« Décivilisation ». C’est le terme qu’a choisi d’employer Emmanuel Macron lors du Conseil des ministres, mercredi dernier, pour qualifier le climat de violence et d’agression de ces dernières semaines. D’où vient ce terme ? Pourquoi ce mot suscite autant de controverse ? Mizane.info fait le point.
Lors du Conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi 24 mai à l’Élysée, le président de la République a voulu souligner, dans son allocution introductive, le contexte ultra-violent de ces dernières semaines, marquées par des agressions contre des élus (le maire de Saint-Brévin), le décès brutal d’une infirmière tuée à l’hôpital de Reims et l’accident de route ayant coûté la vie à trois policiers à Roubaix.
Tout en rappelant que l’ensemble de ces drames n’étaient pas de même nature, Emmanuel Macron a tout de même évoqué un « processus de décivilisation ».
« Il faut être intraitable sur le fond. Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation »
De « l’ensauvagement » à la « décivilisation »
Voilà donc un nouveau terme controversé à ajouter dans le lexique particulier du gouvernement macron, pour qualifier l’insécurité croissante dans le pays. Après les polémiques suscitées par l’emploi du mot « ensauvagement », martelé par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin en septembre 2020, lui-même sans doute inspiré par le mot « sauvageon » de son prédécesseur Jean-Pierre Chevènement, le terme « décivilisation » vient lui succéder pour désigner quasiment le même concept.
Tenant a rappeler les récents évènements de violences survenus ces dernières temps, le chef de l’État a enjoint son gouvernement, réunis à l’Élysée à l’occasion du conseil des ministres, a freiner le « processus de décivilisation »
« Il n’y a pas de violence qui soit justifiable, jamais, dans une société, quelle que soit la cause » s’est exclamé le président de la république, laissant ainsi deviner que le mot « décivilisation » a bien été choisi pour désigner un climat d’accoutumance à la violence verbale et physique de plus en plus visible dans notre société qui va à l’inverse d’un climat de civilité et de contrôle de nos « pulsions« .
Seul problème et de taille. Le terme « décivilisation », comme celui du « grand remplacement » ou encore de « l’ensauvagement » sont initialement l’apanage théorique et surtout lexical des théoriciens d’extrême droite.
Renaud Camus, nouveau pourvoyeur lexical
En 2011 parait un ouvrage au titre assez évocateur de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus : Décivilisation. La même année, l’écrivain développe son concept de « grand remplacement » devenu, depuis, une expression banalisée chez l’ensemble du champ politique et intellectuel français.
On peut sérieusement s’interroger sur l’emprunt quasi systématique, par des personnalités issus de la classe politique française, de termes produits par un auteur qui ne cache absolument pas ses accointances idéologiques.
C’est d’autant plus inquiétant lorsque l’on sait que le même écrivain a inspiré le terroriste australien Brenton Tarrant responsable de la tuerie dans les mosquées de Christchurch, en Nouvelle Zélande, en mars 2019. Tarrant a d’ailleurs intitulé son manifeste morbide par un titre plutôt explicite : « Le grand remplacement ». La filiation est plus qu’évidente.
On peut déjà imaginer que « la grande déculturation », un autre titre d’ouvrage de Camus blâmant un « enseignement de l’oubli » de la culture occidentale, sera sans doute le prochain terme à faire son chemin dans la scène politique française.
La décivilisation « c’est une réalité » assure l’Elysée
Du côté de l’Elysée, on assure que « Le président ne reprend pas un concept » venant des milieux d’extrême droite mais que le terme décivilisation « c’est une réalité ».
Le porte parole du gouvernement, Olivier Véran, explique, quant à lui, sur Europe 1 que ce terme n’était « pas l’apanage de l’extrême droite » tout en affirmant que son origine serait plutôt issu des écrits du sociologue allemand Norbert Elias (1897-1990) :
« Ce n’est pas un phénomène qui correspond à un parti politique ou qui correspond à une idée politique mais [plutôt] à une situation qui nuit au bien-être de chacun »
Au Rassemblement National, on exulte. « La décivilisation, c’est la barbarie » fait remarquer Marine Le Pen. La présidente du parti estime, par ailleurs, qu’Emmanuel Macron leur « donne raison ».
Ibrahim Madras