’appropriaient les terres les plus fertiles du pays. Aujourd’hui encore, trois décennies après la chute de l’apartheid, environ 75 % des terres agricoles privées d’Afrique du Sud restent aux mains des Blancs, alors que les Sud-Africains blancs ne représentent que 7 % de la population.

La loi sur l’expropriation n’impose pas de confiscations massives de terres. Elle établit simplement un cadre juridique pour récupérer des terres abandonnées ou acquises grâce à des privilèges raciaux, sous des conditions strictes. La réponse de Trump ? Des sanctions. L’Afrique du Sud doit être punie pour avoir tenté de réparer les torts historiques. Les propriétaires terriens blancs doivent être considérés comme des victimes.

Le drapeau indépendantiste des Afrikaners

L’ingérence américaine à géométrie variable

Pourtant, ce même Trump, qui condamne la redistribution des terres en Afrique du Sud, a passé sa carrière politique à approuver et à légitimer les accaparements de terres par Israël en Palestine.

Son hypocrisie ne s’arrête pas là. Il refuse à l’Afrique du Sud le droit de décider de la manière dont elle gère ses propres terres, tout en faisant pression pour que les États-Unis prennent le contrôle des territoires situés au-delà de ses frontières.

Il a ainsi lancé l’idée d’acheter le Groenland au Danemark, a envisagé de s’emparer du Canada, a discuté de la prise de contrôle du canal de Panama et maintenant, il se déchaîne sans vergogne contre la possession de Gaza.  Trump s’est aligné sur les ambitions territoriales les plus extrêmes d’Israël, déclarant qu’Israël est un « tout petit endroit » au Moyen-Orient et qu’il devrait être agrandi.

En Israël, les dirigeants d’extrême droite parlent ouvertement de leur expansion au-delà de la Cisjordanie – en Jordanie, en Égypte et même en Arabie saoudite. Ces idées ne sont pas marginales, elles sont largement répandues. Des sondages récents montrent qu’environ 80 % des Israéliens soutiennent le transfert forcé de la population de Gaza, tandis que seulement 3 % des Juifs israéliens le considèrent comme immoral.

L’Afrique du Sud devant la CPI

Le courage de l’Afrique du sud

Trump n’est pas seulement complice de ces politiques. Il en est le défenseur. Il prétend protéger les propriétaires terriens blancs en Afrique du Sud tout en encourageant les colons illégaux en Israël. Il offre l’asile aux Afrikaners tout en empêchant les Palestiniens d’entrer aux États-Unis. L’ironie n’a pas échappé au ministère sud-africain des Affaires étrangères, qui a réagi avec un sarcasme mordant :

« Il est ironique que le décret exécutif prévoie un statut de réfugié aux États-Unis pour un groupe en Afrique du Sud qui reste parmi les plus privilégiés économiquement, alors que des personnes vulnérables aux États-Unis en provenance d’autres parties du monde sont expulsées et se voient refuser l’asile malgré de réelles difficultés. »

Ce n’est pas un hasard si l’Afrique du Sud a pris l’initiative de traduire Israël devant la Cour internationale de justice, l’accusant de génocide à Gaza. Plus qu’une simple bataille juridique, cette affaire est un acte de résistance, qui souligne l’engagement indéfectible de l’Afrique du Sud à la lutte contre l’apartheid et le colonialisme.

Pour cet acte de courage, le pays doit désormais faire face à des représailles. Trump et le lobby israélien sont déterminés à lui faire payer.

Définir l’apartheid

Les Sud-Africains savent reconnaître l’apartheid lorsqu’ils le voient. Ronnie Kasrils, un Juif sud-africain et ancien ministre, a été encore plus direct : « L’apartheid était une extension du projet colonial visant à déposséder les gens de leurs terres ».

C’est précisément ce qui s’est produit en Israël et dans les territoires occupés : l’usage systématique de la force et la manipulation juridique pour faciliter la dépossession. « C’est ce que l’apartheid et Israël ont en commun. » Nelson Mandela, qui comprenait les racines communes de l’asservissement colonial, ne laissait aucune place au doute.

Ses mots restent un cri de ralliement pour la justice : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. ». La question qui se pose au monde n’est pas simplement de savoir si l’Afrique du Sud sera sanctionnée pour avoir osé remettre en cause la persistance de l’apartheid, ni si Israël obtiendra la pleine souveraineté sur les territoires occupés.

La véritable question est de savoir si le monde permettra une fois de plus au colonialisme, au racisme et à l’apartheid de dicter son ordre moral. Car de Johannesburg à Gaza, de Pretoria à la Cisjordanie, la lutte est une.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

NEWSLETTER

PUBLICATIONS

À PROPOS

Newsletter

© Mizane.info 2017 Tous droits réservés.

slot777