La dernière campagne d’affichage promue par le ministère de l’Education nationale sur la laïcité a essuyé une volet de critiques lui reprochant d’en détourner le contenu réel. Anthropologue et auteure de plusieurs ouvrages sur le fait religieux, Dounia Bouzar réagit à son tour à cette campagne en y dévoilant sa critique dans une réponse que publie Mizane.info.
La Vigie de la laïcité a pris connaissance de la campagne d’affichage lancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, à propos de la laïcité. Force est de constater une profonde confusion sur le sens de ce qu’est la laïcité. D’autant plus qu’à aucun moment ne sont rappelés ni même évoqués les fondements de la laïcité. À savoir la liberté de conscience et sa manifestation dans les limites de l’ordre public, la neutralité de l’État (découlant de la séparation) et l’égalité de tou.te.s devant la loi sans distinction de religion ou conviction.
La laïcité, ce n’est pas « permettre à Sacha et Neissa d’être dans le même bain », ni « permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires » comme l’indiquent pourtant certaines affiches officielles qui, toutes, mettent en avant quasi-exclusivement des enfants issus de la diversité. Derrière un a priori jovial et tolérant, le message porté par ces affiches réassignent les élèves à leurs identités. Celles-ci devant, selon cette campagne, être gommées au profit d’une homogénéisation normée (une illustration en est la récurrence du terme « même »).
Ainsi, ces affiches confondent la laïcité avec les idées de coexistence et d’assimilation.
Surtout, de par le choix des prénoms et des caractéristiques phénotypiques, ces affiches entretiennent une lourde ambiguïté : implicitement, est diffusée l’idée que la laïcité concernerait en premier lieu les personnes issues de l’immigration.
Un autre sous-entendu est tout aussi lourd de sens : le fait que ce serait parce que l’école de la République accueille des enfants issus de la diversité qu’il faut réaffirmer la laïcité. Or, les débats sur la laïcité à l’école sont aussi anciens que ceux sur la laïcité tout court.
Sur le fond, une seule affiche (sur laquelle il est écrit : « Donner le même enseignement à Romane, Elyjah et Alex, quelles que soient leurs croyances) correspond à une définition de la laïcité. Mais même cette affiche fait fausse route, en réduisant les enfants à leur appartenance religieuse qui serait implicitement devinée par leurs prénoms et/ou couleurs de peau.
Ainsi, si la Vigie de la laïcité soutient l’idée d’une campagne d’affichage sur la laïcité (à ce propos, elle rappelle la proposition, alors non-appliquée, portée en son temps par l’Observatoire de la laïcité et qui s’appuyait sur des affiches dépourvues d’ambiguïté), elle regrette les choix ici opérés. Ils ne pourront qu’alimenter les polémiques et entretiendront, tant chez les élèves que chez leurs parents, les confusions autour de ce grand principe de la République. La course pour savoir lequel des ministres serait le plus « laïque » ne doit pas mener au détournement profond de la laïcité, notion qui refuse toute idéologisation.
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